Un mouvement apparemment mineur, mais aux grandes conséquences : à Bruxelles, le cd&v crée une liste commune avec Les Engagés. Après Ecolo/Groen, et probablement l’Open Vld et le MR, c’est un autre parti flamand qui recherche activement une alliance avec sa « famille » de l’autre côté de la frontière linguistique. Par cette action, le président Sammy Mahdi (cd&v) abandonne discrètement l’agenda communautaire de son parti, indiquant qu’une nouvelle réforme de l’État n’est pas une priorité. Ce n’est pas une nouveauté : le parti avait déjà précisé à son groupe parlementaire que le terme « confédéralisme » ne devait plus être utilisé. « La réforme de l’État est en effet très basse dans la liste des priorités du président », regrette un cadre supérieur. Cette décision a également un impact significatif sur la future formation de la coalition fédérale. Alors que Mahdi écarte explicitement la N-VA, il attire Maxime Prévot (Les Engagés) dans une nouvelle coalition hétéroclite : « Au sein du kern, chaque parti compte pour un, avec nous, le cd&v pourrait donc avoir plus d’influence », explique Prévot.
L’actualité : La formation d’une liste commune entre le cd&v et Les Engagés.
Les détails : Ce ne sont finalement pas les listes N-VA en Wallonie, qui ont monopolisé les gros titres, mais plutôt la petite liste commune à Bruxelles des ex-démocrates-chrétiens, qui sera politiquement significative : une renaissance pour la famille orange. L’ancienne fracture communautaire est immédiatement mise au frigo.
- « J’ai rencontré Maxime et lui ai proposé d’unir nos forces. Contre les extrêmes et ceux qui veulent paralyser le pays. Nous sommes souvent sur la même longueur d’onde, notamment sur le socio-économique, la fiscalité et l’énergie nucléaire. Même dans la commission de la Santé publique, Les Engagés nous soutiennent souvent depuis l’opposition. » C’était le message fort de Sammy Mahdi (cd&v) ce week-end, lors d’interviews croisées avec Maxime Prévot, dans De Standaard et La Libre.
- Cette annonce a éclipsé une autre nouvelle : la N-VA envisage de présenter des listes en Wallonie. La rhétorique tranchante de Bart De Wever (N-VA), parlant de « libérer la Wallonie du PS », sur la VRT et VTM, a relégué au second plan la réunification de la famille humaniste.
- Pourtant, la présentation de listes par la N-VA serait probablement un geste symbolique, avec peu d’impact sur la lutte électorale en Wallonie, et pourrait au mieux coûter quelques points de pourcentage au MR. À court terme, cela a offert à De Wever une attention médiatique pour son agenda communautaire, avec des réactions prévisibles de la presse, qui a produit des analyses des deux côtés de la frontière linguistique.
- Mais la réunification du cd&v et des Engagés est tactiquement très importante pour la N-VA : tandis que De Wever s’efforce d’empêcher une Vivaldi-bis de se reformer – sans réforme de l’État et sans la N-VA -, Mahdi a fait ce week-end un grand pas dans cette direction.
- « Je ne veux pas laisser le pays à une personne aussi négative« , a déclaré Mahdi à propos de De Wever. « Maxime et moi ne serons pas de simples spectateurs lorsque la politique se mettra hors-jeu (dans de longues négociations, ndlr). »
- Interrogé sur le principe du « ensemble au gouvernement, ensemble hors du gouvernement », Mahdi a répondu affirmativement. Prévot a clairement indiqué qu’il ne partirait pas pour « un spectacle de plusieurs centaines de jours ».
- Mahdi dévoile également ses intentions concernant les négociations communautaires : « Les compétences doivent être réparties de manière plus homogène. Mais sur la manière de le faire, les dix partis ont des avis divergents. Je ne souhaite pas bloquer le pays pour cela. »
- Prévot précise encore davantage : sa formation politique pourrait apporter un soutien supplémentaire pour le cd&v, au sein du comité ministériel restreint : « Les décisions sont de plus en plus prises au sein du kern. Le cd&v est souvent isolé. Bien que le nombre de sièges soit crucial pour obtenir une majorité, dans le kern, c’est une tête par parti. Ainsi, avec nous, le cd&v pourrait avoir plus de poids. »
Zoom arrière : Mahdi a redirigé son parti en toute discrétion, s’éloignant de l’agenda communautaire et instaurant un nouveau leadership.
- Le marché du travail et les soins de santé restent les deux principaux chantiers que les ténors du cd&v citent systématiquement lorsqu’ils évoquent la nécessité d’une prochaine réforme de l’État. Hilde Crevits (cd&v) a récemment réaffirmé cette idée dans son livre »Tussen eb en vloed » (Entre marée basse et marée haute), plaidant pour cette prochaine étape de la réforme.
- Cette logique avait aussi été adoptée par Koen Geens (cd&v) lors des négociations gouvernementales de 2019-2020 : sans une réforme de l’État supplémentaire, le pays ne s’en sortirait pas. C’est pourquoi Geens avait insisté pour inclure la N-VA dans les négociations. Toutefois, cette coalition n’a jamais vu le jour, et finalement, l’ancien président Joachim Coens (cd&v), avec le soutien explicite de Sammy Mahdi (cd&v), alors secrétaire d’État, a réorienté le parti : la réforme de l’État n’est devenue qu’une promesse vague dans l’accord de gouvernement Vivaldi.
- Cette même nécessité avait été soulignée par Geens, Wouter Beke (cd&v) et Servais Verherstraeten (cd&v) dans une lettre ouverte commune en début d’année : « Retirons la santé du panier fédéral », écrivaient-ils avec conviction.
