Coup de théâtre à Louvain-La-Neuve. Charles Michel (MR) tirera la liste européenne du MR. Une place qui devrait lui garantir un siège de député au Parlement européen en juin prochain, ce qui est incompatible avec sa fonction actuelle de président du Conseil européen. Il faudra donc lui trouver un remplaçant dans les temps, sans quoi Viktor Orban, Premier ministre hongrois, qui dirigera à ce moment-là la présidence tournante de l’UE, pourrait jouer le rôle de chef d’orchestre, lors des Sommets européens. Ce qui ne fait rire personne. La décision de Charles Michel et du président du MR, Georges-Louis Bouchez, fait également une autre victime : le rival de toujours, Didier Reynders.
Dans l’actu : Charles Michel surprend tout le monde, comme souvent.
Le détail : cette annonce va-t-elle obliger Alexander De Croo à se découvrir plus tôt que prévu, pour se porter candidat à un poste international ?
- Dimanche matin, « plus de 1.000 militants » étaient présents à l’Aula Magna pour entamer la tournée des vœux du MR. Les têtes de liste du Brabant wallon y ont été annoncées, la bourgmestre de Waterloo Florence Reuter menant la liste fédérale devant Mathieu Michel. Valérie De Bue, actuelle ministre wallonne du Tourisme et du Patrimoine, faisant de même pour la Région.
- Mais ces informations auront rapidement été éclipsées. Car Charles Michel, originaire de Wavre, a aussi pris la tête de la liste européenne, devant Valérie Glatigny. Une annonce qui a forcément eu une résonance internationale.
- La presse entourant les institutions européennes s’est déchaînée sur l’actuel président du Conseil européen. Cette annonce est ressentie comme un abandon de ses responsabilités au profit de sa carrière personnelle. Il faut dire que Charles Michel n’a jamais fait l’unanimité, son mandat ayant été éclipsé par sa grande rivalité avec Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
- Politico et le Financial Times s’inquiètent notamment de la succession de Michel, qui, s’il est élu le 9 juin 2024 (ce qui est une quasi-certitude), devra quitter son poste lors de sa prestation de serment au Parlement européen. L’ombre de Viktor Orban pèse sur ce dossier, puisque son pays succèdera à la Belgique pour la présidence tournante de l’UE. Or, si le rôle de président du Conseil européen venait à ne pas être rempli, le Premier ministre hongrois pourrait être amené à diriger les débats lors des sommets européens.
- C’est un scénario que tous les chefs d’État tenteront d’éviter, mais ils devront faire vite. Un successeur devra être trouvé au plus tard pour début juillet, lors de la prestation de serment des députés européens. Les dirigeants européens se retrouveront le 17 juin, puis les 27 et 28 juin. Une décision devra être prise à ce moment-là.
- Ce cas de figure est une première pour les institutions européennes. Il faut dire que la création du poste de président du Conseil européen date seulement de 2009, à la suite du traité de Lisbonne, et que les deux prédécesseurs de Charles Michel, Herman Van Rompuy et Donald Tusk, ont tous deux quitté la scène européenne après leur mandat, ce dernier devenant Premier ministre de la Pologne, en décembre dernier.
- Rien n’empêche Charles Michel de se présenter devant les électeurs pour acquérir un siège au Parlement européen. Le problème est que sa fonction aurait dû s’achever en novembre prochain. Les chefs d’Etat devront trouver un candidat intérimaire ou anticiper un candidat définitif. Le souci, c’est que les principaux postes européens sont normalement attribués plus tard, et qu’il s’agit d’un immense puzzle politique. Difficile, donc, de toucher si tôt à une pièce alors que le jeu n’a pas encore vraiment commencé.
- Sur X, Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris, a eu des mots très durs contre Charles Michel, qui ont reçu un large écho : « La décision de Charles Michel de quitter prématurément la présidence du Conseil de l’UE pour poursuivre sa propre carrière politique en tant que député européen est non seulement égocentrique mais aussi irresponsable. Cela ouvrira la voie à Viktor Orbán, qui assurera la présidence tournante du Conseil de l’UE », déplore l’académique.
- Une petite bataille de juristes a d’ailleurs lieu à ce sujet. Marianne Dony, professeure de droit européen à l’ULB, ne pense pas qu’Orban puisse reprendre un tel rôle : « Contrairement à ce qui est prévu pour les membres de la Commission européenne, le poste ad intérim n’est pas du tout prévu par les traités pour le Conseil européen. Je ne vois donc pas comment on pourrait nommer un président du Conseil européen ad intérim« , réagit-elle pour la RTBF.
