« Matteo Salvini est le vrai Premier ministre de l’Italie et il va bientôt déclencher une crise politique majeure dans l’UE » : c’est le titre d’un article paru sur ce site il y a exactement 14 mois. Entretemps, ce moment est arrivé. Le gouvernement italien n’est pas encore tombé, mais ce n’est plus qu’une question de jours. Le Premier ministre Conte demandera bientôt un vote de confiance au Parlement, ce qui marquera la fin provisoire du premier gouvernement anti-establishment de la zone euro.
Pour la zone euro, ce n’est rien de moins qu’une catastrophe. Matteo Salvini sera le prochain Premier ministre italien. C’est ce qui ressort clairement de tous les sondages. Sa Lega a réussi à obtenir 34 % des voix lors des dernières élections européennes. C’est tout simplement le double du nombre atteint un an plus tôt. Depuis lors, sa popularité dans son propre pays n’a fait que croître. La question est de savoir si une alliance de partis d’extrême droite peut atteindre une majorité des deux tiers au parlement. Parce qu’alors, Salvini pourrait faire ce qu’il veut.
La ligne de TGV Turin-Lyon n’est qu’un prétexte pour renverser le gouvernement
La coalition gouvernementale composée de la Lega et du M5S (Mouvement des cinq étoiles) a fini par craquer sur la question d’un projet de TGV entre Turin et Lyon en France. La Lega de Salvini souhaite sa réalisation, le M5S de Luigi di Maio est contre, à cause de son impact sur l’environnement. Mais toute personne qui croit que le gouvernement italien va chuter en raison d’un projet de train se trompe. Le gouvernement italien chute au sujet d’un projet de train qui sert d’excuse pour finaliser la percée de Salvini en tant qu’homme fort de l’Italie. La Lega aurait tout aussi bien pu exiger de nouvelles élections après sa victoire écrasante en mai. Toutefois, il n’y avait alors aucune raison vraiment acceptable. Déjà en mars, le Corriere della Sera écrivait que le gouvernement tomberait dès que l’on tiendrait une bonne excuse. Par la suite, il avait été décidé de reporter de 6 mois le vote sur la ligne TGV. Ces six mois sont maintenant écoulés et cette prédiction s’avère exacte.
Les médias italiens visent des élections anticipées au début du mois d’octobre. Cela met en péril le le calendrier de soumissio du budget italien à Bruxelles. Si Salvini – et tout pointe vers cette direction – obtient une victoire éclatante, il semble qu’il faille s’attendre à une nouvelle crise de l’euro. Car il y a de fortes chances pour que l’Italie présente à nouveau un budget de l’UE dans lequel le déficit sera creusé davantage. Il a déjà la politique de taux d’intérêt bas de la BCE de son côté. L’Italie, pays dont la dette publique représente 132 % de son PIB, emprunte maintenant de l’argent à des taux d’intérêt ridiculement bas.
Salvini veut depuis longtemps introduire d’importantes réductions d’impôts, mais s’est heurté à plusieurs reprises a un « non » bruxellois. C’est précisément la raison pour laquelle le Président Sergio Mattarella peut choisir de ne pas risquer l’organisation d’élections dans ces circonstances et de nommer un cabinet pour les affaires courantes. Alternativement, il peut demander au M5S de former une coalition gouvernementale différente.
Deux scénarios. Dans les deux cas, Salvini sera le nouveau Premier de l’Italie
Mais pour le moment, les commentateurs politiques spéculent sur la tenue d’élections et ils voient deux scénarios. Dans les deux cas, Salvini deviendra le nouveau Premier ministre.
Dans le premier scénario, sa Lega obtient la majorité absolue aux élections et gouverne alors seule. En raison de la complexité du système électoral italien, elle n’aurait besoin que de 40 % des voix. Mais même si la Lega n’atteint pas 40 %, le parti néo-fasciste d’extrême droite Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) et/ou Forza Italia de l’ancien Premier ministre Berlusconi sont prêts à faire l’appoint.
Dans un deuxième scénario, la Lega et les partis d’extrême droite obtiennent ensemble une majorité des deux tiers. Cette dernière option est particulièrement inquiétante, car Salvini serait alors libre de faire ce qu’il veut. Par exemple, il pourrait changer la constitution italienne, ou décider de quitter la zone euro. Le graphique ci-dessous montre non seulement la grande popularité de la Lega en Italie, mais aussi le grand scepticisme des Italiens envers l’UE.
Si sa Lega atteint la majorité simple [avec d’autres alliés [d’extrême] droite], alors Salvini devra adhérer aux traités internationaux en vigueur.
Les mini bots
Enfin, il y a la question des mini-bots. Salvini envisage depuis longtemps d’introduire un autre moyen de paiement en plus de l’euro. Il s’agit de ce que l’on appelle les mini-bills of treasury (mini-bots), des petites obligations d’État sans intérêts, d’une valeur de 5 à 200 euros. Ils existeraient donc dans les mêmes dénominations que les billets en euros, pour ainsi dire. Ils devraient contribuer à réduire les dettes des pouvoirs publics vis-à-vis des fournisseurs privés. Le gouvernement italien est connu pour ses retards de paiement. Les arriérés s’élèvent aujourd’hui à plus de 57 milliards d’euros.
En mettant ces mini-bots en circulation, l’Italie serait non seulement en mesure de rembourser ses arriérés, mais le gouvernement compte sur les fournisseurs privés pour utiliser ces mini-bots comme moyen de paiement. Ainsi, une monnaie parallèle serait créée à côté de l’euro.
L’introduction de mini-bots est un excellent moyen de compenser ces réductions d’impôt. Cela porterait la confrontation entre Rome et Bruxelles à un tout autre niveau. Si les pays de la zone euro commencent à émettre leurs propres monnaies, toute la construction de l’euro n’aura plus guère de sens.
L’Italie fera-t-elle partie d’un futur axe anti-UE ?
Enfin, il y a l’agenda européen de Salvini. Personne ne sait vraiment – en dehors des positions anti-immigration – quelle est la teneur de sa politique étrangère. La politique étrangère italienne a toujours été dominée par le court termisme ces dernières années. Simplement à cause de la situation financière précaire perpétuelle de Rome.
Au cours des derniers mois, Salvini a apprécié de se faire remarquer en compagnie de Viktor Orbán et de Vladimir Poutine, et il a également été l’invité de Donald Trump. Mais comment Salvini va-t-il se positionner face au Royaume-Uni après le Brexit ? Va-t-il respecter le consensus de l’UE ? Ou est-ce qu’il va tout faire sauter ? Certains évoquent même un futur axe anti-UE, formé par l’Italie et le Royaume-Uni, et soutenu par Washington.
Le gouvernement le plus à droite de la zone euro depuis la chute des dictatures en Espagne et au Portugal prend forme. Ce n’est pas rassurant, d’autant que son dirigeant semble vouloir imposer un choc budgétaire à la zone euro qui pourrait être relaté un jour dans les livres d’histoire.