Van Quickenborne vs Verlinden : les deux ministres de la Vivaldi vont subir des feux nourris à la chambre, mais il n’est pas question de démission

Cet après-midi à 14 heures, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), et la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), doivent répondre devant la Chambre pour le meurtre d’un jeune policier, jeudi à Bruxelles. Les deux ministres ont adopté une tactique différente : les syndicats de police demandent la démission de Van Quickenborne, qui a choisi de contre-attaquer pour sa défense. Verlinden a été beaucoup plus réservée, préférant une lettre empathique. Ainsi, une fois de plus, la bataille deviendra bientôt une guerre entre la police et le pouvoir judiciaire dans l’hémicycle. En principe, Van Quickenborne ne peut pas avoir de problèmes : personne au sein de la Vivaldi ne demande sa démission, son parti forme un bloc autour de lui. Devoir le remplacer serait donc un désastre pour l’Open Vld. La question demeure de savoir pourquoi une autre législation, qui permettrait de mieux suivre les terroristes potentiels, ne serait pas votée.

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Le détail : Personne ne s’attend vraiment à une démission, mais le ministre de la Justice est soumis à une pression considérable.

  • Un policier est décédé. Les syndicats exigent la démission du ministre de la Justice, Van Quickenborne. Ce dernier a même bénéficié d’une sécurité supplémentaire à sa porte hier, car on craignait des actions impulsives des syndicats : autant dire que l’ambiance entre ministre et forces de l’ordre est sulfureuse. Une telle demande collective de démission d’un ministre est tout à fait inédite.
  • Cela ne s’arrête pas là : à la fin du mois, le SNPS, le SLFP, deux syndicats indépendants, ainsi que la CSC et la FGTB prévoient une véritable manifestation sur la violence contre la police. Ce faisant, ils demandent « plus de respect de la part de ce gouvernement Vivaldi », mais aussi « plus de respect de la part du ministère de la Justice ».
  • Cet après-midi, dans l’hémicycle, les commissions des affaires intérieures et de la justice se réuniront à un rythme accéléré pour examiner les faits dramatiques. Ils reviendront sur la chronologie des faits et le traitement accordé à l’auteur du meurtre, Yassine Mahi, un Belge d’origine marocaine.
  • Ce dernier s’est présenté jeudi à un poste de police en demandant de l’aide : agressif, il a exprimé sa haine envers les policiers. L’homme figurait sur une liste de l’OCAM, l’organe de sécurité qui surveille les personnes radicalisées : il était également hébergé dans une aile spéciale de la prison, avec des musulmans extrémistes. Mais il était en liberté conditionnelle et, à ce titre, n’était plus surveillé de près par le ministère de la Justice.
  • Seulement, le ministère public, après avoir contacté un magistrat spécialisé dans le terrorisme, a décidé d’envoyer l’homme à l’hôpital, où il subira un examen psychiatrique. Cette décision fera l’objet d’un examen approfondi aujourd’hui.
