le Premier ministre japonais Shinzo Abe veut braver un tabou : faire entrer 500 000 migrants

Mardi, les Japonais se rendront aux urnes pour les élections législatives. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, brigue un nouveau mandat à la tête de son pays, avec la ferme intention de s’attaquer au problème de la pénurie de main d’oeuvre du pays. Son parti s’apprête à dévoiler une mesure révolutionnaire : accueillir des migrants.

Abe voudrait accorder des visas à près de 500 000 travailleurs très qualifiés sur les 5 prochaines années, et leur permettre de s’installer au Japon avec leurs familles… mais à titre provisoire, car la résidence ne leur serait pas accordée. Cinq secteurs pourraient profiter de cette main d’oeuvre étrangère : l’agriculture, la construction, les soins de santé, l’industrie hôtelière et la construction navale.

Un pays hostile à l’immigration

Ce projet suscite la polémique dans un pays qui s’est toujours opposé à l’immigration. Le Japon est une société très homogène sur le plan ethnique. En effet, la politique migratoire japonaise est l’une des plus strictes du monde. On ne comptait que 2 % de résident étrangers dans le pays en 2016, contre 10 à 15 % dans les pays occidentaux. Le pays n’accorde guère plus de 14 000 naturalisations par an. Le Japon refuse 99 % des demandes d’asile, et l’année dernière, il n’a accueilli que 20 réfugiés… En outre, la plupart de ces immigrés (80 %) sont des Asiatiques.

Les étrangers qui tentent tout de même leur chance au pays du Soleil Levant s’exposent à des difficultés d’intégration sur le marché du travail. Selon une enquête menée par le ministère japonais de la Justice, 30 % des étrangers affirment avoir été victimes de pratiques discriminatoires. 25 % ont affirmé s’être vu refuser un emploi car l’employeur ne souhaitait travailler avec aucun travailleur étranger.

L’opinion publique reste opposée à l’immigration précisément parce que les Japonais sont convaincus que l’harmonie de leur pays repose sur ‘une nation, une civilisation, une langue, une race’, conformément aux propos sans réserve tenus il y a quelques années par Taro Aso, l’actuel vice-Premier ministre et ministre des Finances.

Un sondage réalisé l’année dernière par le Pew Research Center montre que 57 % des Japonais pensent que la diversité risque de nuire à la qualité de vie de leur pays. En outre, le plan d’Abe inquiète également les syndicats qui redoutent que les immigrés provoquent une baisse des salaires.

Une grave pénurie de main d’oeuvre

Abe prend donc un risque politique important, en ouvrant le marché du travail aux étrangers. Le Japon n’a pas connu l’ascension des partis radicaux comme on peut l’observer dans de nombreux pays européens, parce que les inégalités de revenu y sont plus faibles qu’ailleurs, mais aussi parce qu’il y a peu d’immigrés dans le pays, ce qui élimine l’argument-clé favori de ce type de mouvement.

Mais les Japonais devront sans doute comprendre qu’ils n’ont guère le choix. Les départs en retraite massifs des baby-boomers ont généré une grave pénurie de main d’oeuvre, car il n’y a pas assez de jeunes pour combler les postes vacants. Chaque année, la main d’œuvre japonaise se réduit de près de 700 000 personnes.

Ainsi, le rapport entre le nombre d’emplois offerts pour le nombre de candidatures était de 1,48 l’année dernière, ce qui signifie qu’il y avait 148 postes à pourvoir pour 100 candidats. La dernière fois que ce ratio était comparable, c’était pendant les  Trente Glorieuses, une période de forte croissance économique qui s’est étendue jusqu’au premier choc pétrolier, au milieu des années septante. Il avait alors atteint 1,53, avant descendre à 0,55 avec la crise du pétrole.

C’est surtout dans le secteur des services que cette pénurie de main d’œuvre est particulièrement  marquée. Des restaurants et des boutiques ont été contraints de réduire leurs heures d’ouverture pour s’adapter à un effectif trop restreint. Mais on manque également de routiers, de maçons et d’employés du bâtiment, de médecins et d’infirmières.

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