Le tremblement de terre subi par la Turquie a-t-il ébranlé le trône d’Erdogan, à deux mois des présidentielles ?

Les élections présidentielles de mai prochain semblent obnubiler le président turc, qui multiplie les déclarations choc à l’international. Mais dans son pays, frappé par la crise économique, la récente et meurtrière catastrophe naturelle ne fait qu’ébranler un peu plus le trône du sultan de la Sublime Porte. Dans l’ancienne capitale impériale, l’opposition a bien compris qu’elle avait sa chance.

Le drame : À partir du 6 février dernier, la Turquie et la Syrie ont été frappées par ce qui pourrait bien être la catastrophe naturelle du siècle sans la région : une série de séismes, dont la magnitude dépassait 7 sur l’échelle de Richter, a ravagé une région de la superficie de la Hongrie. Le bilan, au 2 mars, était de plus de 51.000 morts, dont 46.000 du côté turc. Un drame terrible, qui aura des conséquences durables pour le pays.

Le contexte politique : la Turquie se dirige vers des élections présidentielles, le 14 mai prochain, et l’enjeu principal en est bien sûr la possible réélection de Recep Tayyip Erdoğan. Celui-ci est en place depuis 2014, ce qui lui fait deux mandats de 5 ans – c’est en théorie le maximum selon la limite inscrite dans la constitution. Mais cela ne l’a pas empêché de se représenter.

Un pays qui a peur du prochain séisme

  • Il faut noter au passage que depuis la réforme de 2017, le président turc est à la fois chef de l’État et chef de gouvernement, les fonctions de Premier ministre ayant été supprimées.
  • Face à lui, l’opposition s’est ralliée sous la bannière d’une hétéroclite Alliance de la nation, derrière la figure- ancrée à gauche et très populaire à Istanbul – de Kemal Kılıçdaroğlu. Objectif assumé de cette alliance : faire tomber Erdogan.
  • Or la série de séismes qui a frappé le sud-est du pays pourrait bien saper les fondations qu’Erdogan a patiemment bâties ces dernières années. Car dans un pays autant traversé de failles sismiques que la Turquie, personne n’imagine un seul instant que ce drame soit le dernier – ça n’est d’ailleurs pas le premier non plus.
  • Et c’est là le douloureux sujet sur lequel n’hésite pas à appuyer le maire d’Istanbul et figure de l’opposition Ekrem İmamoğlu. « Malheureusement, le 6 février 2023 n’a été que le début » a-t-il lâché lors d’un meeting rapporte Politico, rappelant au passage que la métropole sur le Bosphore et ses 16 millions d’habitants sont vulnérables.

Suspicion de corruption

Les petites affaires du président : dans le drame qui a frappé la Turquie, ce qui a frappé, c’est le nombre de bâtiments qui se sont effondrés immédiatement… Comme lors du séisme de 1999, qui avait fait 17.000 morts. Et comme à l’époque, on pointe du doigt des promoteurs immobiliers qui ont gardé la mauvaise habitude de construire avec les matériaux les moins chers, en dépit des normes antisismiques. Selon Libération, certains auraient d’ailleurs immédiatement quitté le pays au début du mois, de peur des poursuites.

  • De là à accuser les constructeurs turcs de rogner sur la qualité des constructions pour économiser de l’argent et des matériaux, dans des régions où les séismes ne sont pas une possibilité, mais une certitude, il n’y a qu’un pas, et des enquêtes devront être menées.
  • Mais si fraude il y a eu, difficile de ne pas regarder du côté des pouvoirs publics, et de se demander s’il n’y a pas eu corruption. Or, l’AKP du président Erdogan est partout, dans le paysage municipal turc : depuis 2014, le président centralise tous les pouvoirs autour de son parti et de ses fidèles.

Une Turquie plongée dans l’inflation

Le président Erdogan a plutôt réussi à se présenter comme un acteur de poids à l’international. Plutôt en bien quand il fournit des drones à l’Ukraine et qu’il joue les intermédiaires entre Moscou et Kiev, mais aussi en mal quand il flatte les milieux ultranationalistes en menaçant la Grèce de nouveaux massacres en mer Égée. Mais le pays, lui, s’enfonce dans la crise.

Les Turcs subissent une inflation à deux chiffres depuis plus près d’un an ; en septembre dernier, elle atteignait 80%, faisant exploser le coût de la vie. Et le président ne prend que des décisions économiques en dépit de tout bon sens, contraignant la Banque Nationale à baisser ses taux d’intérêt – à contre-courant du reste du monde.

  • Le président est même allé jusqu’à menacer de trois ans de prison toute personne qui effectue des recherches économiques et publie des données non officielles sur l’inflation. Une manière même pas voilée de museler les économistes, donc.
  • De manière générale, la répression se durcit, dans un régime présidentiel qui n’est pas sans point commun avec celui de l’autre côté de la mer Noire. Plus de 100 personnes ayant publié des commentaires offensants sur les réseaux sociaux ont récemment été arrêtées, et Ekşi Sözlük, un forum populaire, a été interdit, fait remarquer Politico. La police semble aussi plus présente au fur et à mesure que les élections se rapprochent. On dirait bien que le sultan sent qu’il joue son va-tout sur ce scrutin.
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