  • Une deuxième étape cruciale dans la chronologie des faits est donc la communication entre le parquet, la police et l’hôpital, en l’occurrence le CHU Saint-Luc.
  • « Aucune instruction n’a été donnée par les autorités compétentes », révèlent-ils dans un communiqué. En d’autres termes, l’hôpital n’a jamais été informé par le parquet, que ce soit ou non par l’intermédiaire des policiers qui y ont livré Mahi. Cependant, ils auraient pu décider de le faire, a également admis Ine Van Wymersch, procureure à Halle-Vilvoorde.
  • La procureure s’est présentée à l’émission dominicale flamande, De Zevende Dag, pour couvrir un peu le flanc de la magistrature : argüant que même si cette information avait été partagée, cela n’aurait fait que quelques heures de différence. La question est de savoir si les forces de police et l’opposition verront bientôt les choses de cette façon.
  • Le fait est que, à ces deux moments cruciaux, la magistrature était plutôt en sous-effectif. Ce qui alimente immédiatement l’animosité entre les deux camps.
  • D’autre part, la police elle-même ne semble pas non plus s’en tirer à si bon compte. Toujours selon le communiqué de l’hôpital : « Nous rappelons que tout patient qui se présente aux urgences est libre de partir de sa propre initiative, sauf s’il fait l’objet d’une surveillance policière continue, ce qui n’était pas le cas de cette admission. » En d’autres termes, la police n’est pas restée, avec Mahi.
  • Il semble néanmoins qu’il y ait eu de graves erreurs humaines, qui seront examinées de près par la Chambre. De façon étonnante, dans la rue de la Loi, seul le Vlaams Belang suit pour l’instant la position des syndicats de police : Tom Van Grieken, le président du VB, a déjà demandé la démission de Van Quickenborne vendredi.
  • À la N-VA, l’autre grand parti d’opposition, on est plus prudent. Koen Metsu (N-VA) sur Radio 1 ce matin a « compris la colère des représentants de la police ». « Le ministre n’a pas non plus exactement communiqué avec modestie, ce qui n’a pas arrangé les choses. Lorsque la demande de démission émane de l’opposition, il est souvent un peu trop facile, politiquement, de la balayer d’un revers de main. Mais lorsqu’il s’agit d’unanimité au sein de la police, il y a un problème. Si des erreurs ont réellement été commises, et il semble qu’elles l’aient été, le ministre ne manquera pas de s’en attribuer le mérite. »
  • Au sein de la majorité, le MR menace également de s’agiter. Pendant tout le week-end, le président Georges-Louis Bouchez (MR) a soutenu les policiers, son électorat « naturel », contre vents et marées. Dans l’hémicycle, des questions critiques sont attendues de la part de Denis Ducarme (MR), qui a rarement sa langue en poche.
  • « Le coupable est fiché depuis 2015. Cela aurait dû suffire pour que le magistrat le mette en détention pour 24 ou 48 heures, sur la base de la législation antiterroriste », a déjà expliqué Ducarme, dans Le Soir.
  • Ducarme et Metsu évoquent d’ailleurs la commission parlementaire spéciale qui est intervenue après les attentats de 2016 : trop peu de ses recommandations ont été suivies.

