Une fois de plus, la sortie du nucléaire met la Vivaldi sous haute pression. Après un appel des employeurs à maintenir ouverts les deux derniers réacteurs, l’Open Vld, le CD&V et même Vooruit ont ouvertement exprimé leurs doutes. Ils ont invoqué le « changement de situation géopolitique » pour rouvrir la porte à une prolongation. « A gamechanger« , a même déclaré Egbert Lachaert, le président des libéraux flamands. Du côté de Vooruit, c’est le prix qui a été utilisé comme prétexte : « Prouvez-moi que le maintien des centrales permettra de réduire la facture énergétique, et nous irons dans ce sens. » Chez les Verts, on appelle à « respecter » l’accord gouvernemental du 23 décembre ; en coulisses, on souligne que tant Groen qu’Ecolo n’ont pas l’intention de revenir sur la loi de sortie du nucléaire. « Sinon la Vivaldi tombera », dit-on au sommet. Cela met une pression énorme sur le 18 mars, date à laquelle le gouvernement doit prendre sa décision.
Dans l’actualité : l’Open Vld, le CD&V et Vooruit disent ouvertement ce qui se tramait déjà en coulisses. Ils ne s’accrochent plus à la sortie du nucléaire coûte que coûte.
Le détail : L’agitation autour des centrales nucléaires s’éternise.
- « Il y a avant tout un besoin de calme et de sérénité. Je comprends la nervosité des employeurs. Mais je demande aux politiciens de garder la tête froide et de mettre en œuvre ce qui a été décidé il y a à peine un mois et demi. »
- « Pourquoi n’avons-nous pas pu prendre cette décision avant la fin du mois de décembre ? Parce qu’il y avait un problème avec les permis pour la centrale à gaz de Vilvorde. »
- Ce matin, Groen a envoyé son chef de groupe, Wouter De Vriendt, pour tenter de calmer un peu les choses sur Radio 1, mais en même temps pour rappeler aux partenaires de la coalition qu’il y a à peine six semaines, le gouvernement était déjà parvenu à un compromis sur l’énergie nucléaire. « Si les gouvernements n’appliquent plus méticuleusement les accords qu’ils ont conclus, c’est sans fin. Nous exigeons le respect des choses qui sont convenues, sinon il devient très difficile de gouverner. C’est l’essence même du travail gouvernemental », a déclaré M. De Vriendt.
- Ce faisant, il a rappelé à l’ordre les trois présidents de parti, ceux du CD&V, de l’Open Vld et de Vooruit : « Nous savons que Georges-Louis Bouchez (MR) fait preuve de peu de loyauté envers le gouvernement fédéral dont son parti est membre. Ce gouvernement ne peut pas gérer deux Bouchez. »
Ce qui a précédé : Soudainement, trois partis flamands au pouvoir changent ouvertement leur discours.
- Ces trois partis attendaient un signal. Et il est venu des organisations patronales du Voka et de la FEB. Elles ont plaidé pour maintenir deux réacteurs nucléaires ouverts afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement en ces temps géopolitiques instables.
- En ce qui concerne le CD&V, le parti est préoccupé par l’approvisionnement depuis plus longtemps : lors des négociations au sein du kern en décembre, le vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V) a été l’une des voix les plus critiques contre les plans des Verts, parfois plus que les libéraux.
- Le président du parti, Joachim Coens (CD&V), lui-même ingénieur, l’a confirmé hier: « La situation a changé, les tensions en Europe de l’Est sont fortes, et le prix a énormément augmenté. Ce sont les réalités d’aujourd’hui, il faut donc recommencer à discuter de tout, y compris du maintien des centrales nucléaires. »
- En ce qui concerne l’Open Vld, le parti du Premier ministre De Croo, Egbert Lachaert semblait résolu sur l’avenir des centrales nucléaires en décembre dernier : « On ne peut pas réanimer un cadavre », avait-il affirmé à l’époque, en réponse à Georges-Louis Bouchez, qui se battait depuis des mois pour maintenir les centrales.
