La politique, en on et en off, a rarement été aussi contrastée ces dernières 24 heures pour la Vivaldi. Alors que pendant la nuit, la relation toxique entre le PS et le MR a été exposée de manière douloureuse et inédite, avec un Premier ministre absent, Alexander De Croo (Open Vld), humilié pendant des heures par un « non-accord », ce qui s’est passé plus tard dans la journée s’inscrit parfaitement dans le « grand show Vivaldi ». La conférence de presse contenait tout un tas d’éloges mutuels et surtout une tentative de masquer les fissures. Lors du discours de la politique générale, le Premier ministre a fait ce qu’il avait à faire : il a pu prononcer son discours sans trop de soucis, la main sur le coeur, comme un chef de gouvernement doit le faire. Mais les applaudissements étaient hésitants et quelque peu forcés. Dans les couloirs, un constat s’impose : le conclave laisse des traces.
Dans l’actualité : La déclaration de politique générale est suivie du débat à la Chambre des représentants.
Les détails : L’opposition peut bien taper sur l’accord, mais la tension se situe en réalité au sein de la coalition.
- « Mou ». Un dirigeant de la coalition Vivaldi n’a pas été impressionné, juste après de discours sur l’état de l’Union. Et il faut bien le dire, ce n’était pas la meilleure prestation du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), d’habitude plutôt bon orateur. Ce n’est guère surprenant : le Premier ministre traversait une fin de négociation budgétaire éprouvante et a été privé de sommeil.
- Pendant des heures, le plus grand parti au pouvoir, le PS, a officiellement annoncé « qu’il n’y avait pas d’accord », tandis qu’un groupe d’autres partis a simplement affirmé le contraire.
- Il ne faut pas s’étonner que ce soit le MR et l’Open Vld (avec un Vincent Van Quickenborne très enthousiaste) qui aient voulu mettre le PS sous pression, en utilisant la tactique du fait accompli, et en disant simplement qu’il y avait « un accord ». Le fait qu’Ecolo, avec le vice-premier ministre Georges Gilkinet, ait utilisé la même approche et envoyé un communiqué, était plus surprenant.
- Que, de surcroît, le Premier ministre ait annoncé lui-même une conférence de presse à 11 heures, là encore c’était un fait accompli pour les partenaires de la coalition : cela a surpris tant les socialistes que les chrétiens-démocrates. Et plus encore : quand De Croo a décidé d’abandonner le navire du Kern pour se reposer.
- Au petit matin, la Vivaldi n’avait soudainement plus de capitaine. Tout à fait unique : un groupe de vice-premiers ministres, sans leur Premier ministre, qui doit conclure que le plus grand parti au gouvernement n’est pas à bord. Un certain chaos, comme nous vous le décrivions hier.
L’essentiel: l’ombre de Georges-Louis Bouchez (MR) et de Paul Magnettte (PS) a plané sur les discussions.
- Plusieurs vice-premiers ministres ne peuvent s’empêcher de voir la main du président du MR dans l’attitude de leur collègue, la vice-première ministre Sophie Wilmès (MR), qui était amenée à négocier. Dans un premier temps, les choses se sont déroulées sans encombre, mais bien après minuit, alors qu’il restait encore quelques points à éclaircir, Wilmès a claqué la porte. Motif: la remise en cause des avantages fiscaux pour le premier employé d’une entreprise.
- Mais ce n’est pas tout : elle a mis aussi en avant un point que Bouchez avait annoncé haut et fort dans la presse depuis des semaines : les chômeurs qui refusent une formation pour les emplois en pénurie devraient être pénalisés dans leurs allocations. Une proposition que le PS a déjà publiquement mise en pièces un nombre incalculable de fois, ce qu’il a fait une nouvelle fois à huis clos. Une tentative de De Croo de parler séparément à Wilmès et Pierre-Yves Dermagne, le vice-premier ministre PS, a été sans effet.
- Ce qui est tout aussi clair, c’est que Dermagne était en contact permanent avec son propre président, Paul Magnette (PS). Et il n’avait pas l’intention de céder beaucoup au MR. Pas la moindre ligne sur la punition contre les chômeurs, mais aussi très peu sur l’e-commerce, qui consiste à assouplir le travail de nuit et du week-end. Pour le PS, on pouvait discuter à propos des horaires allant de 20 heures à minuit, mais rien de plus. Ni sur le travail du week-end. « Cela a été indiqué très tôt, c’était une ligne rouge pour le PS. Personne ne pouvait être surpris », déclare fermement un initié.
- Ce qui s’en est suivi est le départ de Wilmès, pourtant ancienne Première ministre, de la réunion, avec le sens du drame nécessaire pour ce genre de manœuvres. De Croo consulte alors le MR par téléphone, obtient des concessions et revient. Il irrite les autres, le PS en tête : le jeu dans lequel le Premier ministre libéral se retrouve est bancal. Il doit « convaincre » sa propre famille politique de discuter: « Comment pouvez-vous parvenir à un accord si l’un des partis n’est tout simplement pas à la table des négociations ? »
- Au moment où De Croo décide de partir, les autres partenaires ne savent pas vraiment s’il y a un accord ou non. L’Open Vld fait le forcing, avec une sortie de Van Quickenborne à la presse qui l’attendait dehors. Un pari qui s’est avéré dangereux.