- En d’autres mots, il faudra sans doute trouver plus qu’un candidat intérim. Ce qui obligera certains à se découvrir bien plus tôt que prévu et à sortir du bois. On pense par exemple à un Alexander De Croo (Open VLD) qui nourrit des ambitions internationales depuis longtemps, mais qui sera probablement englué dans les négociations fédérales.
- De son côté, Charles Michel, voyant son avenir s’obscurcir pour obtenir un poste international, a préféré prendre les devants pour ne pas être laissé sur le carreau. Il est difficile d’imaginer qu’il reste simple député, mais il ne s’est pas encore porté candidat pour prendre la tête des libéraux européens, par exemple, ou pour reprendre le rôle de commissaire européen. Au niveau européen, la question se pose de savoir si mener une campagne électorale avant la fin de son mandat de président du Conseil européen est compatible.
- Beaucoup d’options restent ouvertes, comme la possibilité de revenir en sauveur de la nation, si les négociations pour former un gouvernement fédéral en Belgique devaient s’éterniser.
- En attendant, Georges-Louis Bouchez, en plaçant Charles Michel sur une liste européenne, s’assure d’avoir le champ libre pour mener la campagne électorale et garde intacte son ambition de devenir Premier ministre. D’autant que l’autre poids lourd du parti, Didier Reynders, semble être le grand perdant de toute cette manœuvre.
Zoom avant : le jeu de chaises musicales expulse Didier Reynders.
- À l’Aula Magna, personne n’a pu ignorer une absence de marque : Didier Reynders. Les spéculations allaient forcément bon train. Mais ce matin, sur LN24, Bouchez a tenté d’éteindre l’incendie : « Didier Reynders n’était pas présent pour une question d’agenda. Il était à l’étranger. Il sera présent lors de nos vœux ce mercredi à Bruxelles. »
- Mais l’actuel commissaire européen à la Justice aura-t-il encore un rôle au sein de la formation libérale ? « S’il le souhaite, Didier Reynders a toujours un avenir au sein du MR. Toutes les personnes de qualité peuvent avoir un rôle au sein de notre formation politique, mais il faudra voir quelle est l’envie et quels seront les objectifs« , a ajouté GLB.
- À n’en pas douter, on assiste à un nouveau round de cette grande rivalité qui oppose Charles Michel à Didier Reynders. Au détriment, comme souvent, de ce dernier. Reynders s’était en effet porté candidat à la tête de liste européenne en décembre dernier. Il n’excluait pas non plus de se porter à nouveau candidat à la tête du parti, dans un peu moins d’un an.
- Bouchez n’aura évidemment pas manqué de repérer tous ces red flags. Le plan pour écarter ce rival, tant celui de Michel que le sien, n’est donc pas vraiment une surprise.
- De quoi déclencher une nouvelle guerre des clans ? Pas dans l’immédiat, selon La Libre. Car le commissaire européen à la Justice aurait déjà jeté son dévolu sur le poste de Secrétaire général du Conseil de l’Europe, un poste pour lequel Reynders avait déjà postulé en 2019, et qui est lié à la défense des droits de l’homme.
- Sur La Première, Reynders s’est d’ailleurs montré plutôt bon joueur, qualifiant le choix de Bouchez de « légitime », ajoutant qu’il y a « d’autres ambitions possibles dans le cadre européen », sans préciser qu’il se portait officiellement candidat à la tête du secrétariat général du Conseil de l’Europe.
- Ce poste, actuellement occupé par la Croate Marija Pejčinović, offre peu de visibilité médiatique, mais Didier Reynders pourrait néanmoins obtenir un lot de consolation : une rémunération de 310.000 euros nets par an.
- La Belgique doit envoyer le nom d’un candidat pour ce mercredi. Une décision qui nécessite forcément l’accord du gouvernement. Or, il nous revient que le Premier ministre Alexander De Croo soutient cette candidature. Mais ce n’est visiblement pas une évidence pour tout le monde.
- Car au même moment se joue tout le carrousel des nominations politiques au sein des Services publics fédéraux (SPF), entre autres. Un sport national en politique belge qui a mené à une situation ubuesque au sein de la Banque nationale. « Le PS et les libéraux s’écharpent à nouveau », entend-on au sein de la Vivaldi. « Le Premier ministre perd le contrôle. C’est un véritable marchandage de tapis. »
- Dans ce brouhaha, le nom de Didier Reynders ne ferait pas forcément l’unanimité. Il nous revient que les Verts aimeraient en discuter ce mercredi en kern, étant attachés à tout ce qui touche aux droits humains.