- Changement de cap pour les libéraux flamands qui avancent désormais un « gamechanger« , comme l’a soudainement défini Lachaert dans Het Laatste Nieuws : « Les prix du gaz en Europe ont explosé. Nous ne pouvons pas l’ignorer. Nous avons donc besoin de conseils supplémentaires pour savoir quel sera l’impact de la sortie du nucléaire. Tant qu’il n’y a pas de clarté sur ce point, vous ne pouvez pas simplement fermer le plan B. »
- Et regardez : les socialistes flamands changent également de discours. Conner Rousseau (Vooruit) a précisé ce qui se murmurait depuis un certain temps dans les couloirs : on peut parler de l’avenir des centrales nucléaires pour le PS et Vooruit. Lors de l’émission Villa Politica, il s’est exprimé en des termes qui placent les Verts sur la défensive, mais a également lancé un défi aux Libéraux : « Si quelqu’un peut prouver que la facture énergétique sera moins chère si les centrales nucléaires restent ouvertes, alors nous pouvons les garder ouvertes. »
- Auparavant, tant l’Open Vld que le CD&V avaient déjà indiqué qu’ils souhaitaient revenir sur la loi de sortie du nucléaire, qui interdit définitivement l’énergie nucléaire, voulant donner la chance à des réacteurs de nouvelle génération. Il ne fallait pas abandonner totalement la technologie et les investissements. Hier, Vooruit semblait également d’accord : « On ne peut rien exclure pour les générations futures. »
Ce qui se passe en arrière-plan : la pression du MR a fini par payer.
- Ce matin sur Radio 1, De Vriendt a poliment exprimé l’énorme frustration ressentie par Groen et Ecolo à propos du dossier. Le nœud du problème est que les accords ne sont pas respectés au sein de la Vivaldi. En effet, l’accord de gouvernement prévoyait la fermeture définitive des centrales nucléaires, 20 ans après la dernière participation au gouvernement des Verts, qui en ont également payé le prix à l’époque. Cette sortie était actée dans l’accord de coalition, bien que quelque peu nuancée par la condition de résoudre « techniquement » le dossier. Mais à l’époque, cela avait surtout été ajouté pour créer du soutien et pour ne pas faire perdre la face à Georges-Louis Bouchez.
- Mais, en 2021, la discussion s’est éternisée pendant des mois, et elle est devenue un véritable calvaire pour les Verts et surtout pour la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen). La pression de l’opposition, dirigée par la N-VA, a été intense, mais c’est surtout dans les propres rangs de la Vivaldi qu’elle a pesé lourd. Bouchez et sa vice-première ministre Sophie Wilmès (MR) ont adopté une position beaucoup plus ferme ces derniers mois. Le fait que la communication de Van der Straeten ait été un échec n’a pas aidé la cause des Verts non plus.
- Tout cela a finalement abouti à un point culminant dans les discussions au sein du gouvernement : à la toute fin de l’année, le 23 décembre, le Premier ministre Alexander De Croo a réuni tout le monde pour un grand « accord énergétique ». Le « plan A », c’est-à-dire la fermeture de toutes les centrales, restait l’option privilégiée, mais un « plan B », dans lequel les deux réacteurs les plus jeunes resteraient ouverts, n’a pas été totalement exclu, à la grande joie du MR.
- Ce qui n’était pas inclus dans l’accord, et qui est donc resté confirmé, c’est la loi de la sortie du nucléaire en tant que telle. Elle resterait inchangée : l’énergie nucléaire ne serait donc plus possible en Belgique à l’avenir, sauf si cette loi était un jour modifiée.
- Le message était clairement ambigu, car dans le même temps, le 23 décembre, il a été prévu de mener des recherches sur de nouveaux réacteurs nucléaires, plus petits et plus propres, pour lesquels des dizaines de millions d’euros devaient être débloqués. Mais la loi elle-même n’a pas été touchée. Cela a même été confirmé par le vice-première ministre Wilmès : « Il n’y avait pas de majorité pour cela à la table à l’époque.
Et maintenant ? : Les Verts ne veulent plus céder.
- Le fait que le monde des affaires se retourne maintenant contre les Verts est difficile à encaisser pour Van der Straeten. Elle a investi énormément dans les contacts avec les capitaines d’industrie, afin de se présenter comme une « pragmatique » et comme une « technicienne », et d’assurer à tous qu’elle guiderait le processus de la « transition énergétique » de manière claire.
- En coulisses, on se vantait de ses bonnes relations avec les grands entrepreneurs flamands, une « épine dans le pied de la N-VA, qui avait espéré être soutenue dans sa lutte », comme on l’entendait chez Groen il y a quelques semaines à peine. Le fait que ces entrepreneurs prennent maintenant un autre virage et soutiennent pleinement le maintien des centrales nucléaires est donc un coup dur.
