Un ancien espion nord-coréen réfugié à Séoul a accordé un entretien à la BBC. Il livre de nombreux secrets du régime des Kim, dont celui des drogues : le pays se serait renfloué en se consacrant à la production de crystal meth, plus aisée que l’opium traditionnel. Et la moitié de la population du pays serait maintenant sévèrement intoxiquée aux drogues produites localement.
Kim Kuk Song est un personnage véritablement fascinant : après 30 ans dans les hautes sphères des services d’espionnage de Corée du Nord, il a fait défection en 2014 face aux menaces de purge, et il vit depuis à Séoul, où les renseignements sud-coréens ont aisément trouvé à l’employer. Il n’a d’ailleurs jamais révélé son véritable nom.
Drogues en gros, sous-marins au détail
Mais pour la première fois, l’ancien sbire du régime des Kim a accepté de se livrer à un entretien avec la BBC. Et c’est là un article fascinant, plein de révélations sur le fonctionnement du régime nord-coréen du début des années 90 à nos jours, tant à l’intérieur de ses étanches frontières que dans ses relations avec le reste du monde. Politique de terrorisme d’État, assassinats à l’étranger et disgrâce mortelle à l’interne, ainsi qu’un rôle de plateforme incontournable du trafic d’armes, dont des mini-sous-marins à destination de l’Iran, tous les atours peu reluisants du pays-ermite y passent. Mais M. Kim s’est aussi attardé dans le rôle que joue son ancien pays dans l’économie des drogues dures.
Les rumeurs allaient bon train, pas toujours fiables et parfois franchement au second degré sur le rapport entre les drogues et la Corée du Nord. Mais selon l’ancien maître-espion, il y a là plus qu’un fond de vérité. Cette sordide histoire remonte à la période de la « Marche Ardue », ou de la « Marche des souffrances » comme, fidèle à une vieille doxa maoïste, le régime désigne publiquement la grande famine qui a frappé la Corée du Nord de 1994 à 1998. Une dure période pour le pays, confronté à la fois à une alternance de sécheresse et d’inondations entrainant des récoltes désastreuses, une gestion de crise calamiteuse, et à l’effondrement du bloc communiste. Cette crise aurait coûté la vie à un nombre de Nord-coréens compris entre 240.000 et 3,5 millions, selon des estimations toutes fort controversées, ainsi qu’à un pic du nombre de défections vers l’étranger.
Paradis artificiels pour oublier la faim
Dans ce contexte, le pays de Kim Jong-il, le père de l’actuel leader Kim Jong-un, cherchait par tous les moyens à renflouer ses caisses, selon Kim Kuk Song: « La production de drogues dans la Corée du Nord de Kim Jong-il a atteint un pic pendant la Marche ardue. A cette époque, le département opérationnel était à court de fonds révolutionnaires pour le leader suprême. Après avoir été affecté à cette tâche, j’ai fait venir trois étrangers en Corée du Nord, j’ai construit une base de production dans le centre de formation du bureau de liaison 715 du Parti du travail et j’ai produit de la drogue. C’était de l’ICE (de la crystal meth, ndlr). Nous pouvions l’échanger contre des dollars que nous fournissions ensuite à Kim Jong-il. »
Selon l’espion, ces billets verts n’étaient pas destinés à acheter des vivres à l’étranger pour soulager les Nord-Coréens, mais tout simplement à assurer le train de vie du dictateur, amateurs de belles voitures et de grandes villas.
Aussi populaire que la cigarette
La crystal meth est une drogue de synthèse aussi appelée méthamphétamine. Elle se présente sous une forme solide cristalline, incolore et inodore, qui peut rappeler du verre pilé ou de la glace, Elle se consomme généralement fumée dans une pipe, ou prisée, et elle est extrêmement addictive. Selon la BBC, la Corée du Nord en exportait bien durant les années 1990 et 2000. Le pays produisait aussi de l’opium en masse afin d’alimenter le marché noir mondial. On ne sait toutefois pas si ces trafics vers l’extérieur existent encore.
Sauf que depuis une quinzaine d’années selon des transfuges du régime stalinien, c’est la population locale qui s’est massivement mise à la méthamphétamine. Ce très puissant coupe-faim a d’abord soulagé les habitants soumis à de terribles privations. Mais depuis cette drogue est totalement entrée dans les mœurs, et près de 50% de la population adulte en consommerait, du moins dans les régions frontalières avec la Chine, selon une étude de 2013. Et la situation semble empirer depuis, Business Insider dévoilant que la crystal meth était même devenue un cadeau courant à s’échanger durant les fêtes de la nouvelles année lunaire, voire un produit de consommation aussi courant que les cigarettes.
Pourtant, la production et le commerce de drogues sont interdits et sévèrement sanctionnés dans en Corée du Nord… Officiellement. Car dans un pays aussi fermé et aussi isolé économiquement par les sanctions internationales, la drogue produite localement est tant une source d’évasion pour les consommateurs, qu’une source de revenu, y compris via la corruption, pour les autorités.