« Une petite victoire pour la France, mais une grande pour la science » : pourquoi le label « vert » pour le nucléaire ne sera pas simple pour autant

Juste avant la fin de l’année, la Commission européenne a présenté sa taxonomie, qui liste les énergies pouvant bénéficier de la finance verte et donc de l’aide des États. Parmi ces énergies, on retrouve le nucléaire et le gaz, ce qui fait polémique. Mais comme souvent les choses sont plus compliquées.

Il y a d’abord le constat. Pour l’heure, impossible de se passer des énergies fossiles. La transition énergétique que l’on opère n’est pas vraiment adaptée à nos besoins. Et le sous-investissement dans les énergies fossiles au profit du renouvelable explique en partie l’augmentation des prix de l’énergie: le pétrole, le gaz et l’électricité.

D’un autre côté, les énergies renouvelables ne sont pas suffisantes. Bon nombre de pays sont obligés de puiser dans le charbon pour compenser les intermittences des énergies vertes. L’exemple le plus emblématique étant bien sûr l’Allemagne qui sort progressivement du nucléaire, et dont les 3 réacteurs restants doivent fermer d’ici la fin de l’année.

L’Europe a prévu de diminuer l’utilisation des énergies fossiles de 50% d’ici 2030, ce qui reste un défi gigantesque. Le but est de diminuer d’autant les émissions de gaz à effet de serre à commencer par le CO2.

Nucléaire

C’est sur base de ce constat que la Commission a tranché. Le nucléaire fera partie de la taxonomie à titre transitoire, car le tout au renouvelable n’est pas prêt. « C’est une petite victoire pour la France, mais surtout une grande pour la science », a commenté Benjamin Louvet, gérant des matières premières chez OFI AM sur BFM Business. L’expert rappelle que la Commission s’est basée sur deux rapports rédigés par des scientifiques indépendants qui constataient que l’énergie nucléaire ne provoquait pas plus de dégâts que les autres énergies déjà labélisées vertes.

C’est en effet la France qui a mené un groupe de pays européens (surtout de l’Est) pour inclure l’atome dans la liste. Elle s’opposait à l’Allemagne qui menait dans son sillage 5 autres pays. Le projet de la Commission est une sorte de compromis puisqu’il inclut également le gaz dans la taxonomie, chacun y trouvant son compte.

En réalité, les États ont jusqu’au 21 janvier pour consulter le texte et proposer des modifications. Mais un rejet du texte parait aujourd’hui très improbable.

Comment ça marche ?

  • Il faut d’abord savoir que les enjeux sont énormes. L’énergie nucléaire nécessite des investissements colossaux. En bout de chaîne, la différence est tout sauf négligeable. Les taux d’intérêt peuvent monter jusqu’à 9% de manière générale pour les projets de centrales, ce qui revient au bout du compte à 90 euros le MWh. En bénéficiant par exemple d’un taux plus avantageux de 6%, le prix baisse à 60 euros le MWh. On comprend vite l’intérêt des entreprises privées.
  • Car oui, la taxonomie est destinée au secteur privé. À court terme, cela ne change pas grand-chose. Mais on parle ici des nouveaux projets qui pullulent un peu partout: en France, aux Pays-Bas, en Pologne ou encore en République tchèque. Ces projets pourraient bénéficier de ce qu’on appelle la finance verte par le truchement de Greenbonds.
  • De grands constructeurs comme EDF ou Areva pourraient en bénéficier d’autant plus qu’ils ont l’ambition de construire des centrales y compris en dehors de France. L’Hexagone veut jouer un rôle central au sein de l’Union en exploitant son savoir-faire. On comprend mieux son intérêt à s’être lancée pleinement dans la bataille d’influence.
  • Il s’agit aussi d’une question d’indépendance énergétique. Plus d’atome, c’est moins de gaz russe. Mais ce n’est pas tout: Russes et Américains étaient prêts à mettre leurs deniers sur la table pour financer des projets de centrales en Europe de l’Est. L’Union s’affranchit d’une dépendance géostratégique malvenue.

Conditions:

  • Ce n’est pas si simple pour autant: les projets doivent par exemple obtenir leur permis de construire d’ici 2045.
  • Pour le moment, la taxonomie ne concerne pas les activités du cycle des combustibles (extraction de l’uranium, retraitement des déchets nucléaires…) ou les opérations de maintenance des centrales. Cela pèse bien sûr sur la compétitivité de l’atome.
  • Bruxelles plaide toujours pour l’utilisation obligatoire de combustibles « tolérants aux accidents ». Ces combustibles sont censés mieux résister à la chaleur. Cette obligation inquiète bien sûr le secteur, car ces combustibles « ne sont pas encore prêts industriellement », rappelle Ludovic Lupin, de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), pour l’AFP.

En outre, les déboires que connait la centrale EPR de Flamanville rappellent au secteur qu’une centrale atomique n’est jamais gagnée d’avance. Le réacteur devait initialement entrer en service en 2012 tandis que le coût de départ était estimé à 3,3 milliards d’euros. Le projet devrait finalement atterrir en 2023 pour un coût de 12,7 milliards d’euros. Tout le monde est prévenu.

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