- Les Verts ne peuvent et ne veulent pas revenir sur leur position concernant les centrales nucléaires. « À un certain moment, il faut oser dire : ‘Les gars, ça a été une bonne journée, maintenant on y va’. Nous avons vraiment atteint ce point. L’ensemble du système CRM des centrales à gaz a été approuvé par l’Europe, nous ne pouvons donc pas le remplacer en maintenant les centrales nucléaires ouvertes », indique un écologiste sur un ton combattif.
- Et les Verts sont également clairs au sujet du gouvernement. Ils parlent d’une « ligne rouge » en ce qui concerne la loi sur la sortie du nucléaire. « Si nous abandonnons la loi, pourquoi sommes-nous encore au gouvernement ? Alors la Vivaldi tombera », entend-on au sommet.
- Car il est certain qu’Ecolo s’est énormément démené lors des négociations gouvernementales, Jean-Marc Nollet, le co-président d’Ecolo, faisant de la sortie du nucléaire son point de rupture pour entrer au gouvernement. « Il n’hésitera pas, s’il faut en arriver là », dit-on avec détermination.
Le rôle du Premier ministre: De Croo doit utiliser son meilleur talent, celui de diplomate.
- Ce jeudi, le Premier ministre De Croo sera assailli de questions à la Chambre pour une énième fois.
- Sur Radio 1, il a déjà donné un avant-goût de ce qu’il répondra cet après-midi, dans une sorte de numéro d’équilibriste:
- « Nous allons prendre une décision à la mi-mars et je ne vais pas anticiper cela », a-t-il tenté de déminer.
- « Mais bien sûr, il faut prendre en compte tous les éléments et toutes les évolutions », tel un message au Voka et à la FEB.
- « A mon avis, il s’agit vraiment d’une discussion factuelle, où il faut regarder les analyses techniques », allant dans le sens de la ligne que Van der Straeten aime aussi adopter.
- « J’ai parfois l’impression que ce sujet est très fortement politisé et je pense que c’est une mauvaise approche », a conclu le Premier ministre.
- Pourtant, l’attitude de son propre parti, l’Open Vld, le place en mauvaise position. Jusqu’à présent, les Verts et les Libéraux flamands se sont serré les coudes, dans une alliance pragmatique qui est apparue dans plusieurs dossiers, mais certainement sur l’énergie nucléaire : le Premier ministre ne réalise que trop bien l’importance de ce point pour ses partenaires écologistes.
- Mais de l’autre côté, il y a la base naturelle du Premier ministre : les milieux d’affaires flamands et les entrepreneurs. Jusqu’à présent, il était pratique que Van der Straeten y prête autant d’attention : cela rassurait également le Premier ministre libéral.
- C’est une donne qui a changé et De Croo ne peut pas ignorer complètement ce signal. Aujourd’hui, d’ailleurs, une autre lettre ouverte est venue s’ajouter à la pile : celle de Françoise Chombar, présidente du fabricant de puces Melexis, et véritable militante de l’énergie nucléaire. Elle a déjà rassemblé près de deux cents hommes d’affaires et universitaires autour de sa pétition « Keep the lights on« .
- Mais il y a de fortes chances que le 18 mars également, le gouvernement ne soit pas en mesure de trouver une solution. Chaque partenaire de la coalition sait que le temps joue en faveur des verts, faute d’avoir le temps de se retourner.
- Les socialistes en particulier peuvent observer de loin : « Il se pourrait bien que la décision soit à nouveau reportée, de sorte que la fermeture devienne de facto plus réaliste. Les discussions prendront encore quelques mois », a déjà laissé entendre un vice-premier ministre.
En même temps : garder les centrales nucléaires ouvertes n’est pas si évident. Vous devez passer par Engie.
- Engie ne cesse de répéter, y compris cette semaine, qu’il est trop tard. Malgré un bénéfice de près d’un milliard d’euros, cette rhétorique semble invraisemblable si l’on observe la politique de Paris. Il s’agit principalement d’une position de négociation.
- Et ça met le géant de l’énergie français en position de force : De Croo pourra se rendre à La Défense à genoux pour demander le maintien de Doel 4 et Tihange 3, en accordant sans doute de nombreux rabais financiers, ou plutôt des garanties que l’État belge ne viendra pas écrémer les superprofits d’Engie. Sans parler du coût du futur démantèlement qui devrait être exorbitant pour Engie.
- En ce sens, les socialistes ont raison de dire qu’il s’agit en fait également d’une considération financière : la formule la moins chère sera-t-elle finalement la solution privilégiée ?