Un coup de téléphone entre Smet et Lahbib met la ministre en grande difficulté : les appels à la démission se font de plus en plus pressants, mais le MR refuse de céder

Qu’en est-il de la responsabilité politique de Hadja Lahbib, la ministre en charge de la délivrance des visas au ministère des Affaires étrangères ? Cette question pèse aujourd’hui lourdement sur la libérale, après la démission, hier, de Pascal Smet, le Secrétaire d’État bruxellois aux Relations internationales. Lahbib a renvoyé toute la responsabilité de l’affaire sur Smet jeudi dernier à la Chambre et a déclaré avoir approuvé sous forte pression de sa part les visas pour Alireza Zakani, le maire ultraconservateur de la capitale iranienne Téhéran, et son entourage. Une explication simpliste, selon les e-mails entre les cabinets qui ont été révélés par Smet vendredi dans le dossier. Initialement, le ministère des Affaires étrangères donne un avis négatif. Mais après un coup de téléphone entre Smet et Lahbib le 10 mai, le cabinet de Smet renvoie des e-mails au ministère des Affaires étrangères ainsi qu’au cabinet Asile et Migration, indiquant que « Lahbib ne va pas bloquer les visas ». Et de fait : les visas ont été délivrés, ce qui reste finalement de la responsabilité de Lahbib. L’opposition met la pression : tant la N-VA que le Vlaams Belang, mais aussi DéFI et Les Engagés du côté francophone, réclament sa démission. Cependant, le MR ne semble pas prêt à céder. Georges-Louis Bouchez (MR) défend ardemment sa protégée, qu’il avait imposée comme ministre, non sans créer du remous au sein de son parti.

Dans l’actu : Tous les regards se tournent vers Hadja Lahbib, la ministre des Affaires étrangères.

Les détails : La conférence de presse de Smet, où il a annoncé sa démission mais aussi mis la pression sur Lahbib, continue de faire des vagues. Surtout parce que nouveaux e-mails rendus publics montrent qu’il y a eu un appel téléphonique crucial, indiquant que Lahbib a changé de cap, contre l’avis de son administration.

  • « Nos ministres ont téléphoné hier à propos des visas pour les villes iraniennes et russes. (…) La ministre Lahbib a confirmé hier qu’elle n’allait pas refuser/bloquer ces visas pour ces villes. » C’est écrit noir sur blanc, dans un e-mail du 11 mai, envoyé par le cabinet de Smet au cabinet de Lahbib.
  • Et quelques jours plus tard, le 16 mai, le cabinet de Smet mentionne à nouveau ce contact téléphonique dans un e-mail au cabinet de la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (cd&v). « Nous avons demandé conseil au SPF Affaires étrangères, qui était initialement réticent, mais la ministre Lahbib a ensuite confirmé directement au Secrétaire d’État Smet que leur venue à Bruxelles ne posait pas de problème », écrit-on du côté du gouvernement bruxellois.
  • Ces deux e-mails indiquent un changement de cap de Lahbib après cet appel téléphonique. En effet, le 20 mars, un haut diplomate belge en charge du Moyen-Orient avait informé la Région de Bruxelles-Capitale qu’une telle visite d’Iraniens et de Russes « n’était absolument pas opportune dans les circonstances actuelles ».
  • Et le 26 avril, le directeur de « Metropolis », l’organisation qui souhaitait amener les maires internationaux à Bruxelles, regrettait la manière dont les Iraniens et les Russes allaient être refusés. Ils qualifiaient la situation de « malaisante ».
  • Et voilà que, dès le 10 mai, le jour de l’appel téléphonique, le directeur de Metropolis remercie Smet pour son intervention réussie. Et de la part de Lahbib, il n’y a jamais eu de correction majeure sur cette « bonne nouvelle » du cabinet de Smet. Les visas sont finalement délivrés, même si le Service des Étrangers, par exemple, se pose des questions sur pas moins de 14 personnes dans l’entourage du maire de Téhéran.
  • Le dossier n’a jamais été officiellement transféré à ce Service des Étrangers, ce qui aurait été le cas si la ministre Lahbib avait refusé les visas. Mais aucun dossier n’a été transmis, au contraire: le feu vert a été donné aux Iraniens. D’ailleurs, Lahbib a également mentionné cet appel téléphonique avec Smet la semaine dernière à la Chambre, qui semble avoir fait basculer l’affaire : « Le 10 mai, le secrétaire d’État m’a informé qu’il avait des obligations envers l’organisateur Metropolis, il parlait du prestige de la Région de Bruxelles-Capitale et de l’importance que toutes les villes et communes participent. Il me demandait de ne pas bloquer ces invitations, car cet événement, qui lui tenait à cœur, pourrait en être compromis. »
  • Cela soulève de grandes questions, même si Lahbib a mentionné cette conversation lors d’un long discours à la Chambre, disant qu’elle avait été poussée par Smet à délivrer les visas. « Les entités fédérées nous rappellent souvent qu’ils ont aussi compétence en matière de relations étrangères, et qu’il doit y avoir un ‘fédéralisme de coopération’. Mais ces compétences s’accompagnent aussi de la prise de responsabilité », était la défense de Lahbib jeudi dernier.

