La Vivaldi peut respirer : aucun autre ministre ne sera sacrifié à cause de l’affaire Lassoued. Comme on pouvait s’y attendre, la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (cd&v), a été la cible de critiques concernant l'(in)action des services de police, en commission. Cependant, l’avocate anversoise a su se défendre fermement, sans rien céder. Aucun des députés des partis de la majorité n’a insisté davantage et l’opposition semblait s’éparpiller. Mais il est clairement apparu, une fois de plus, que le gouvernement fédéral n’agissait pas comme une équipe. Après le départ de Vincent Van Quickenborne (Open Vld), certains membres de la coalition ont semblé vouloir causer un « dommage maximal » à Verlinden. Elle et son parti ont répliqué vigoureusement, en particulier en direction des libéraux. Il en ressort un goût amer : l’esprit d’équipe est clairement absent.
À la Une : Plus aucun danger imminent pour Verlinden.
Les détails : Alors que l’Open Vld exerçait une pression subtile en commission affaires intérieures, asile et migration, le cd&v adressait discrètement des piques à la justice.
- Koen Geens (cd&v), avec un certain pathos, a lancé un appel lors de son intervention, symbolisant l’ambiance au sein de l’équipe gouvernementale : « S’il vous plaît, collaborez. C’est essentiel. Ce n’est qu’en collaborant que nous pourrons résoudre de tels problèmes ». Geens, qui a annoncé la fin de sa carrière politique la veille dans « De Afspraak« , aurait pourtant dû le voir venir. Il avait refusé une place dans l’équipe Vivaldi en 2020, craignant précisément ce manque d’esprit d’équipe.
- En commission, l’ancien ministre de la Justice a tout mis en œuvre pour soutenir sa collègue de parti Verlinden, allant jusqu’à comparer les défaillances des services de sécurité belges à celles d’Israël avant une attaque du Hamas : une comparaison assez maladroite pour soutenir l’avocate anversoise.
- Verlinden n’avait guère besoin de Geens ; elle s’est défendue avec détermination. Dès le début de la commission, il était évident qu’elle ne se laisserait pas acculer. Sa stratégie consistait en des interventions longues et monotones, riches en détails techniques, sans montrer la moindre hésitation : un grand classique, rue de la Loi. « Elle noie le poisson avec brio », a même admis Peter De Roover, chef de groupe N-VA.
- Avant la réunion à la Chambre, le Nieuwsblad avait pourtant lâché une bombe : les services de police étaient bel et bien au courant de la demande d’extradition de la Tunisie en 2022. Le 22 août 2022, le service CGI, Direction de la coopération policière internationale, a reçu une demande d’extradition. Cette révélation était gênante, car dans Het Laatste Nieuws, Verlinden avait affirmé lundi que la police ignorait sa condamnation pour double meurtre en Tunisie.
- À son arrivée, devant les caméras, Verlinden a immédiatement désamorcé la situation : « La CGI a, comme il se doit, transmis le document au SPF Justice en 16 minutes parce qu’ils n’étaient pas les destinataires directs. Ils ont envoyé un accusé de réception. C’est la procédure habituelle. Ce n’est pas à la police d’examiner cette demande d’extradition. »
- Ce point semblait réglé, d’autant plus que la ministre a présenté pour la première fois une chronologie des faits dans laquelle la CGI apparaissait. La N-VA a mené la charge avec ses députés Koen Metsu (N-VA) et Theo Francken (N-VA). Mais leurs attaques n’ont pas été suffisamment ciblées pour faire vaciller Verlinden.
- Depuis l’opposition encore, c’est le PTB avec Sofie Merckx qui s’est montré le plus incisif : « La demande d’extradition de la Tunisie était peut-être dans le mauvais tiroir, mais n’aurait-elle pas dû être également enregistrée dans le système ‘MaCH’ de la Justice, la base de données qui conserve ces informations ? » a-t-elle justement remarqué. Ou encore : « La « Red Notice » d’Interpol mentionnait seulement une « évasion », donc la police ne pouvait rien faire, selon Verlinden. Mais le document mentionne pourtant aussi « agression avec violence », ce qui est bien sûr punissable. »
L’essentiel : Au sein de la Vivaldi, la cohésion d’équipe fait défaut.
- Lors du lancement de son gouvernement, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) avait utilisé le leitmotiv de Michael Jordan : « Talent wins games, teamwork wins championships. » Dans les coulisses de la commission, on résonnait avec cynisme : « Michael Jordan brille par son absence aujourd’hui ». En effet, De Croo n’était pas présent. Quelques voix au sein du cd&v ont laissé entendre que le Premier ministre « abandonnait en pleine tempête » sa ministre, dans une démarche visant à provoquer un « dommage maximal ».
- Par ailleurs, le député Tim Vandenput (Open Vld) s’est distingué en interrogeant directement les ministères de l’Intérieur et de l’Asile et Migration avec des questions pertinentes. Dans l’entourage de Verlinden, certains ont ironiquement commenté : « Ces questions semblent provenir directement du bureau de Van Tigchelt (le ministre de la Justice, NDLR). Vandenput n’a sans doute pas la finesse pour les concevoir lui-même. »
- Dans l’autre sens, Geens, qui prônait pourtant quelques minutes plus tôt « l’unité et la collaboration », a évoqué la base de données ‘MaCH’ du SPF Justice. Il s’est avéré que la demande d’extradition de la Tunisie y figurait bel et bien. Van Quickenborne et Van Tigchelt ont beau avoir parlé « d’erreur individuelle », le problème semble profondément ancré au sein du ministère de la Justice.
