Une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), basée sur la fuite de 715.000 documents, accuse Isabel dos Santos, fille de l’ex-dirigeant angolais José Eduardo dos Santos, d’avoir ‘siphonné les caisses’ du pays pour bâtir sa fortune estimée à 2 milliards de dollars.
Les médias membres du ICIJ, et notamment la BBC, Le Monde et le New York Times, ont dévoilé dimanche les ‘Luanda Leaks’, une enquête au long court qui entend révéler ‘comment une armée de sociétés financières occidentales, d’avocats, de comptables, de fonctionnaires et de sociétés de gestion ont aidé [Isabel dos Santos] à cacher des avoirs aux autorités fiscales’, comme l’écrit le quotidien français. Les quelques 700.000 documents sur lesquels se base l’enquête ont été obtenus par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique.
Fille aînée de l’ancien président José Eduardo dos Santos, celle que l’on surnomme la ‘princesse de Luanda’ (du nom de la capitale angolaise) était déjà dans le collimateur de la justice de nombreux pays. Le Portugal et Monaco, notamment, ont ouvert une enquête début janvier pour blanchiment d’argent public. En décembre dernier, les comptes bancaires et les actifs dans des entreprises angolaises de Mme dos Santos avaient par ailleurs été gelés suite au lancement d’une enquête pour corruption en Angola. L’enquête du ICIJ l’accable encore un peu plus en révélant des détails inédits sur les montages financiers auxquels cette femme de 46 ans a eu recours. Le Monde évoque une ‘nébuleuse composée de 400 sociétés identifiées dans 41 pays’, ainsi que d’un ‘schéma d’accaparement des richesses publiques’.
La BBC décrit comment Isabel dos Santos, qui réside à Londres, a eu accès à des transactions lucratives liées au pétrole, aux diamants, à l’immobilier ou encore aux télécommunications lorsque son père était à la tête de l’Angola. Pour rappel, José Eduardo dos Santos a dirigé sans partage ce pays d’Afrique australe pendant 38 ans, entre 1979 et 2017.
Pétrole
En 2016, Isabel dos Santos a été parachutée à la tête de l’entreprise pétrolière d’État Sonangol par son père. Mais peu après le retrait de ce dernier de la vie politique, elle a été licenciée.
Les documents qui ont fuité montrent que Mme dos Santos a approuvé, au moment de son départ, plusieurs paiements suspects d’un montant total de 58 millions de dollars à une société de consultance basée à Dubaï, Matter Business Solutions. Cette dernière serait, selon les documents, dirigée par son directeur commercial et la propriété d’un de ses amis.
Par ailleurs, l’enquête du Consortium met en lumière le fait qu’une grande partie de la fortune d’Isabel dos Santos découle des parts qu’elle possède dans la société d’énergie portugaise Galp, que l’une de ses entreprises avait rachetée à Sonangol en 2006. Les ‘Luanda Leaks’ montrent que seuls 15% du montant total de l’acquisition avaient été payés au moment de la vente. Les 70 millions de dollars restant avaient été transformés en un prêt à taux bas particulièrement avantageux.
La participation d’Isabel dos Santos dans Galp est désormais estimée à 750 millions de dollars.
Diamants
Les transactions troubles d’Isabel dos Santos concernent également son mari, Sindika Dokolo. Ce dernier a signé en 2012 un accord avec l’entreprise diamantaire d’État Sodiam. Les deux parties devaient s’associer à 50-50 dans le rachat d’une participation au capital du joaillier suisse De Grisogono.
Un an et demi après le deal, Sodiam avait mis sur la table 79 millions de dollars, alors que Sindika Dokolo n’avait lui déboursé que 4 millions, révèlent les ‘Luanda Leaks’. M. Dokola aurait par ailleurs bénéficié d’une prime de 5 millions de dollars pour avoir arrangé la transaction.
Et ce n’est pas tout puisque pour financer l’investissement, Sodiam aurait contracté un prêt auprès d’une banque privée dont Isabel dos Santos est l’actionnaire principale.
‘Au final, lorsque nous aurons terminé de rembourser ce prêt, Sodiam aura perdu plus de 200 millions de dollars’, explique à la BBC Bravo da Rosa, le nouveau CEO de Sodiam.
Immobilier
Au niveau foncier, les documents montrent qu’Isabel dos Santos a racheté à l’État, en septembre 2017, un terrain d’une valeur de près de 100 millions de dollars et situé sur le front de mer de la capitale Luanda.
Là encore, l’entreprise appartenant à Mme dos Santos qui a réalisé la transaction n’a payé que 5% du montant total, s’engageant à investir le reste de la somme dans le développement du site.
Bon nombre d’Angolais qui vivaient sur ce terrain ont été expropriés et déplacés dans une zone à environ 50 kilomètres de la capitale.
Télécommunications
Enfin, Isabel dos Santos a également constitué une grosse partie de sa fortune dans le secteur des télécommunications en acquérant 25% des parts du plus grand opérateur de téléphonie mobile du pays, Unitel. L’entreprise avait reçu de la part du président José Eduardo dos Santos une licence en 1999. Moins d’un an après, sa fille rachetait ses parts à un officiel de haut rang du gouvernement, affirme l’article de la BBC.
Mme dos Santos se serait également arrangée pour qu’Unitel accorde un prêt de 350 millions de dollars à une nouvelle compagnie qu’elle avait fondée, Unitel International Holdings.
Les documents qui ont fuité montrent qu’Isabel dos Santos a signé les contrats de ce prêt à la fois en tant que prêteur et emprunteur…
‘Chasse aux sorcières’
Dans The Guardian, l’avocat d’Isabel dos Santos a réfuté les accusations de l’ICIJ. Il dénonce une ‘attaque parfaitement coordonnée’ par l’actuel président angolais, Joao Lourenço. Ce dernier mène depuis plusieurs mois une vaste campagne de lutte anticorruption.
De son côté, la principale intéressée a déclaré à la BBC que toute cette affaire était une ‘chasse aux sorcières’ dont le but était de la discréditer, ainsi que son père.