L’essentiel : Van Quickenborne a déjà choisi l’offensive.

  • « Il a toujours eu tendance à en faire de trop, avec toujours cette communication forte. Encore une fois. L’attaque était-elle vraiment la meilleure défense ? » Une voix éminente au sein de la Vivaldi soupire : Van Quickenborne est une figure polarisante, même au sein de la majorité.
  • Car il faut bien le dire, Verlinden (qui a pourtant le réflexe parfois un peu naïf de s’enfoncer toute seule via une communication hâtive) a géré la situation de manière totalement différente : elle est restée très calme, et a écrit une lettre ouverte empathique à « ses » policiers et à la famille pour « ne pas perdre courage ».
  • Le contraste est saisissant avec l’attaque de Van Quickenborne, samedi sur Radio 1. Dès vendredi, le parquet avait fait savoir qu’il « ne voyait pas d’erreur », ajoutant de l’huile sur le feu du conflit entre magistrats et policiers. « Si quelqu’un veut mener une attaque contre la police, il ne vient pas demander de l’aide au poste de police. C’est ce qu’a estimé le bureau du procureur », a déclaré le ministre avec fermeté. « Si vous voulez arrêter quelqu’un, vous devez avoir des indices que cette personne va commettre un crime », a-t-il expliqué, défendant avec véhémence ses magistrats.
  • Ce faisant, il s’est également opposé à la petite musique syndicaliste selon laquelle la violence à l’encontre des policiers ne fait pas l’objet d’une politique de tolérance zéro, malgré les promesses.
    • « À peine un mois après ma nomination, j’ai décidé d’instaurer une politique de tolérance zéro pour toute violence à l’encontre de la police », a-t-il déclaré.
    • « Dès qu’il y a des violences contre la police, on ne la rejette plus. Il y a des poursuites systématiques. »
    • « Le critère est un jour d’incapacité. »
  • Cela a immédiatement suscité une réaction très vive des syndicats, notamment du SLFP, l’organisation la plus radicale. Ils ont cité un exemple en Flandre occidentale, accusant Van Quickenborne de « mensonges », et demandant à nouveau une démission.
  • À cela, le Courtraisien a répondu qu’il s’agissait d’un homme ivre qui faisait du bruit. « Lorsque la police a procédé à l’arrestation, un officier est tombé malencontreusement », s’est justifié le ministre. Il n’y a donc pas eu de poursuites.
  • En coulisses, Van Quickenborne a expliqué pourquoi, selon lui, les critiques étaient si virulentes de la part des syndicats : la demande de licenciement est une « vengeance » pour les réductions des pensions de la police. Lors du dernier conclave budgétaire de la Vivaldi, un accord politique conclu par Verlinden avec les syndicats sur l’augmentation des salaires et des pensions est tombé à l’eau.
  • Vincent Houssin, le chef de file du SLFP, s’est opposé à cette insinuation de manière particulièrement brutale dans De Zevende Dag : « Moi je trouve cela particulièrement impoli. Nous confondons deux dossiers. Le ministre essaye de trouver un prétexte. Il joue les Calimero. Il est particulièrement grossier de nous accuser d’avoir utilisé l’accord salarial alors qu’un collègue est décédé ».
  • À l’époque, lorsque la fumée s’est dissipée autour du conclave budgétaire, Verlinden a dû aller expliquer qu’elle n’était pas à cette réunion du kern, où ce budget a été décidé : elle n’a eu d’autre choix que de constater, avec les syndicats, que son propre vice-premier ministre, Vincent Van Peteghem (CD&V), mais aussi Van Quickenborne, avaient fixé d’autres priorités dans l’élaboration du budget.
  • Cela a provoqué un grand mécontentement parmi les syndicats il y a un mois. Mais le « lien » que Van Quickenborne a établi ce week-end semble plus être une opportunité pour expliquer la relation tendue.
  • Il sera particulièrement intéressant de voir jusqu’où ira l’opposition. Ce sera féroce de toute façon. Le Vlaams Belang a spécialement reprogrammé une conférence de presse prévue sur la migration, juste pour être dans l’hémicycle avec tout son poids.
  • Mais ce qui pourrait être le plus dangereux politiquement pour la Vivaldi est la scission entre Verlinden et Van Quickenborne. Tous deux couvriront « leur » département et « leur » camp, les forces de police et les magistrats. Une situation qui peut faire des étincelles.

La vue d’ensemble : la démission d’un ministre n’intervient que lorsque sa propre coalition et son propre parti le laissent tomber.