- Il est toutefois surprenant de constater à quel point Verlinden peine à se faire des alliés au sein de la Vivaldi. Les critiques à son égard ne proviennent pas uniquement du camp libéral. Le fait que le Premier ministre l’ait conviée avec l’ensemble du gouvernement, et non en comité restreint avec les ministres concernés, en dit long : chaque parti au pouvoir est désormais informé des détails du dossier Verlinden.
- L’avocate anversoise, après trois années en tant que ministre, ne s’est pas véritablement métamorphosée en politicienne chevronnée, apte à négocier, jeter des ponts et tisser des relations solides par-delà les clivages partisans. Elle semble préférer se distancer des manœuvres politiques classiques, ce qui rend sa position d’autant plus fragile.
- La question demeure : est-il possible d’avoir une approche « collective » au sein de cette équipe fédérale ? Après la réunion d’hier, il est évident que le gouvernement a subi des dommages, causés en partie de l’intérieur.
Une autre mauvaise nouvelle budgétaire : Une augmentation significative du budget européen pourrait alourdir le budget belge pour des centaines de millions d’euros.
- L’Union européenne se réunit aujourd’hui et demain pour discuter d’une augmentation budgétaire. Au moins 66 milliards d’euros devraient s’y ajouter, du moins c’est le plan de la Commission européenne. Environ 50 milliards de cette somme sont destinés à l’Ukraine.
- Et cela pose immédiatement un gros problème pour la Belgique. Car tous les États membres doivent payer à l’UE proportionnellement, et si le budget total augmente, la facture s’alourdit. En fonction du rapport entre les dons et les prêts à l’Ukraine, cela pourrait avoir un impact sur le budget belge estimé entre 600 et 800 millions, comme l’a déjà indiqué le Premier ministre De Croo à De Tijd et De Standaard.
- Deux tiers de ce budget seraient octroyés sous forme de prêts, le reste en subventions. La part qui est prêtée n’a pas d’impact sur le budget (à condition que l’Ukraine soit en mesure de rembourser), ce sont les dons qui aggravent le déficit. D’ici la fin de l’année, il faudra clarifier dans quelle proportion l’argent est accordé.
- Il reste alors 16 milliards d’euros destinés à d’autres postes de dépenses, notamment pour les salaires de la Commission ou encore les efforts en matière de migration. La Belgique, ainsi que d’autres États membres nord-européens, n’ont pas de problème avec l’argent destiné à l’Ukraine, mais s’interrogent sur les autres dépenses. La Commission justifie ces coûts par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt.
- « La proposition de la Commission européenne actuellement sur la table ne peut pas être soutenue par la Belgique. L’impact pour notre pays est trop important« , telle est la position logique de De Croo à ce sujet. La Belgique affiche déjà un déficit de plus de 4 % dans son budget, et si on y ajoute 800 millions, la situation ne fera qu’empirer.
Rousseau vs DPG Media : un dangereux précédent.
- Assez inhabituelle, telle a été l’approche du président de Vooruit, Rousseau, après sa nuit bien arrosée dans sa ville natale de Saint-Nicolas. Pour rappel, il avait été soupçonné d’avoir tenu des propos racistes en présence de policiers, selon les agents eux-mêmes. Onze jours plus tard, un procès-verbal avait été dressé. Et cette information avait fuité.
- Het Laatste Nieuws et VTM, qui appartiennent tous deux à DPG Media, souhaitaient publier des parties du rapport. Mais Rousseau s’est rendu devant le juge des référés de Termonde, avec l’aide de son avocat Simon Bekaert. Ils ont demandé, par une requête unilatérale, d’empêcher la publication de ces extraits. Le juge a suivi leur demande et a imposé une astreinte de 1.000 euros non seulement à DPG Media, mais à quiconque souhaitait les publier.
- Chez DPG Media, ça a été l’incrédulité : il s’agissait d’une « interdiction préventive » qui ne correspondait pas, selon eux, aux principes fondamentaux de la Constitution. De nombreux experts en droit constitutionnel l’ont confirmé, dont Jogchum Vrielink de Saint-Louis et Koen Lemmens de la KU Leuven.
- La VVJ, l’association professionnelle des journalistes flamands, s’est également jointe à la critique et au procès. « Nous continuons à nous battre pour pouvoir publier au plus vite ce que nous savons dans cette histoire d’une grande importance sociétale », a-t-il été entendu de la part de DPG Media.
- Cela s’avère désormais être un revers amer. Car même sur le fond, le juge de Termonde a donné raison à Rousseau, malgré l’opposition des experts juridiques. Le juge a conclu que l’interdiction de publication était bel et bien légitime.
- Cela crée immédiatement un précédent important pour tous ceux confrontés à des fuites provenant d’un PV ou d’une enquête judiciaire. Pour le journalisme, cela soulève de grandes questions. DPG Media a d’ailleurs fait appel.
- Pour Rousseau, c’est une victoire : sa démarche avait été qualifiée de « déraisonnable » par de nombreuses personnes, tant elle était inédite. Jamais auparavant un homme politique n’avait été aussi loin, face à une entreprise médiatique aussi importante, pour empêcher une publication via une requête unilatérale. Cependant, le fait que le juge lui donne désormais raison remet sérieusement en cause l’idée que Rousseau aurait agi de manière « déraisonnable ».