Non seulement nous traversons une période de tensions géopolitiques, mais de plus, les indicateurs économiques qui marquent le début d’une récession passsent les uns après les autres au rouge. Mercredi dernier, la bourse de Wall Street a connu sa pire journée depuis le début de l’année.
L’indice Dow Jones a dévissé de 3,05 %, le Nasdaq, qui représente les grandes firmes technologiques, de 3,02 %, et l’indice S&P500 a lui aussi perdu 2,93 %. Les bourses européennes ont aussi connu la débâcle. Ces turbulences ont pour origine la nervosité croissante des investisseurs, qui s’inquiètent de la convergence de plusieurs facteurs pointant vers une prochaine récession.
Une inversion de la courbe des taux
La cause du mouvement de panique de mercredi n’était autre qu’une nouvelle inversion de la courbe des taux aux Etats-Unis. Pour la première depuis 12 ans, le taux d’intérêt sur les bons du Trésor américains à dix ans est devenu momentanément inférieur à celui des bons à deux ans. En général, les taux d’intérêt offerts par les émetteurs d’obligation augmentent en fonction de l’éloignement des échéances, et normalement, plus l’échéance d’un prêt est éloignée, plus le taux d’intérêt des obligations qui le matérialisent est élevé. On considère en effet que les risques augmentent à long terme.
Une inversion de la courbe des taux est la situation inhabituelle dans laquelle des obligations de long terme ont des taux de rendement plus faibles que des obligations de plus court terme. Ce type d’événement est très rare, et généralement, il suscite beaucoup d’inquiétude, car il suggère que quelque chose – souvent, des événements qui se produisent lors d’une récession, tels qu’un effondrement de la demande d’investissement du secteur public, ou des mesures de politique monétaire pour relancer l’activité économique – risque de pousser les taux d’intérêt futurs à la baisse.
Les trois dernières fois que cette situation s’est produite en 1989, en 2000, et en 2007, une récession a suivi assez peu de temps après.
Or, la conjoncture actuelle est marquée par un cocktail de facteurs politiques et économiques susceptibles de déclencher une telle récession.
La guerre commerciale avec la Chine
Au premier plan de ces tensions, il faut citer la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Elle génère de grandes incertitudes pour les importateurs américains et les agriculteurs affectés par les mesures de rétorsion prises par Pékin suite à la hausse des droits de douane sur un certain nombre de productions chinoises. Ces inquiétudes ont déjà eu pour effet de réduire les investissement réalisés par les entreprises américaines.
Cette semaine, le gouvernement américain a consenti à reporter à décembre une nouvelle salve de droits de douane sur les produits chinois importés aux États-Unis afin de ne pas ruiner la période des fêtes de fin d’année.
Mais les analystes de Goldman Sachs et d’autres institutions pensent maintenant qu’il est peu plausible que Washington parvienne à trouver un accord commercial avec la Chine avant les élections de 2020. Ils concluent donc que les effets désastreux de cette guerre commerciale seront plus marqués sur le plan économique.
Le Brexit
La décision du nouveau Premier ministre britannique, Boris Johnson, de quitter l’Union européenne le 31 octobre, avec ou sans accord, a créé une incertitude économique supplémentaire.
L’économie du Royaume-Uni s’est contractée au cours du second trimestre 2019 pour la première fois depuis 2012. Les analystes avaient prévu qu’elle allait rebondir au troisième trimestre, ce qui lui aurait permis d’éviter une récession (Techniquement, on parle de récession lorsque un pays enregistre une réduction de son PIB sur deux trimestres consécutifs).
Mais la décision de quitter l’UE sans accord laisse planer le spectre d’un chaos logistique accompagné de pénuries, ce qui déclencherait un ralentissement économique. Celui-ci pourrait avoir générer des ondes de choc sur l’économie mondiale.
