En Allemagne, la sortie du nucléaire est déjà actée depuis 2011. Les tout derniers réacteurs seront éteints au courant de l’année 2022. Pendant des années, les communes où étaient établies les centrales vivaient en opulence. Aujourd’hui, le robinet est fermé, et les bourgmestres appréhendent les années à venir. Quel destin vise la commune de Huy en Belgique, qui gagne jusqu’à 15 millions par an grâce au nucléaire?
Des aires de jeux pour les enfants, des parcs pour les promeneurs, des nouvelles casernes de pompiers, la rénovation profonde de l’hôtel communal: la commune de Philippsburg, dans les sud-ouest de l’Allemagne, le long du Rhin, non loin de la frontière française, a massivement investi dans ses infrastructures.
C’est que la commune, pendant de longues années, vivait grassement grâce aux entrées de la centrale nucléaire. En 2019, elle a été arrêté pour de bon, et Philippsburg a dû dire adieu à ses six à huit millions d’euros annuels.
Aujourd’hui, confie un responsable des finances à Radio France International, la commune fait face à l’entretien coûteux de toute ces infrastructures. La piscine de l’école secondaire, dont le bâtiment accueille 2.500 élèves, notamment.
« Il est difficile de dire aux gens de se serrer la ceinture, ou d’augmenter les impôts, ils n’ont jamais connu ça », craint le responsable. Une commission a été mise sur pied, mais personne n’ose encore prononcer une de ces deux mesures. Même si les chiffres sont clairs. « On a encore une réserve d’argent du nucléaire, mais dans trois à quatre ans, il n’y en aura plus », estime-t-il, en avouant qu’une hausse des impôts ou une coupe dans les dépenses pourra être nécessaire.
15 millions par an à Huy
En Belgique, l’accord de gouvernement prévoit de sortir du nucléaire en 2025. Sur le territoire du Royaume, deux centrales nucléaires existent: Doel, au nord d’Anvers, et Tihange, sur la commune de Huy, en bord de Meuse, entre Namur et Liège.
Tous les ans, la Ville de Huy reçoit 15 millions de la centrale nucléaire: neuf pour le précompte immobilier, deux à trois pour la taxe sur la force motrice (prise sur la production d’électricité), et encore trois pour une convention entre la commune et la centrale (voir ci-après). Cette somme représente un tiers du budget annuel.
La somme peut varier en cas d’arrêt du réacteur, comme en 2014 par exemple, lorsque des microfissures avaient été découvertes. « On perd également une partie du précompte immobilier, comme cela a eu lieu les années précédentes, lorsque les réacteurs sont à l’arrêt plus de trois mois. Mais en 2021, la centrale a tourné à plein régime, avec les trois réacteurs », explique Eric Dosogne, bourgmestre faisant fonction (ff) de Huy (Christophe Collignon étant ministre wallon).
Coupes budgétaires à droite et à gauche
Le magazine d’investigation Médor avait dressé le bilan financier de la ville, au printemps , se demandent où cet argent part tous les ans. S’est-il « atomisé »? Le constat est que les dépenses publiques sont aussi colossales que les entrées (et la Ville est d’autant plus endettée). La ville comptait au début de l’année 2020 362 équivalents temps-pleins comme employés communaux (asbl, police, hôpitaux, pompiers inclus). Cela correspond à un employé pour 58,3 habitants. A titre de comparaison, la ville de Braine-le-Comte, pour la même démographie, comptait un employé pour 168,4 habitants. Les dépenses pour le personnel représentaient, pour le budget 2020, 45% du total.
Mais aujourd’hui, le bourgmestre ff nuance et explique les épargnes. « On diminue les dépenses, et on recoupe des services communaux. On va mettre le CPAS et les services communaux dans un même bâtiment, on a mis un même directeur financier pour la commune et le CPAS, on ne remplace moins les personnes qui partent à la retraite, ou on combine encore des postes. » Les partenariats avec les autres communes sont aussi revus. La zone de secours s’étend sur plusieurs communes, et la Ville de Huy, « solidairement », injectait de l’argent pour 55% du budget de la zone. « Aujourd’hui on revient à ce qu’on doit véritablement donner, 15 à 20%, et on gagne déjà un million par an », continue le bourgmestre ff.
Des étapes du Tour de France (avec le fameux mur), des 15 août, des marchés de Noël, la commune organise aussi beaucoup de festivités, majoritairement sur fonds propres. Un nouvelle caserne de pompiers, un nouveau centre culturel, sans demander aucun subside. La ville compte aussi deux commissariats de police, distants d’un kilomètre, dépeignait encore Médor. Aujourd’hui, le bourgmestre affirme vouloir faire plus usage des subsides publics.
Beveren l’épargnante
En 2013, Huy avait décidé de créer le fonds pour le nucléaire, une sorte d’épargne des boni de l’argent du nucléaire. En 2020, il s’élevait à 15 millions (assez pour pouvoir survivre un an sans le nucléaire). Aujourd’hui, il contient 16,5 millions. De l’autre côté de la frontière linguistique, Beveren s’est un peu plus préparée pour l’après: l’épargne de la commune où se situe Doel pèse 40 millions.
Autre différence au nord du pays: Beveren taxe, depuis 2019, le stockage des déchets radioactifs sur le site de Doel. A Huy, c’est non: un texte dans ce sens a été refusé au Conseil Communal, en 2020. La ville entretient un convention de paix fiscale avec la centrale (où Engie prévoit, selon Médor, de stocker les déchets jusqu’en 2100), qui rapporte trois millions à la commune, et qui empêche alors d’émettre d’autres taxes. « Mais cette convention s’arrête en 2023, comme prévu, et on va alors la renégocier », explique Eric Dosogne. La taxe sur le stockage des déchets, ou d’autres taxes, pourraient alors être réfléchies.
Cap sur le futur financier
« Mais la sortie ne va pas se faire d’un instant à l’autre », tempère le bourgmestre ff. « Les trois réacteurs ne seront pas arrêtés en même temps. Et pour le précompte immobilier, on ne va pas passer de neuf millions à zéro. Toute l’activité de démantèlement va aussi nous rapporter de l’argent. »
Mais quelles autres entrées prévoit la Ville pour remplacer l’argent du nucléaire? « On n’a pas attendu la fin du nucléaire pour investir », entonne Eric Dosogne. La Ville veut développer son offre touristique, avec un entre autres un nouveau centre aquatique avec piscines, plages, jacuzzis etc., qui se termineront vers 2025. Elle mise également sur l’immobilier: avec des loyers issus de ses propriétés, avec des précomptes immobiliers (en moyenne de 1000 euros par an) à l’heure où la ville grandit et que de nombreuses nouvelles constructions sont planifiées ou en cours, avec d’autres lieux rachetés, comme un ancien supermarché, pour des partenariats.
Mais 15 millions, ça reste beaucoup d’argent. La ville pourra-t-elle trouver la juste balance? « Cela ne va pas être des budgets faciles à manoeuvrer dans les prochaines années, mais je reste optimiste », réfléchit Eric Dosogne. Il compare à d’autres villes, qui ont perdu les entrées des grandes industries, mais qui se portent aujourd’hui bien, parce qu’elles se sont transformées. « Il n’y a pas de raison que Huy ne réussisse pas cette mutation, comme elle l’a toujours fait au fil des siècles. Elle a toujours eu une existence importante au niveau du pays et de l’Europe, et il n’y a pas de raison que ça ne continue pas », remémore Eric Dosogne.