- Car l’humiliation que subit le PS en déclarant ouvertement « qu’il n’y a pas d’accord » est ressentie dans toute la coalition. Elle montre comment le plus grand parti de la coalition a laissé le Premier ministre tourner en rond pendant des heures, cherchant désespérément un accord. « Nous voulions de la clarté sur tous les détails, et nous ne l’avons pas eue », fait-on remarquer sèchement dans l’équipe de Dermagne, qui lui-même semble imperturbable le matin devant la presse et même de bonne humeur. « Notre position était la même depuis des heures », entend-on. Les socialistes refusent de porter le chapeau d’un soudain changement de position aux aurores.
- Quoi qu’il en soit, le PS finit par obtenir gain de cause : la question du travail de nuit et de week-end est renvoyée aux partenaires sociaux : à eux de décider. Mais encore une fois, seulement pour les horaires compris entre 20 heures et minuit.
- Dans le même temps, le MR obtient une petite concession : le système favorable du premier emploi pour une PME n’est pas supprimé mais simplement adapté (établissement d’un plafond pour un revenu plus modeste). C’est ainsi que l’incendie s’éteint : un accord que tout le monde trouve au final logique. Même si les libéraux francophones doivent avaler beaucoup de nouvelles petites taxes, ainsi qu’une intervention dans le régime fiscal favorable des footballeurs professionnels.
Ce qui a suivi : Une conférence de presse bien nécessaire pour faire passer le « bon message ».
- Outrée, l’opposition réagit de concert: que De Croo donne une conférence de presse quelques heures avant l’état de l’Union devant la Chambre, énerve au plus haut point. Les partis d’opposition N-VA, Vlaams Belang et PTB condamnent unanimement cette approche comme « un manque de respect manifeste pour le Parlement », allant jusqu’à provoquer le départ des nationalistes flamands (N-VA).
- De Croo a répondu, juste avant son intervention dans l’hémicycle, « que le gouvernement suédois avait également fait cela en 2016 », avec la N-VA à son bord. C’est exact, mais les circonstances étaient alors légèrement différentes : la déclaration de politique générale avait déjà été reportée après une crise au sein du gouvernement et s’est poursuivie pendant le week-end, avec une conférence de presse dès le samedi.
- Plus intéressant : la raison pour laquelle il y a eu une conférence de presse, à ce moment précis, avant l’état de l’Union, est sans doute à chercher ailleurs. Parce qu’un tel grand moment, où la presse obtient des scoops, comble parfaitement le vide. La presse est concentrée sur la conférence presse et n’est pas occupée à chercher des poux à la Vivaldi ou aux négociations bancales.
- En convoquant les sept vice-premiers ministres le mardi matin au « bunker », la salle de presse du Seize, et en jouant devant les caméras le rôle de l’harmonie et de la concorde, le Premier ministre a présenté une image complètement différente par rapport à la situation quelques heures plus tôt.
- Le fait que la conférence de presse dure plus d’une heure ? Parfait, elle aspire toute l’attention des médias. Et le Premier ministre ne souhaite pas qu’il y ait beaucoup de questions par la suite : l’accent doit être mis sur le positif. Le journal de 13 heures s’inscrit dans cette logique : la nuit semble oubliée, on se concentre sur le momentum à 11 heures dans le bunker.
- D’ailleurs, le fait que Van Quickenborne (Open VLD) s’enthousiasme publiquement de la coalition (« regering van de plusjes ») et plaisante sur la bonne ambiance et les crêpes qu’ils ont mangées ensemble, c’est un peu fort le café même pour les partenaires de la coalition. « Il faut le faire », font remarquer quelques-uns, du bluff total.
- Parallèlement, le Premier ministre parle d' »un accord historique ». Le théâtre fonctionne : l’image se transforme miraculeusement en quelques heures. La Vivaldi revit : perception is reality.
Et maintenant : Jusqu’où peut-on tenir avec un coup de bluff ?
- Le chaos, les tentatives de contraindre ses partenaires par des communications offensives et audacieuses, l’absence de gouvernail à un moment donné : il y avait beaucoup de choses à avaler, mardi matin, pour certains des partenaires de la coalition.
- « Cela ne peut vraiment pas se répéter. La préparation doit à tout le moins être meilleure. Vous ne pouvez pas conclure des accords en bluffant », a déclaré l’une des personnes directement concernées.
- « C’était vraiment le foutoir. À un certain moment, personne ne savait ce qui se passait. Ce ne sont pas des moments agréables pour un gouvernement. Parce que les personnes concernées gardent pour elles les informations au lieu de les partager avec leurs partenaires. C’est difficile de travailler de cette façon », a dit un autre.
- C’est surtout dans le camp rouge que les choses se corsent : « Nous avons été étonnés de la méthode utilisée, de la façon dont les gens essayaient de forcer les choses. »
- Mais il reste des vice-premiers ministres, et pas seulement des bleus, qui continuent aujourd’hui à défendre l’approche de De Croo : « Son approche était la bonne, il a bien construit en prêtant attention aux souhaits de tous les partenaires. »
- Le fait qu’il y ait eu une communication aussi soignée après le chaos du matin en dit long sur le talent politique de De Croo, et peut-être aussi de son lieutenant Van Quickenborne : il faut être capable de jouer un rôle avec la conviction nécessaire, même après ces moments difficiles.
- Mais la question est de savoir si le problème de fond, celui des partis francophones, et le manque de stabilité dans cette relation, ont été résolus avec cet accord. Tout indique le contraire.
- Et le coup de bluff n’aide pas. Par exemple, la question du travail de nuit, qui est désormais entre les mains des partenaires sociaux, semble loin d’être réglée. « Nous avons entendu Van Quickenborne affirmer des choses hier encore sur Terzake qui ne sont tout simplement pas vraies. », entend-on dans les couloirs du PS. Et c’est vrai pour d’autres dossiers.