Toute la défense de Céline Tellier (Ecolo), ministre wallonne de l’Environnement, repose sur un seul argument : si elle avait su, elle aurait agi pour prévenir la population. Pourtant, autour de la ministre, tout le monde savait. L’armée américaine savait, la Société wallonne des eaux (SWDE) savait, le patron de la SWDE savait, l’administration savait, un proche conseiller de la ministre aurait dû le savoir, mais ne sait pas lire un tableau Excel, visiblement. Tous connaissaient le niveau problématique de PFAS dans l’eau de la commune de Chièvres. Une eau consommée pendant des mois par 12.000 habitants. Mais la ministre, elle, ne savait pas. À moins que l’écologiste n’ait pas dit toute la vérité, en commission, ce mardi. À cet égard, un tweet qui date de 2021 a refait surface, déterré par le député de l’opposition et ancien membre du gouvernement wallon Jean-Luc Crucke (Les Engagés). Ce tweet ne parle par de “suspicion” mais bien de “présence de PFAS”. Céline Tellier doit à nouveau s’exprimer ce jeudi, en séance plénière, au Parlement wallon. Vendredi, la commission Environnement devrait recevoir les témoignages du comité de direction de la SWDE et de l’inspecteur général du SPW Environnement (l’administration) pour faire toute la lumière dans un dossier riche en rebondissements.
Dans l’actu : un tweet explicite de 2021 refait surface, déterré par Jean-Luc Crucke (Les Engagés).
Le détail : le député de l’opposition fustige le silence assourdissant du gouvernement wallon dans ce dossier.
- « Ce qui est sûr, et je l’ai dit de façon totalement claire hier, si j’avais été alertée sur des chiffres dangereux pour les personnes, j’aurais évidemment pris l’initiative que les communes soient contactées et que des solutions alternatives soient données », a rappelé hier matin la ministre Céline Tellier, au micro de Martin Buxant sur Bel-RTL.
- Dans la matinale concurrente, sur La Première, Jean-Marc Nollet, co-président d’Ecolo, appuyait les propos de sa ministre, indiquant que « dans d’autres dossiers, les ministres avaient caché l’information. Ici, l’information a été cachée à la ministre« .
- Alors qu’elle sortait d’une défense solide mardi, tenant tête aux députés, la ministre doit faire face tous les jours à de nouveaux éléments, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’affaires. Et à cet égard, l’ancien ministre du Budget wallon, Jean-Luc Crucke, a déterré un tweet qui date de 2021, dans lequel la ministre dit « avoir pris connaissance du document relatif à la présence de PFAS à Chièvres. Les autorités communales et régionales travaillent en étroite collaboration. Je me suis engagée à fournir à la ville toutes les infos qui résulteront des analyses en cours« , écrit la ministre.
- Ce tweet date du 8 juillet 2021. Crucke était alors toujours ministre. Ce même jour, au sein du gouvernement, Tellier fait une communication orale à ce sujet. « Une méthode qui n’est jamais utilisée », se rappelle l’ancien ministre sur La Première. « Le point n’est jamais passé en intercabinets. Nous n’avons reçu aucun document. Nous avons juste été informés oralement d’une suspicion de pollution », a détaillé le député. « J’ai vraiment un sentiment bizarre par rapport à cette réunion. Car on ne fonctionne pas comme ça d’habitude. »
- Le tweet de la ministre parle en effet de tout autre chose : d’une « présence de PFAS », d’une collaboration « étroite » et surtout d’un « suivi » des analyses. Crucke est pour le moins interloqué. « La ministre ne parle pas de suspicion, mais bien de présence de PFAS, dans son tweet. Ensuite, elle dit qu’elle va communiquer les résultats de l’analyse à la ville (de Chièvres, ndlr). Or la ville dit qu’elle n’a pas reçu ces informations.«
- Selon Crucke, il y a eu au moins négligence dans ce dossier : « Le même jour, l’armée américaine de la base de Chièvres prend des mesures : plus de consommation d’eau publique et distribution de bouteilles d’eau aux soldats américains. C’est une précaution qu’il eut fallu prendre. »
- La ministre Tellier a-t-elle donc menti ? « Je n’aime pas ce mot. Car il est lourd de sens », a répondu Crucke. « Par contre, je crois que tout n’a pas été dit en commission. Et elle va devoir être réentendue, à minima, dans une commission spéciale ».
- Dans une première réaction, la ministre Téllier a contesté ces faits, tels qui sont présentés : « Entretenir le doute sur ma sincérité semble être la stratégie choisie par certains. J’ai pourtant répondu clairement sur ceci au Parlement ce mardi. Et j’ai bien communiqué sur ces premiers résultats (demandés en juillet 2021) en septembre 2021 avec les autorités communales. »
- Il est en effet encore trop tôt pour savoir si la ministre a menti. Mais on peut certainement déjà pointer du doigt un manque de suivi du dossier. Dans la chronologie des évènements, la ministre était donc au courant d’un problème en juillet 2021, quand elle prend connaissance du rapport américain, présenté au Parlement wallon par le député de l’opposition Jori Dupont (PTB). Des analyses partielles vont alors être lancées, dont les résultats arriveront donc en septembre 2021. Ils seront d’abord « rassurants », dit la ministre devant le Parlement en octobre 2021. Mais Céline Tellier demande des analyses complémentaires, c’est là le trou noir de ce dossier.