  • Outre le débat houleux qui ne manquera pas de s’ensuivre à la Chambre, d’autres considérations entrent en jeu dans la rue de la Loi, lorsqu’il s’agit d’une éventuelle démission. Tout d’abord, il y a le parti lui-même.
  • En cela, l’Open Vld ne désolidarise pas de Van Quickenborne d’un millimètre. Le président Egbert Lachaert est même venu au secours de son ministre : « Les faits de cette semaine doivent être clarifiés. Quelqu’un était-il en faute dans toute cette chaîne chronologique ? Tout doit remonter à la surface. Ce qui n’est pas correct, c’est que des syndicats mènent une campagne de dénigrement personnelle contre Vincent Van Quickenborne via les réseaux sociaux. Peut-on se montrer civilisés, s’il vous plait. »
  • Au sein des libéraux, on s’accorde cependant depuis longtemps à dire que Van Quickenborne prend des risques dans sa communication parfois trop volontariste. Ses fanfaronnades sur l’exécution des peines, qui comprendraient enfin des peines de prison effectives de moins de trois ans, ont donné aux libéraux flamands une sérieuse gueule de bois : le dossier n’a pas du tout avancé dans la bonne direction.
  • Mais les menaces qu’il a subies ont redoré quelque peu son image : Van Quickenborne, en tant que « combattant » des gangs de trafiquants de drogue, ça devenait finalement plus flatteur. Et une récente percée sur un nouveau Code pénal a permis de marquer des points supplémentaires. Van Quickenborne a retrouvé un peu d’oxygène, jusqu’à la mort de ce policier, jeudi.
  • Il s’agit maintenant de survivre à la tempête, pour lui et son parti. Car il est certain qu’il n’y a absolument aucun remplaçant du calibre de Van Quickenborne du côté de l’Open Vld, s’il devait partir : seules une Gwendolyn Rutten ou Maggie De Block pourraient apporter l’expérience nécessaire, ou plus exceptionnellement un Bart Tommelein. Mais aucune de ces trois têtes n’est ce que le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) veut : son tandem avec Van Quickenborne, où ils jouent beaucoup les good cop/bad cop fonctionne parfaitement au sein du kern.
  • Au sein de la coalition également, Van Quickenborne reçoit quelques éloges : « Au moins, il a le métier nécessaire, même en tant que vice-président », entend-on dire. Aucun membre de la Vivaldi ne pousse pour une démission.

Ce dont il devrait s’agir en réalité : comment se fait-il que des cas aussi radicalisés ne puissent plus être suivis correctement par les forces de sécurité ?

  • Le fait que l’auteur, qui a maintenant été arrêté pour meurtre et tentative de meurtre dans un contexte terroriste, ait pu commettre ses actes soulève un certain nombre de questions, notamment sur la manière dont le cadre juridique peut être amélioré.
  • Il s’agit notamment de la discussion sur l’admission obligatoire d’une personne en psychiatrie, la procédure dite « Nixon » : devrait-elle être différente et, surtout, comment améliorer la circulation de l’information entre les procureurs, la police et les services psychiatriques dans le processus ?
  • Mais il est encore plus intéressant, d’un point de vue politique, de se demander pourquoi le suivi des criminels radicalisés ou des grands criminels s’arrête soudainement, une fois qu’ils ont quitté la prison et purgé toute leur peine.
  • Il s’agit en fait d’un talon d’Achille récurrent pour le système judiciaire belge, contre lequel le précédent ministre de la Justice, Koen Geens (cd&v), se battait depuis un certain temps. Ce dernier a déjà tenté d’y remédier au cours de sa période d’action : organiser encore un suivi des personnes condamnées pour des crimes particulièrement graves ou des auteurs potentiels de terrorisme après la fin de leur peine.
  • Mais cela se heurte, surtout du côté francophone, aux principes constitutionnels de liberté : il y a là une frontière sacrée à ne pas franchir, même si l’on est potentiellement un danger pour la société.
  • Ce qui était déjà difficile pendant le gouvernement suédois, avec les libéraux, est maintenant complètement impossible avec le PS et Ecolo. Néanmoins, Geens et Servais Verherstraeten (cd&v) ont soumis un projet de loi à cet effet, en 2020, qui n’est pas du tout radical. Ce faisant, ils évitent soigneusement toute référence à un « emprisonnement » : en effet, une peine de prison ne peut pas durer indéfiniment. Mais une remise en liberté implique des « conditions ». Elles pourraient être incluses dans le nouveau Code pénal.
  • Ces conditions seraient des éléments généraux qui pourraient être imposés, comme le fait d’avoir et de conserver une adresse ou un domicile spécifique, et l’obligation de se présenter, tous les quelques mois, aux services de sécurité appropriés. Aujourd’hui, il n’y en a pas, et on peut seulement « inviter gentiment » des personnes comme Mahi pour une entrevue. En outre, des traitements spécifiques tels qu’une formation anti-radicalisation ou un traitement de la dépendance pourraient aussi être exigés.
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