‘Ce que nous faisons ne change pas grand-chose, nous serons tous infectés par le coronavirus’, a déclaré l’épidémiologiste suédois Johan Giesecke, dans une interview accordée au média argentin Infobae.
Giesecke est un épidémiologiste de renommée mondiale qui conseille le gouvernement suédois dans la crise du coronavirus. Désormais âgé de 70 ans et à la retraite, il a été le tout premier scientifique en chef du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et également conseiller auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La Suède est à part dans la communauté internationale en ce qui concerne la lutte contre le coronavirus et a adopté une approche différente et unique. Les écoles, les cafés, les bars et les restaurants sont restés ouverts. Les rassemblements de 50 personnes maximum ont continué à être autorisés. On a considéré que les citoyens étaient suffisamment responsables pour respecter la ‘distanciation sociale’. Pas plus tard que la semaine dernière, des mesures supplémentaires ont néanmoins été introduites pour mieux protéger les personnes âgées. Le gouvernement a admis ne pas avoir réussi à garder le coronavirus hors des maisons de repos.
Lockdown or not lockdown ?
Pourtant, les résultats suédois ne sont certainement pas pires que ceux des pays qui ont opté pour un lockdown strict. Malgré ses plus de 10 millions d’habitants, le pays compte moins de 28.000 cas confirmés et 3.460 décès pour l’instant. À titre de comparaison, la Belgique compte un nombre similaire d’habitants, mais deux fois plus de cas confirmés et de décès (avec une densité de population beaucoup plus élevée toutefois).
En dépit des critiques croissantes envers son pays, Johan Giesecke maintient que des mesures de confinement strict ne sont pas d’une grande utilité. Les chiffres suédois sont comparables à ceux qui ont été enregistrés dans des pays comme la France, l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Italie, où des lockdowns ont pourtant été instaurés.
Le scientifique suédois compare la pandémie à un incendie. ‘Quoi que nous fassions, ça ne change pas grand-chose, nous serons tous infectés.’ Selon lui, 98% des personnes infectées ne cherchent pas à se faire aider. ‘Elles sont peut-être malades, mais elles ne se rendent pas pour autant dans un hôpital.’
Selon Johan Giesecke, comparer les résultats et les stratégies des différents pays n’aura de sens qu’après un délai d’un an. Ce que font tous ces pays n’aurait que peu d’importance. Parce que tout le monde sera infecté tant qu’il n’y aura pas de vaccin. Aujourd’hui, nous ne savons même pas si la fermeture des écoles aura un effet quelconque. Pareil pour la fermeture des frontières ou pour l’interdiction de circuler à l’extérieur. Ces mesures ne font que retarder l’infection selon le scientifique.
Un verrouillage est-il une bonne chose? ‘Regardez la Belgique’
L’épidémiologiste suédois évoque également les critiques que la Suède encaisse parce que les autres pays scandinaves auraient obtenu de meilleurs résultats, notamment concernant le taux de mortalité. ‘Lorsque nous nous comparons au Danemark, à la Norvège et à la Finlande, notre taux est plus haut. Mais lorsque nous nous comparons à un pays comme le Royaume-Uni, où un lockdown total a été déclaré, nous faisons beaucoup mieux. Un confinement est-il une bonne chose? ‘Regardez la Belgique, elle a un taux de mortalité plus élevé, tout comme l’Irlande. Avec un confinement total, ces pays devraient obtenir de meilleurs résultats, non?’
D’autres épidémiologistes se montrent tout de même moins catégoriques que Johan Giesecke. Interrogé par le Financial Times sur l’approche suédoise, le professeur d’épidémiologie à l’université de Lund, Paul Franks a déclaré que ce qui était considéré aujourd’hui comme une réussite pourrait plus tard être perçu comme un échec. Le taux de mortalité bien plus élevé en Suède que dans les pays nordiques voisins ‘n’est pas bon signe… Je ne dirais pas, à l’heure actuelle, que l’approche de la société ouverte semble avoir vraiment bien fonctionné’, a-t-il estimé.
Par contre, il confirme qu’il est possible qu’en assouplissant leurs restrictions d’autres pays se mettent à ‘rattraper leur retard’ sur le long terme par rapport à la mortalité, a-t-il dit.
Johan Giesecke indique également que les épidémiologistes norvégiens et danois ont déconseillé le confinement. Mais la politique a pris le dessus et les deux pays ont fini par se confiner.
Le scientifique suédois comprend que les politiciens doivent agir et affirmer leur pouvoir en imposant des mesures fortes. Mais cela a finalement conduit à un concours pour savoir qui introduirait les mesures les plus strictes. Selon Johan Giesecke, malgré tous les efforts, seules deux mesures ont prouvé scientifiquement leur efficacité: se laver les mains et garder ses distances.
Laisser les jeunes circuler
Selon lui, seules les personnes âgées et vulnérables, qui ont déjà des maladies préexistantes, devraient être protégées. Les jeunes, eux, devraient être libres de circuler afin qu’ils puissent développer une résistance au virus et ainsi acquérir une immunité de groupe. Aujourd’hui, 25% des Suédois ont déjà des anticorps. D’ici la fin du mois de mai, le pays espère atteindre 40%. Mais cela va coûter des vies, reconnait Johan Giesecke. ‘Pendant le déconfinement, de nombreux pays devront faire face à des décès que nous avons déjà eus.’
En outre, l’affaiblissement de la courbe qui est actuellement mesurée dans divers pays européens est autant le résultat du décès prématuré des personnes les plus vulnérables que du confinement lui-même, estime-t-il encore.
Et enfin, Johan Giesecke juge que le moment est venu de supprimer progressivement les lockdowns et d’évaluer les données statistiques sur les infections et les décès. ‘En Chine, on peut tenir les gens en laisse, mais pas en Occident. Si cela prend trop de temps, ils se rebelleront. Lorsque nous redonnerons aux citoyens plus de liberté, il y aura à nouveau plus d’infections et plus de décès’.