À quelques heures d’une décision majeure pour l’avenir énergétique de la Belgique, il reste pas mal de questions laissées sans réponse. La bataille politique risque d’être acharnée jusqu’au bout.
1. Combien de réacteurs ?
Dans ce dossier, les Verts et le MR se tireront la bourre jusqu’au bout. Et le président des libéraux francophones compte bien faire boire aux écologistes le calice jusqu’à la lie. Ces derniers jours, Georges-Louis Bouchez a plaidé pour la prolongation d’un maximum de réacteurs nucléaires. Il l’a répété hier à la Chambre devant la caméra de LN24: « Il serait peut-être intelligent qu’ils [les écologistes] fassent tomber leurs derniers dogmes, leurs derniers tabous, et qu’on puisse avoir une analyse technique pour voir ce qui est nécessaire. C’est-à-dire la capacité dont on a besoin année après année, jusqu’en 2035. »
Du côté des Verts, il est hors de question de prolonger plus de deux réacteurs. Car ce serait un mauvais signal pour l’investissement dans les énergies renouvelables. Ce sera Doel 4 et Tihange 3, pour dix ans, sinon rien. Jean-Marc Nollet a marqué son territoire, hier soir, dans Jeudi en Prime, sur la RTBF.
Doel 1 et 2 et Tihange 1 ont déjà été prolongés de dix ans. Ce sont les réacteurs les plus anciens du parc nucléaire belge. Avec les nouvelles normes de sécurité « post-Fukushima », leur prolongation coûtera plus cher, voire très cher, avait déjà assuré Engie en 2020.
Concernant, Doel 3 et Tihange 2, ce sont les réacteurs aux fameuses micro-fissures, bien qu’il y ait débat sur leur dangerosité ou leur détérioration.
2. Des centrales au gaz ou non ?
Cette question découle bien sûr de la première. Il était prévu, avec le plan A (sortie du nucléaire), de construire deux centrales au gaz, pour faire face, provisoirement, aux intermittences des énergies renouvelables. Un mécanisme de subventions (CRM) avait spécialement été mis en place pour l’occasion, validé par la Commission européenne. Engie était ressorti vainqueur avec la construction des deux centrales, à Vilvorde et aux Awirs. Depuis, la centrale de Vilvorde n’a pas reçu son permis à temps de la Région flamande. Mais le gouvernement a une sortie de secours: repêcher les perdants de la première enchère: la centrale de Luminus à Seraing ou la centrale d’Eneco à Manage.
Aujourd’hui, on le sait, c’est le plan B qui tient la corde. Mais la ministre de l’Énergie a toujours assuré, que même en cas de prolongation du nucléaire, une ou plusieurs centrales au gaz devraient de toute façon être construites. Cette étape obligerait de repasser devant l’Europe pour faire valider le mécanisme de subventions dont les modalités auront changé. L’Europe, qui mise sur l’indépendance énergétique ne devrait pas rechigner, mais on perdra de nouveau du temps.
Bref, un rapport d’Elia est attendu sur la sécurité d’approvisionnement. Il doit déterminer nos besoins pour l’hiver 2025-2026. L’inconnue ici, est de savoir si les réacteurs nucléaires seront prêts pour cette date. La remise aux normes des réacteurs pourrait ne pas intervenir avant l’hiver 2026-2027 en raison des obligations techniques, légales et sécuritaires. Cette question devra être tranchée.
3. La Belgique a-t-elle la main face à Engie ?
C’est la grande crainte d’un certain nombre d’observateurs dans ce dossier. Avoir fait tant trainer les choses place Engie dans une position confortable: il s’agit de la partie à convaincre. Or, l’énergéticien français a crié haut et fort que la prolongation aurait dû être décidée bien plus tôt, en 2020 déjà.
Mais les écologistes en font une condition de la prolongation du nucléaire justement. « Il n’est pas question qu’Engie nous dise, occupez-vous de nos déchets. Occupez-vous du démantèlement de nos réacteurs… La facture pour la gestion du passif nucléaire est de 40 milliards d’euros. Il n’est pas question que l’État belge paye cette facture », a prévenu Jean-Marc Nollet.
