En Turquie, la crise économique ne s’interrompt pas avec les élections, bien au contraire

Erdogan est mieux placé qu’estimé pour rester président de la Turquie, mais il n’a toutefois pas pu rafler la victoire dès le premier tour. En réaction la lire plonge à nouveau, et l’avenir économique s’annonce bien sombre, avec des denrées alimentaires hors de prix. Mais le président préfère blâmer les homosexuels.

Pourquoi est-ce important ?

C'est peut-être un tournant pour la société turque : le président sortant Recep Tayyip Erdogan et le candidat d'opposition Kemal Kilicdaroglu restaient au coude à coude lors du scrutin de ce dimanche, avec un court avantage pour le premier. Les Turcs voteront donc pour un second tour, le 28 mai prochain. Soit pour un saut dans l'inconnu après 20 ans de pouvoirs pour Erdogan, soit pour la continuation d'un modèle qui semble à bout de souffle.

« Pomme de terre, oignon, au revoir Erdogan ! »

Dans l’actualité : l’arrivée en tête du président Erdogan au premier tour de l’élection, avec 49,5% des voix contre 44,89% à Kilicdaroglu, n’est pas un bon signe pour l’économie turque, bien au contraire.

  • La livre turque a frôlé son plus bas niveau historique à l’ouverture des marchés le lendemain du scrutin de dimanche, ce qui donne d’ailleurs une idée de la surprise que ce fut.
  • Or, les dernières années du règne du président turc ont été marquées par une crise économique sévère, et surtout une hausse catastrophique de l’inflation, estimée en moyenne à 44 % en avril en rythme annuel, bien qu’elle a connu des sommets à 85% durant l’automne 2022.
  • Celle-ci sape le pouvoir d’achat des Turcs, avec les prix de certains produits de première nécessité qui se retrouvent multipliés par 6. C’est le cas des oignons par exemple, devenus d’ailleurs un véritable symbole de l’échec du gouvernement à enrayer l’inflation comme la dévaluation de la monnaie. « Pomme de terre, oignon, au revoir Erdogan ! », scandaient ainsi les partisans de Kemal Kiliçdaroglu.
  • Il faut d’ailleurs rappeler que les mesures prises par le président en poste pour soulager la situation économique ont toutes été improductives, voire complètement aberrantes. Il a continué à baisser les taux d’intérêt en dépit du bon sens, tout en menaçant de prison les économistes qui contrediraient les chiffres avancés par l’État.

La continuation d’une politique économique aberrante ?

« Les espoirs d’une victoire de l’opposition et d’un retour à une politique orthodoxe se sont évaporés. Au lieu de cela, il y a maintenant un risque très réel qu’une victoire d’Erdoğan conduise à une instabilité macroéconomique en Turquie, y compris la menace d’une grave crise monétaire et des tensions dans les positions bancaires et de la dette souveraine plus loin dans le temps. »

Liam Peach, Capital Economics, cité par The Guardian

Le contexte économique sera toutefois difficile dans un avenir proche dans tous les cas de figure, quel que soit le vainqueur du second tour.

  • L’agence de notation américaine Fitch Ratings a souligné la diminution des réserves de change de la Turquie causée par les tentatives de stabilisation de la lire, ce qui pèsera sur le prochain gouvernement.

« Quel que soit le vainqueur, le prochain gouvernement sera confronté à un contexte économique difficile, caractérisé par une demande de devises étrangères refoulée et une pression sur la lire, un déficit important des comptes courants, des réserves internationales en baisse et une inflation élevée »

Fitch Ratings

Le président se cherche un bouc émissaire

L’économie restera en tout cas le point faible d’Erdogan durant la période de l’entre-deux tours, et nul doute que l’opposition tentera de jouer sur ce tableau pour grappiller les points qui lui manquent dans les sondages.

Erdogan le sait bien sûr, et tente déjà de détourner l’attention tout en flattant son électorat le plus conservateur. Il blâme à nouveau la communauté LGBT+ du pays pour tous les maux de la Turquie. C’est devenu pour lui un réflexe dans cette campagne, où il a toujours fustigé une opposition qu’il accuse de « saper les valeurs familiales et d’être sous l’emprise de réseaux LGBTQ+. » Outre les relents nauséabonds de ces propos, ceux-ci confirment en tout cas que le président n’est toujours pas en phase avec les défis économiques présents et futurs qui doit relever son pays.

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