L’essentiel : même sous pression, Lahbib aurait pu parfaitement refuser les visas.

  • Smet n’avait pas d’autre choix que de partir, d’autant plus qu’il avait très peu d’amis au sein du gouvernement bruxellois, surtout pas chez Groen et Ecolo. Les ministres de ces deux partis au sein du gouvernement bruxellois l’ont tous « remercié » après son départ, dans une série de tweets qui devaient avoir un goût amer, du côté des socialistes. Seul le PS, et en particulier le ministre-président Rudi Vervoort (PS), a soutenu Smet jusqu’à la fin.
  • Mais l’homme politique de Vooruit n’est pas parti sans envoyer une forte pique à Lahbib, qui l’a « ainsi jeté sous le bus ».
    • « Chacun impliqué dans ce dossier doit se poser des questions. La société a besoin de confiance envers les politiciens. »
    • Concernant la possible démission de Lahbib : « Cela doit être son choix. Ce n’est pas à moi de juger l’erreur de quelqu’un. »
    • Puis d’ajouter : « Nous avons seulement demandé de traiter la demande de visas et de ne pas les refuser d’avance. Pour moi, il était clair qu’ils discuteraient des visas au cas par cas. Je n’ai jamais demandé de donner le feu vert pour tous les visas. C’était le jugement des Affaires étrangères. »
  • C’est sur ce fait que l’opposition fédérale insiste depuis des jours. La pression a augmenté ce week-end, après le départ de Smet. « Je ne vais pas m’immiscer dans la question de savoir si Pascal Smet a exercé beaucoup ou peu de pression, car c’est Mme Lahbib qui dit ‘oui’ ou ‘non’. Si vous constatez qu’elle et son administration indiquent d’abord que c’était une mauvaise idée étant donné les circonstances et qu’elle cède si facilement ensuite, elle ne laisse pas l’image d’une ministre forte », a déclaré Peter De Roover, chef de groupe N-VA, ce matin sur Radio 1.
  • L’opposition francophone est aussi impitoyable. Georges Dallemagne, député influent pour Les Engagés : « La Belgique doit traiter l’Iran comme un État terroriste. Ses représentants sont persona non grata. Il reste que Hadja Lahbib a accordé les visas. La démission honorable de Pascal Smet souligne la gravité de la décision de Hadja Lahbib. »
  • Et encore plus : la députée DéFI Sophie Rohonyi a exigé ce matin sur BX1 « que Lahbib publie maintenant tous les échanges de courriels avec Smet, mais aussi ceux avec les services iraniens ». « Si cela montre qu’elle ne s’est pas correctement opposée, elle devra démissionner. »

Ce qui est peut-être pire pour Lahbib : c’est que la presse s’est également acharnée sur elle.