D’autres zones de tensions
Les manifestations à Hong Kong, qui ébranlent son statut de plus grande place financière asiatique sont aussi des sources d’inquiétude. Le conflit diplomatique entre les Etats-Unis et l’Iran, et l’approfondissement de la situation économique au Venezuela, risquent d’avoir un impact sur le cours du pétrole. Enfin, plus près de chez nous, la crise politique qui vient de s’intensifier en Italie avec la démission donnée ce jour par le Premier ministre Giuseppe Conte. Le pays devra donc se doter d’un nouveau gouvernement, alors que sa classe politique est plus divisée que jamais.
Des signes d’essoufflement économique
En Europe, le Royaume-Uni n’est pas la seule grande économie menacée de récession imminente. L’Allemagne a déjà constaté une contraction de son PIB au second trimestre de cette année. Lundi, la Bundesbank a averti que nos voisins de l’Est pourraient entrer en récession, et le gouvernement allemand détermine actuellement un train de mesures pour renforcer l’économie et maintenir la consommation des ménages.
Ailleurs dans le monde, d’autres banques centrales redoutent aussi l’arrivée d’une crise économique. La semaine dernière, les banques centrales de l’Inde, de la Nouvelle-Zélande et de la Thaïlande ont abaissé leurs taux d’intérêt plus fortement que prévu pour tenter de la juguler.
Enfin, le mois dernier, le Fonds monétaire international a réduit ses prévisions de croissance mondiale à 3,2 % cette année, le taux le plus faible depuis 2009. Elle a également abaissé ses prévisions pour 2020 à 3,5 %.
Une inflation désespérément faible
L’inflation se maintient à un niveau historiquement faible dans plusieurs régions du monde, et notamment en Europe et aux États-Unis. C’est la raison qui a motivé le patron de la Fed, Jerome Powell, à réduire récemment les taux d’intérêt aux Etats-Unis pour la première fois depuis 2008.
Les banquiers centraux considèrent qu’une faible inflation est dangereuse parce qu’elle tend à peser sur les taux d’intérêt, ce qui leur laisse moins de marge de manœuvre pour mener des politiques de relance de l’économie lors d’une récession. C’est notamment ce qui se passe au Japon, un pays aux prises avec une dette publique extrêmement élevée et des taux d’inflation et de croissance particulièrement faibles, voire négatifs. Ce n’est qu’en 2016 que le PIB nominal du Japon a retrouvé ses niveaux de 1997.
Le dernier rapport publié cette semaine a montré que l’inflation aux États-Unis avait légèrement augmenté. Au sein de la zone euro, le président de la Banque Centrale européenne, Mario Draghi, a annoncé à la fin du mois de juillet que la banque était prête à lancer un nouveau train de mesures de relance à partir de septembre afin de relever le taux de l’inflation et de le ramener à un niveau proche de 2 %, signe d’une économie saine.
Mais en Europe comme aux Etats-Unis, un ralentissement économique à l’étranger pourrait faire baisser les prix de l’énergie, ce qui pourrait entraver les efforts menés pour augmenter le taux de l’inflation.
L’indicateur de probabilité de récession à 12 mois de la Fed de New-York a atteint sa cote d’alerte
Au début du mois de juillet, la responsable financière de la banque Morgan Stanley Wealth Management a écrit une note à ses clients pour les avertir que le NY Fed Recession Probability Index (indice de probabilité de récession à 12 mois de la Fed de New York) avait grimpé à 32,9 % au moins de juin. « Parle passé, chaque fois que cet indice a franchi la barre des 30 % depuis 1960, une récession s’est ensuivie », leur a-t-elle indiqué.
Or, selon Stéphane Déo, stratégiste de marchés à La Banque Postale Asset Management, « Cet indicateur synthétique qui utilise une série de données économiques fournissant un signal avancé sur la dynamique du cycle, est très fiable ».
Et en effet, chaque franchissement de sa cote d’alerte de cet indice en juin 1989, décembre 2000 et août 2006 a été associé à une baisse des taux d’intérêt américains et à un programme de relance monétaire de la Fed.