Au cœur des discussions avec la Chine, le porc sera un sujet majeur. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) y rencontrera le Premier ministre Li Qiang, et surtout le président Xi Jinping. Cette visite coïncide avec plusieurs événements : l’inauguration d’un nouveau bâtiment pour l’ambassade belge à Pékin et la présidence belge de l’UE pour six mois. De Croo aura donc l’occasion d’aborder les dossiers européens durant son séjour de deux jours, sans tabous, y compris sur les droits de l’homme, dit-il. En pleine actualité, il ne pourra éviter la question de l’espionnage chinois, notamment au sein de Vlaams Belang, sujet qu’il avait déjà évoqué au Parlement. Néanmoins, la visite se concentrera principalement sur les relations commerciales, avec la participation de dirigeants d’entreprises telles que Volvo, AB Inbev, Solvay et Bekaert. La Belgique cherche à réduire son déficit commercial avec la Chine, qui s’élève à 27 milliards d’euros, en encourageant l’ouverture des marchés chinois aux produits belges, en particulier les têtes, pattes et museaux de porc, très prisés en Chine, mais dont l’exportation est bloquée depuis 2018 en raison de la peste porcine. Lode Ceyssens, le chef de la Boerenbond, accompagnera également De Croo. Contrairement à la Chine, la question de Gaza crée des tensions au sein de la coalition. La gauche et le cd&v souhaitent se joindre à une plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice à La Haye. Cependant, les libéraux ne sont pas convaincus de la pertinence de cette démarche.
Dans l’actualité : Des opportunités commerciales existent avec la Chine, mais des décisions importantes restent à prendre au sein du kern.
Les détails : La Belgique envisage de se joindre à l’Afrique du Sud dans une action en justice contre Israël devant la Cour internationale de justice. C’est la position de Groen, Ecolo, Vooruit, PS et cd&v. Toutefois, la décision, prévue pour la semaine prochaine, ne fait pas l’unanimité. Par ailleurs, plusieurs nominations, dont celle de Didier Reynders (MR), sont toujours en discussion. Le Premier ministre De Croo partira pour Pékin en fin de journée, le temps presse donc.
- « Nous irons en Chine une fois par an », avait déclaré Alexander De Croo en octobre 2020, lorsqu’il est devenu Premier ministre, définissant ainsi sa politique étrangère pour les années à venir. Déterminé à renforcer et améliorer les relations avec la Chine, il considère ce pays comme un partenaire stratégique pour l’avenir.
- Cependant, les visites se sont raréfiées : la dernière visite d’un Premier ministre belge à Pékin remonte à 2016 avec Charles Michel (MR). En 2019, une mission commerciale dirigée par la princesse Astrid a eu lieu, mais depuis, les relations diplomatiques entre la Belgique et la Chine sont restées tièdes.
- Plusieurs facteurs géopolitiques expliquent cette situation :
- La gestion initiale de la COVID-19 par la Chine a érodé la bonne volonté occidentale envers Pékin.
- L’affirmation croissante de la Chine en tant qu’acteur mondial, notamment ses revendications sur Taïwan, ont exacerbé les tensions.
- Le soutien de facto de la Chine à Vladimir Poutine dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie.
- La détérioration des droits de l’homme, en particulier à Hong Kong, au Tibet, et le traitement des Ouïghours dans le Xinjiang, qualifié de « génocide » par les États-Unis et de « crimes contre l’humanité » par l’ONU.
- En Belgique, le scandale d’espionnage impliquant l’ancien député du Vlaams Belang, Frank Creyelman, recruté et rémunéré par Daniel Woo, a également soulevé des préoccupations. Son frère et député Steven Creyelman (Vlaams Belang) a été impliqué, et a dû se retirer en tant que président de la commission des achats militaires à la Chambre. Des enquêtes de la Sûreté de l’État sont en cours.
- De Tijd révèle aujourd’hui de nouveaux messages impliquant d’autres membres du Vlaams Belang. Creyelman aurait « vendu » aux Chinois toute une série de noms de parlementaires du Vlaams Belang, qu’il considérait tous comme influençables. Filip Dewinter (Vlaams Belang) est explicitement mentionné, mais selon Creyelman, il aurait été « plus prudent, car il a eu quelques problèmes il y a quelques années en rapport avec la Chine ».
- Face à ces enjeux, De Croo, qui avait déjà exprimé au Parlement son intention de discuter des tentatives d’espionnage avec les autorités chinoises, devra naviguer entre coopération et vigilance : « La Chine est parfois un partenaire, parfois un concurrent et parfois un rival. Mais cela signifie que nous devons collaborer dans certains domaines, mais qu’une énorme vigilance est nécessaire dans d’autres », avait commenté De Croo à l’époque.