  • Bertrand Henne, analyste politique à la RTBF, a été impitoyable : « La hiérarchie est claire. Les visas relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Si la Wallonie, par exemple, voulait inviter une délégation de Corée du Nord à un salon de l’armement, Lahbib devrait aussi décider ». Et il ajoute : « Si la situation des droits de l’homme est si importante pour la diplomatie belge, il est difficile de comprendre pourquoi la ministre est personnellement intervenue, contre l’avis de son administration, pour accorder ces visas. »
  • Et sur LN24, l’éditorialiste Martin Buxant, qui s’apprête à rejoindre RTL, s’en est également pris à Lahbib: « C’est assez peu élégant de minimiser sa propre responsabilité, et d’invoquer la ‘pression’ d’un autre politicien. Un ministre résiste à la pression. Un ministre décide en conscience. Un ministre assume. »

La dure vérité : Lahbib ne partira pas. Démissionner signifierait en effet sa fin.

  • Mercredi, la Chambre se réunira à nouveau, en commission des Affaires étrangères, à propos de Lahbib et des Iraniens. Ce sera à nouveau un moment difficile pour la ministre, qui, pour l’instant, ne s’exprime ni ne se montre dans la presse.
  • Mais en ce moment, malgré la forte pression, il semble peu probable qu’elle démissionne. Elle maintient la ligne qui a déjà été adoptée jeudi à la Chambre : c’était Smet et sa ‘pression’ qui exigeaient les visas. La majorité a déjà entendu cette défense une fois, et bien qu’il y ait eu de l’irritation à ce sujet dans les couloirs, il n’y a pas eu d’attaques frontales de la part des membres de la Vivaldi.
  • Au contraire, Smet a dû subir des attaques de la majorité vendredi au Parlement bruxellois du PS et de DéFI. La question est de savoir si Groen et Ecolo, qui n’ont pas vraiment d’affection pour le MR, ne vont pas cette fois-ci mettre davantage de pression. D’autant plus que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a de nouveau jeté de l’huile sur le feu.
  • « Smet a commis une faute et en subit les conséquences logiques. Étant en charge des relations internationales de Bruxelles, il n’aurait jamais dû procéder à cette invitation. Mais au-delà de cet acte, c’est la légèreté et l’amateurisme du gouvernement bruxellois qui est mis en cause, dans toutes les matières, à commencer par l’économie, la propreté et la mobilité. Notre capitale mérite mieux ! », a-t-il tweeté ce week-end. Le PS et Ecolo, les deux plus grands partis de ce gouvernement, apprécieront. Ils pourraient encore décider de mettre Lahbib en difficulté.
  • Quant à la remarque de Theo Francken (N-VA) selon laquelle « Lahbib devrait également partir », Bouchez a vivement réagi sur Twitter, se disant « assez surpris de voir un nationaliste flamand affirmer que la ministre Hadja Lahbib aurait dû s’opposer à la volonté politique d’une région. Donc, vous estimez que les compétences internationales des régions devraient être sous le contrôle du fédéral ? Bien noté. »
  • Le fait est que Bouchez a pris beaucoup de risques en désignant Lahbib, ancienne journaliste de la RTBF, comme successeure de Sophie Wilmès (MR), qui a démissionné l’année dernière en raison de la maladie de son mari. Ce faisant, il a défié l’ordre de préséance interne et a écarté Alexia Bertrand, qui a ensuite rejoint l’Open Vld.
  • Bouchez ne pense pas à abandonner Lahbib maintenant : il perdrait un pion essentiel à Bruxelles en vue des prochaines élections. D’ailleurs, elle se porte très bien dans les sondages : en 2024, elle apportera une valeur ajoutée au président conservateur ; Lahbib a un profil beaucoup plus mesuré et progressiste.
  • Mais pour le moment, elle n’a évidemment pas de mandat politique : une démission la laisserait les mains vides. Par ailleurs, Lahbib a déjà survécu à une affaire, lorsque, lors de sa prise de fonctions, il s’est avéré qu’en tant que journaliste culturelle à la RTBF, elle avait visité la Crimée et déclaré “qu’elle avait été en Russie”. Cela a conduit à une forte tension avec Kiev, mais ni Bouchez ni Lahbib n’ont cédé, et ils ont laissé l’affaire s’estomper.
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