Le MP3 devait être leur chant du cygne. Mais après une décennie de crise, les géants de l’industrie de la musique renouent avec des bénéfices faramineux grâce au secteur du streaming. Et à notre propre nostalgie pour de vieux morceaux.
Ce sont des géants, certains sont nés avec le marché grand public de la musique, il y a plus d’un siècle, et ont gravé toutes les tendances dans la cire, le vinyle, puis le plastique. Et on pensait que ces titanesques industries du XXe siècle étaient mortes, mais au contraire : Sony, Universal, et Warner, les « Big Three » de la musique, se portent très bien.
Et pourtant, elles reviennent de loin : le secteur, qui se reposait massivement durant les années 90 sur un support plutôt récent, le compact disque, ou CD, n’a pas anticipé la révolution numérique. L’arrivée de l’envoi de fichiers par MP3 a permis l’échange rapide de la musique sur le Web à partir de 2003, ouvrant la porte à toute une décennie de piratage et de copies illégales ultra-démocratisées pour le plus grand nombre. Ce fut une crise sans précédent pour les grands noms du secteur, qui a été fatale à EMI, PolyGram ou encore BMG, tous rachetés par leurs concurrents pour laisser la place aux trois derniers survivants de l’âge des titans du disque. Le marché mondial de la musique a reculé de 32% entre 2003 et 2013. Jusqu’à l’annus horribilis de 2014, avec un gouffre à petits 14 milliards de dollars seulement pour l’ensemble du secteur.
L’investissement Bob Dylan
Et les « Big Three » ont attendu que des jours meilleurs arrivent, conservant farouchement leurs acquis : des droits de diffusion sur des milliers de chansons, des pans entiers de l’histoire de la musique même. Qui se sont révélés être une nouvelle mine d’or, et du genre durable : l’avènement du streaming et des firmes spécialisées dans ce genre de distribution, comme Spotify, ont offert une nouvelle valeur aux grands classiques du siècle dernier. Une manne financière bienvenue, et durable, tant certaines chansons restent indémodables d’une génération à l’autre.
L’argent du streaming offre aux majors les provisions nécessaires pour investir dans de nouveaux artistes, mais sur le Web cette fois-ci. Cela coûte finalement bien moins cher de les lancer sur YouTube plutôt que de décider du pressage de milliers de disques qui ne se vendront pas forcément. Selon le Financial Times, l’abandon du disque physique a fait grimper la marge bénéficiaire de 16 à 20% entre 2018 et 2020.
Et les majors font partie des rares gagnants du coronavirus, car durant le confinement, les gens ont eu besoin de musique pour s’évader un tant soit peu. Avec, selon une étude du cabinet Nielsen, une large préférence pour d’anciens artistes, de Bob Dylan à Bob Marley. Encore des revenus qui tombent dans l’escarcelle des « Big Three » qui en détiennent les droits. Jusqu’à ouvrir la voie à une véritable spéculation sur les quelques titres non protégés, dont la valeur peut exploser en quelques années. Dylan, justement, a cédé l’ensemble des droits sur ses chansons à Universal en décembre 2020, pour 300 millions de dollars. Une somme que la firme compte de toute évidence faire fructifier.
Le vinyle, éternel survivant
L’amour d’une large part du public, même jeune, pour des artistes plus anciens profite aussi aux ventes de vinyles. Car les bons vieux 45 tours sont aussi revenus d’entre les morts, envers et contre tout. Depuis 2019, ils représentent une part plus importante des ventes que le CD qui devait l’enterrer. Mais si, là aussi, les majors peuvent jouer de leurs droits pour presser des rééditions et occuper à nouveau les rayons des disquaires, les vinyles ne représentent pas un potentiel de croissance équivalent au streaming.
Présumées mortes au tournant du siècle, ces entreprises musicales vivent un grand retour de la rentabilité : elles refont des bénéfices avec un taux de croissance à deux chiffres. Warner Music affiche ainsi 32,7% au troisième trimestre 2021 par rapport à l’année précédente.
Reste à mieux rémunérer les artistes, ce que le streaming ne fait pas. Entre la TVA, les droits d’auteurs des maisons de disques et les divers intermédiaires, ceux-ci sont les derniers à toucher leur part du gâteau. Ou plutôt quelques miettes : la rémunération à l’écoute oscille entre 0,00154 $ sur YouTube, 0,00348 $ sur Spotify, ou encore 0,00675 $ sur Apple Music. L’application la plus généreuse étant Napster, avec 0,00916 $ pour l’artiste. Et comme 1% des artiste capte 90% des écoutes, ils sont vraiment très peu à pouvoir s’y retrouver dans cette nouvelle face d’une industrie qui n’a jamais été réputée pour choyer les musiciens.
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