La ministre de l’Énergie, Tinne Van der Sraeten (Groen), hier à la Chambre, a aussi mis les points sur les i : « Il n’est pas question de signer un chèque en blanc à Engie ». La ministre a affirmé avoir entamé les discussions avec Engie, même si elle a admis à la Chambre ne pas disposer encore « de mandat de négociation ». Il faut comprendre par là que rien n’a donc encore été négocié concrètement à 24 heures d’une décision cruciale pour l’avenir énergétique de notre pays. Et pour cause, le plan A était privilégié dans 99 cas sur 100.
Il parait peu probable qu’Engie demande une intervention de l’État dans la gestion des déchets ou du démantèlement. Par contre, le géant français dispose d’un levier sur la future taxation de ses surprofits, qui sont dus aux prix élevés de l’énergie ces derniers mois et pour de nombreux mois encore, sans doute. L’Union européenne a clairement indiqué que les États pouvaient puiser dans cette manne financière qui représente au niveau européen quelque 200 milliards d’euros. L’Espagne, entre autres, n’a d’ailleurs pas attendu pour le faire.
Tout dépendra de la rentabilité de la prolongation, et donc du nombre de réacteurs à prolonger. Tout est lié.
4. Les Verts peuvent-ils faire tomber le gouvernement ?
Plus tôt cette année, un haut placé chez les Verts évoquait pour nous le tabou absolu: supprimer la loi de la sortie du nucléaire de 2003. Au-delà d’une prolongation provisoire, les écologistes ne voulaient absolument pas revenir sur une sortie gravée dans le marbre. Entretemps, Petra De Sutter (Groen) et Jean-Marc Nollet (Ecolo) ont assuré que les écologistes ne feraient pas de la sortie du nucléaire une question de gouvernement, sans toutefois évoquer cette nuance au niveau de la loi.
Quoiqu’il en soit, les Verts ont changé leur fusil d’épaule suite au conflit en Ukraine et une prolongation de 10 ans sera bien entérinée. Sans qu’on sache trop, toutefois, ce qui adviendra de cette loi. Cela fera partie des discussions.
Ce vendredi, on va assister à une grande négociation au sein de la Vivaldi. On le sait, la ministre de l’Énergie Van der Straeten a fait parvenir aux partenaires de la coalition une note comportant une liste de souhaits, une sorte de compensation à l’abandon de leur trophée et condition d’accès à a Vivaldi. « Un catalogue vert », taclent les partenaires des écologistes, pour un montant total de… 8 milliards d’euros en faveur de la transition énergétique.
Si les Verts ne sont entendus sur aucun point, feront-ils tomber le gouvernement ? La question est cette fois tout autre. Jean-Marc Nollet a reconnu que reconsidérer la question du nucléaire avec les ministres et le bureau politique avait été « un moment difficile ». « Ce n’était pas évident » d’opérer un tel virage. Mais si les écologistes n’obtiennent rien en retour, ils se poseront peut-être la question de savoir ce qu’ils font encore là.
En fin négociateur, Bouchez a mis le nombre de réacteurs dans la balance. Histoire d’atténuer les désidératas des Verts, il faut avoir des cartes dans sa manche. Si l’histoire lui a finalement donné raison sur la prolongation du nucléaire, le président du MR est sans pitié pour son partenaire de coalition: « Il faut bien comprendre qu’on n’est pas dans un jeu pour sauver la face des écolos. Aujourd’hui, il faut prendre des décisions dans l’intérêt général. Et j’attends de la ministre de l’Énergie qu’elle soit la ministre de l’Énergie de la Belgique et de l’ensemble du gouvernement, et qu’elle arrête d’être la représentante du programme Ecolo-Groen. (…) Ils vous expliquent qu’on ne pourrait pas aller au-delà de deux centrales nucléaires prolongées parce que c’est dans l’accord de gouvernement. Dans l’accord de gouvernement, la guerre en Ukraine n’était pas prévue. »
Politiquement, les discussions promettent d’être longues et difficiles. Il est d’ailleurs déjà envisagé qu’elles se prolongent durant le week-end. A priori, c’est le scénario de la prolongation de deux réacteurs pour dix ans qui tient la corde. Reste à savoir ce qu’obtiendront les Verts en retour.