- D’ailleurs, des mesures de sécurité strictes sont prévues pour la délégation belge en Chine, notamment la limitation de l’utilisation des smartphones et des précautions contre l’espionnage électronique. Les membres de la délégation ne doivent en aucun cas charger leurs appareils via des ports USB, et l’utilisation du bluetooth et du wifi est fortement déconseillée.
Pourtant : il s’agit principalement d’une mission économique.
- La chicorée, les poires et les abats de porc constituent les principaux produits que la Boerenbond et Lode Ceyssens souhaitent exporter davantage vers la Chine. Ce dernier point est crucial : en Chine, les pattes, têtes, oreilles et museaux de porc sont considérés comme des mets fins, alors qu’en Belgique, leur valeur est négligeable.
- Toutefois, depuis 2018, les exportations sont bloquées suite à la fermeture des frontières chinoises à l’importation de porc, en raison de la peste porcine africaine. La réouverture de ces frontières est donc essentielle.
- Le contexte global est évident : le déficit commercial de la Belgique avec la Chine est colossal, s’élevant à 27 milliards d’euros. De Croo espère voir les Chinois rectifier ce déséquilibre.
- L’importance des importations belges est en partie liée à l’établissement d’un hub par Alibaba, le géant chinois du e-commerce, à Liège. L’aéroport, centre névralgique de ce hub, fait partie de la délégation en partance pour la Chine. Cette importation a entraîné son lot de problèmes, notamment de fraude douanière, face auxquels les douanes belges sont dépassées.
- Le fait que la mission se concentre sur l’économie ne fait pas l’unanimité au sein de la coalition. Dans Het Nieuwsblad, Els Van Hoof (cd&v), présidente de la commission des Affaires étrangères à la Chambre, exprime de sérieuses réserves : « Je ne me rendrais pas personnellement en Chine en ce moment. (…) Cela envoie un mauvais signal juste avant les élections à Taïwan qui se tiendront samedi, surtout avec la menace chinoise envers Taïwan. Il ne faut pas donner l’impression de se ranger du côté de la Chine », affirme-t-elle.
- Reste à savoir si Van Hoof et la Chambre ont une influence significative sur les décisions de politique étrangère du Premier ministre ou de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR), seule ministre accompagnant la délégation. Par le passé, cela ne semble pas avoir été le cas.
En attendant : les débats au sein du kern sur les droits de l’homme en Palestine sont particulièrement houleux, l’unanimité fait défaut.
- La tension liée au conflit entre Israël et le Hamas au Moyen-Orient se fait ressentir depuis longtemps au sein du gouvernement. Un déplacement du Premier ministre dans la région conflictuelle à la fin de l’année dernière a quelque peu apaisé les tensions, mais un nouveau point de discorde émerge au sein de la coalition Vivaldi. Cette fois, il concerne la Cour internationale de justice à La Haye, à ne pas confondre avec la Cour pénale internationale (cette dernière traitant des individus, la première des États).
- Dans ce contexte, Groen, avec la vice-première ministre Petra De Sutter (Groen), a intensifié la pression hier, suite aux déclarations de la présidente Nadia Naji (Groen). « La Belgique ne peut rester passive face à ce qui se passe à Gaza. Cela ressemble de plus en plus à un génocide. C’est pourquoi je propose que notre pays, comme l’Afrique du Sud, se tourne vers la Cour internationale de justice. C’est ce que je vais soumettre au gouvernement », a déclaré la vice-première ministre, sur X, dans un message qui a été vu par plus d’1,6 million de personnes. Peu après, le vice-premier ministre d’Ecolo, Georges Gilkinet, a exprimé une demande similaire.
- Le PS et Vooruit ont également rejoint cette position, tout comme, de manière plus surprenante, le cd&v : Van Hoof souhaite clairement influencer la décision. « Nous devons juger sur la base de faits. La Cour internationale de justice est en mesure de le faire grâce à une enquête », a-t-elle indiqué à Belga. La ministre Vooruit de la Coopération au développement, Caroline Gennez, a affirmé ce matin sur Radio 1 que les actions israéliennes « semblent être un génocide, un nettoyage ethnique ». Elle aussi veut saisir la Cour internationale de justice.
- De manière étonnante, elle a particulièrement critiqué les Allemands dans Knack, qui freinent considérablement en Europe sur la question d’Israël : « Chers amis allemands : allez-vous vraiment vous retrouver du mauvais côté de l’histoire une seconde fois ? Allons-nous rester spectateurs si un nettoyage ethnique devait se produire ? N’était-ce pas censé être ‘nie wieder‘ (« plus jamais ça », ndlr.) ? J’espère donc que les Allemands examineront la situation en profondeur, sans être influencés par leurs propres traumatismes historiques. » Ces propos ont suscité l’indignation de l’opposition. Le député Michael Freilich (N-VA) a commenté : « Assimiler Israël à l’Allemagne nazie est choquant et offensant. J’espère que Gennez reconnaîtra son erreur et retirera ses paroles ».