- « Force est de constater que l’actuel président ne place pas le communautaire en haut de sa liste de priorités », souligne une source importante au sein du cd&v. « Il l’a encore clairement exprimé ce week-end. » « Il n’est simplement pas préoccupé par cette réforme de l’État », observe une autre source du cd&v.
- La sémantique joue un rôle ici : le parti ne souhaite plus utiliser le terme « confédéralisme » au sein du cd&v. Le groupe parlementaire a été discrètement invité à ne pas toujours aborder cet agenda communautaire. Et certainement pas en ces termes. On ne doit donc pas s’attendre à voir de nouvelles lettres de Geens, Beke et Verherstraeten de sitôt.
- Pourtant, le trio possède une grande expérience en matière de négociations fédérales, concernant l’architecture essentielle de la SA Belgique. La dernière réforme de l’État, la sixième, celle de l’accord Papillon du gouvernement Di Rupo, a été négociée par Beke, y compris la pièce maîtresse : la Loi de Financement Spécial.
- Mais aujourd’hui, Geens ne sera bientôt plus en position éligible, tout comme Verherstraeten, et Beke a été repositionné vers l’Europe. La question se pose : Crevits va-t-elle réapparaître pour former une alliance avec la N-VA au gouvernement flamand, ou passera-t-elle également le flambeau après une longue carrière, y compris en matière de revendications communautaires ?
- D’importants changements de personnel sont donc à prévoir au cd&v. Tout indique que l’équipe de négociation fédérale sera dirigée par Vincent Van Peteghem (cd&v), perçu par beaucoup comme le véritable pilier de pouvoir au sein de son parti. Le vice-premier ministre fédéral a clairement manifesté son désir de participer à nouveau à un gouvernement fédéral. Une alliance avec Les Engagés renforcerait ces opportunités.
- Il est à noter que Mahdi n’obtient presque rien en retour pour cet accord à Bruxelles : une troisième place sur la liste des Engagés, qui ne semble pas éligible. Le fait qu’il soit dit qu’ils sont « alignés sur le contenu » est surprenant, car les démocrates-chrétiens francophones se sont positionnés de manière plus à gauche sur de nombreux dossiers par le passé.
- Prenons la politique « stricte » en matière de migration de la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor (cd&v). Cette politique est perçue différemment en Belgique francophone qu’en Flandre, où elle est considérée comme « douce » à droite.
- Il y a aussi la question de la division des soins de santé : le cd&v va-t-il alors retirer cela de son programme ? Difficile à imaginer, mais en contradiction totale avec la position des Engagés.
- De même, sur la question de l’avortement. Sous Joachim Coens, le cd&v était fermement opposé à un assouplissement, insistant même pour un veto dans l’accord gouvernemental. Les Engagés ont une ligne différente et plus nuancée : Mahdi va-t-il alors aussi renoncer à cette exigence ?
L’essentiel : De Wever perçoit que le cd&v pourrait également devenir un levier important, sur la même voie que l’Open VLD.
- Cette évolution, qui consiste à voir Mahdi discrètement consolider son pouvoir et à éloigner son parti de la ligne historique du cd&v, suit un parcours similaire à celui de l’Open Vld, un autre parti du centre droit, en Flandre.
- Ce week-end, De Wever a réaffirmé à la télévision que la question essentielle n’est pas de savoir s’il fera alliance avec le Vlaams Belang, mais plutôt de savoir si l’Open Vld et le cd&v vont simplement permettre à Vivaldi de continuer à gouverner : « Ils devraient aussi clairement affirmer qu’ils ne maintiendront plus un gouvernement Vivaldi avec une minorité flamande. Vont-ils continuer à suivre aveuglément la gauche francophone ? Si l’on me demande de la clarté, j’en demande autant de leur part. »
- Cette « clarté », les deux partis l’ont déjà exprimée depuis quelque temps. Chez l’Open Vld, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a indiqué ne pas vouloir « précipiter le pays dans l’aventure communautaire ». « Après les dernières élections, l’obsession de la N-VA pour le confédéralisme a causé plus d’un an d’impasse politique et un coût de 10 milliards d’euros. Nous ne pouvons plus nous permettre cela », a déclaré ce week-end Tom Ongena, président de l’Open Vld).
- Avec la décision du cd&v d’accueillir Les Engagés et de rejeter désormais « un long siège dans les tranchées communautaires », Mahdi s’aligne également sur cette voie, s’écartant de la N-VA et se dirigeant vers une réédition de Vivaldi, cette fois avec le parti de Prévot.
- La N-VA se retrouve ainsi face à une situation très différente de celle de 2019, lorsque le cd&v et même l’Open Vld avaient clairement indiqué au sein de leurs rangs la nécessité d’une nouvelle réforme de l’État. C’est De Croo lui-même qui a longtemps empêché son parti de rejoindre une coalition arc-en-ciel, avant de devenir, six mois plus tard, le Premier ministre d’une coalition semblable, sans Gwendolyn Rutten (Open Vld).
- D’autant plus que les deux partis, le cd&v et l’Open Vld, avaient auparavant formé avec De Wever le gouvernement flamand, ce qui semblait donner à la N-VA des outils pour promouvoir un agenda communautaire au niveau fédéral.
- Cette situation explique l’ambiguïté actuelle des dirigeants de la N-VA vis-à-vis du Vlaams Belang : l’alternative, qui consiste à former une coalition au niveau flamand avec Tom Van Grieken (Vlaams Belang), représente le seul véritable levier que De Wever pourrait encore utiliser après les élections. Néanmoins, cela nécessitera une longue campagne durant laquelle la question reviendra constamment : De Wever envisage-t-il réellement de s’allier avec le Vlaams Belang ?