« Je ne sais pas comment nous allons nous sortir de ce qui nous arrive »: trois mois après l’éclatement du mouvement social, le Chili se débat entre angoisse, espoir et incertitude sur l’issue d’une contestation inédite qui a pris de court la classe politique.
Jusqu’au 18 octobre, le pays sud-américain était loué comme un des plus stables d’Amérique latine, encensé pour ses bons résultats macro-économiques. Trois mois plus tard, les institutions n’ont jamais paru aussi affaiblies, ébranlées par une fronde sociale sans précédent, déclenchée par une hausse du ticket de métro à Santiago et nourrie par la colère face aux profondes inégalités socio-économiques.
Le président conservateur Sebastian Piñera, qui sera à la moitié de son deuxième mandat en mars, a vu sa cote de popularité dégringoler à 6%, un plus bas historique depuis le retour de la démocratie en 1990, selon un sondage du Centre d’études publiques (CEP) publié jeudi.
Une « punition transversale » non seulement envers le richissime hommes d’affaires de 70 ans, mais aussi à l’égard de toute la classe politique chilienne, explique Ricardo Gonzalez du CEP.
Les carabiniers pointés du doigt
Les « carabiniers » (policiers chargés du maintien de l’ordre) chiliens, accusés de nombreuses violations des droits de l’homme à l’égard de manifestants, connaissent la même chute vertigineuse: recueillant 57% d’opinions favorables en août 2015, ils sont désormais à peine soutenus par 17% de la population, selon le même sondage.
Selon Matias Fernandez, professeur de sociologie à l’Université catholique du Chili, « tout le système politique (…) a eu d’énormes difficultés à gérer ce séisme social parce qu’il n’a pas les outils pour traiter l’information, pour traiter les demandes » face à un mouvement qui, trois mois après son déclenchement, reste sans dirigeant et n’a bénéficié à aucun parti.
En trois mois, ni la droite au pouvoir, ni le centre et la gauche dans l’opposition, n’ont réussi à récupérer la colère de la rue. Les manifestations, qui ont marqué le pas dans le pays, mais se poursuivent, avec plus ou moins d’affluence, le vendredi à Santiago, continuent de s’organiser à travers les réseaux sociaux.
De nouveaux appels à manifester ont été lancés à Santiago pour commémorer dans la soirée les trois mois du mouvement, qui a fait 29 morts, dont cinq après l’intervention des forces de l’ordre, et plus de 2.000 blessés, dont 350 ont été grièvement touchés aux yeux.
Tuer l’héritage de Pinochet
Malgré l’absence de référence partisane, l’actualité sociale et politique, la critique du modèle économique ultra-libéral sont devenus les premiers sujets de conversation des Chiliens qui devront décider le 26 avril s’ils souhaitent changer la Constitution héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), une forte revendication du mouvement social.
On est loin de la campagne électorale de la présidentielle de 2017, remportée par M. Piñera, déjà au pouvoir de 2010 à 2014, où l’une des principales préoccupations était la délinquance, dont le taux est cependant un des plus bas d’Amérique latine.
« Je ne sais pas comment nous allons nous sortir de ce qui nous arrive, espérons que ce sera bon pour tous les Chiliens », confie à l’AFP Cecilia Vergara, une architecte de 40 ans. Si elle ne descend pas dans la rue pour manifester, elle dit continuer à soutenir les revendications exprimées depuis le début de la contestation.
Incertitude
Aujourd’hui prédomine « un climat d’incertitude, cette espèce de tension entre l’espoir et la préoccupation (…) qui caractérise la situation du pays depuis le début du mouvement », confirme Matias Fernandez.
Malgré les nombreuses concessions sociales accordées par le gouvernement (augmentation de 50% du minimum vieillesse, cotisations des employeurs au régime de retraites, gel des tarifs de l’électricité…), 55 à 60% des Chiliens continuent de soutenir le mouvement, selon deux récents sondages.
Jeudi, dans un message à la nation, le président Piñera s’est dit prêt « à mettre la main à la pâte pour aider les Chiliens à résoudre leurs nombreux problèmes, les aider à tirer parti de leurs nombreuses capacités et aussi les aider à réaliser leurs rêves ».