- Cependant, le PS et Vooruit continuent de faire pression : juste avant midi, ils ont publié un communiqué de presse conjoint. Ils y déclarent que la Belgique, qui mène la présidence tournante de l’UE, « doit mettre cette affaire à l’agenda européen et international » et « prendre les mesures nécessaires ». Ils demandent notamment :
- Un « cessez-le-feu immédiat ».
- Un « accès complet à l’aide humanitaire à Gaza ».
- La « libération immédiate des otages » détenus par le Hamas.
- Et « des négociations diplomatiques pour mettre fin au conflit ».
- Ainsi que « la reconnaissance immédiate de l’État d’Israël par la communauté internationale ».
- La question demeure : la Vivaldi parviendra-t-elle à s’aligner sur l’Afrique du Sud, qui a saisi la Cour internationale de justice pour examiner si les actions d’Israël pourraient constituer un génocide ? Le choix de l’Afrique du Sud pour déposer la plainte n’est pas anodin, compte tenu de ses récents exercices militaires avec la Russie et de sa position clairement anti-américaine.
- Le Premier ministre ne souhaite pas aborder cette question avant son départ pour la Chine. « Il n’y a pas d’unanimité à ce sujet, ce n’est pas le moment d’en discuter », peut-on entendre dans l’entourage du Seize. Du côté libéral, on est encore plus direct : « Cela doit être plus qu’une simple déclaration politique, et nous n’en sommes pas encore convaincus », affirme un membre du kern. On souligne également qu’une enquête est déjà en cours, indépendamment de la plainte de l’Afrique du Sud, menée par le Britannique Karim Khan, procureur à la Cour pénale internationale, spécifiquement sur les crimes de guerre/crimes contre l’humanité dans le conflit à Gaza. Cette démarche semble juridiquement plus solide.
Par ailleurs : Plusieurs nominations de haut niveau restent à finaliser au sein de la Vivaldi, y compris la candidature de Didier Reynders (MR).
- Une réunion cruciale du kern est prévue cet après-midi, non pas pour discuter d’Israël et de l’Afrique du Sud, mais pour trancher sur les nominations de plusieurs top jobs, en attente de décision depuis décembre. Ces nominations sont en suspens car Vooruit, avec son vice-Premier ministre Frank Vandenbroucke, a exercé son droit de veto, conditionnant son approbation à la mise en œuvre de son dossier sur la limitation des suppléments d’honoraires pour les médecins.
- Cette approbation, qu’il attendait du MR, n’a pas été accordée. Par conséquent, Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale et affilié aux libéraux francophones, n’a pas reçu l’aval nécessaire. Ce refus a par la suite bloqué une série d’autres nominations importantes.
- Cela concerne les dirigeants du SPF Finances, du SPF Justice, de la Chancellerie, des services de sécurité tels que la Sûreté de l’État, l’OCAM, l’ADIV, la police fédérale, le parquet fédéral, ainsi que des postes de direction chez Belfius et Brussels Airport.
- Dans ce contexte, Didier Reynders, l’actuel commissaire européen à la Justice, se retrouve également impliqué. Son retour en Europe semble compliqué : il ne se présentera pas sur la liste européenne du MR, car son éternel rival, Charles Michel (MR), y occupe la tête de liste, à la grande frustration des milieux européens. Pour cela, Michel doit abandonner prématurément son poste de président du Conseil européen.
- Reynders est à présent candidat au secrétariat général du Conseil de l’Europe, un organisme de défense des droits de l’homme basé à Strasbourg. La Belgique doit officiellement proposer Reynders pour ce poste : le MR devra donc accepter de faire certaines concessions lors du Conseil des ministres restreint.
- Les chances de Reynders sont actuellement jugées élevées, du moins selon Rik Daems (Open Vld), lui-même longtemps actif au Conseil de l’Europe. Dans La Libre, il anticipe que Reynders sera couronné de succès cette fois-ci.
- En 2019, Reynders avait recueilli 105 voix, contre 159 pour Marija Pecinovic-Buric, la Croate qui occupe actuellement la présidence.
- D’après Daems, la situation serait différente aujourd’hui, même si elle se représente : par exemple, les seize membres russes qui avaient voté pour elle sont désormais suspendus.
- De plus, la composition du Conseil a considérablement évolué depuis cinq ans.
- En outre, Reynders a excellé en tant que commissaire européen, ce qui, selon les libéraux, a renforcé sa réputation.