- Ces derniers jours, plusieurs courriers sont réapparus. Un courrier qui date du 16 juin 2022 indique que l’administration (SPW) connaissait « le dépassement systématique de la norme » dans les eaux du puits et le château d’eau de Chièvres et demandait explicitement à la SWDE « de communiquer les actions prises en vue de limiter les concentrations PFAS ».
- Non seulement l’administration et la SWDE savaient, mais le patron du distributeur d’eau également. Quelques jours plus tard, le 24 juin, le Président du comité de direction va répondre que « la SWDE a étudié plusieurs possibilités dont celle d’installer un système de filtration (par charbon actif) provisoire afin de retenir les PFAS. L’option a été retenue et le lancement des travaux est en cours », dans un courrier révélé par la RTBF.
- Or, on sait maintenant qu’il faudra attendre mars 2023 pour que ces filtres à charbon soient effectivement installés. Soit un délai de 9 mois durant lesquels rien ne s’est passé, ou en tout cas, rien n’a été communiqué à la population. 9 mois durant lesquels les 12.000 habitants de Chièvres et des villages aux alentours ont bu de l’eau contaminée.
- En attendant de réentendre la ministre, au Parlement wallon, et peut-être dans une commission spéciale, Jean-Luc Crucke fustige « un gouvernement absent », « sans aucune communication », laissant « le terrain à l’abandon » alors que « les gens ont peur ». Il est vrai que des centaines d’analyses sont toujours en cours un peu partout en Wallonie. « Pourquoi les PFAS resteraient-ils limités à la province du Hainaut et à la Flandre ? Je crains que le problème soit beaucoup plus grand. »
L’essentiel : l’affaire des PFAS, comme prisme de tout ce qui ne va pas dans la gestion wallonne.
- Au-delà de la responsabilité politique de la ministre Céline Tellier, l’affaire des PFAS remplit toutes les cases du parfait manuel à ne pas reproduire en termes de bonne gouvernance.
- C’est un problème récurrent en Wallonie : l’enchevêtrement et la mauvaise communication entre une administration et des cabinets pléthoriques qui déforcent la première citée. Dans le cas de la ministre Tellier, on parle d’un cabinet de 57 personnes. Autant de personnes qui ne peuvent assurer leur fonction et le suivi des politiques menées au sein de l’administration.
- Cette affaire est aussi l’histoire d’un cumul des mandats. En effet, le cas d’Eric Van Sevenant, grand patron de la SWDE, étiqueté PS, et issu du cabinet de l’ancien ministre Jean-Claude Marcourt, est éloquent. On sait désormais, à travers les courriers, que ce dernier était au courant de la contamination des eaux de Chièvres aux PFAS, en juin 2022. Mais l’homme est visiblement très occupé.
- Van Sevenant dirige aussi la SPGE (société publique de gestion de l’eau) depuis 2022. Deux postes pour lesquels il est rémunéré à hauteur de 270.000 euros bruts pas an (soit le plafond). Mais ce n’est pas tout : l’homme est aussi très actif dans le redéploiement de la Ville de Charleroi, énumère La Libre. L’ancien cabinettard est aussi président du comité de gestion du Forem et siège encore comme administrateur dans d’autres structures, comme on peut le voir sur le site Cumuleo. Il n’est toutefois pas rémunéré pour ces autres fonctions.
- Enfin, en 2021, il a demandé à travailler un jour par semaine comme collaborateur au groupe PS au Sénat. Et comme le monde est petit, en Wallonie, son fils travaille comme chef de cabinet adjoint du bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette.
- Van Sevenant connait Céline Tellier. Il est par exemple intervenu le 24 octobre dernier au Parlement wallon, dans un autre dossier, mais aux côtés de la ministre, comme « conseiller ». Ce terme est plutôt un terme d’usage, issu du parlement, mais bref, ils ne sont pas étrangers l’un pour l’autre.
- Alors pourquoi, la ministre et le patron de la SWDE n’étaient-ils pas en plus étroite communication dans le dossier PFAS ? La SWDE a répondu à la RTBF que son seul interlocuteur est l’administration (SPW) et pas la ministre.
- Last but not least, la Wallonie rayonne par un manque criant de numérisation et de données. Comme l’a montré l’épisode du tableau Excel, que le conseiller détaché de l’administration dans le cabinet Tellier, n’a visiblement pas su déchiffrer. Ce qui lui a coûté son poste. C’est un mal récurrent au sud du pays, à l’heure du Big Data et de l’IA, la Wallonie n’a pas de statistiques fiables.
- Hier, au Parlement flamand, la ministre de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA) dénonçait « la boite noire » qu’est la Wallonie. « J’ai mis en garde les collègues wallons et bruxellois pour une raison bien précise : le manque de données en provenance de Bruxelles et de Wallonie », a-t-elle dénoncé hier, pour un problème d’eau contaminée à Halle. La ministre Demir a envoyé plusieurs courriers pour prévenir et demander des comptes aux différentes autorités francophones. Ces nouveaux signaux d’alerte n’auront pas été entendus par la ministre Tellier. En tout cas, pas suffisamment pour sonner l’alarme à la population.