Conner Rousseau et son parti, Vooruit, sont sous pression. Ils sont la cible de critiques de presque tous les partis après la fuite des déclarations complètes et totalement racistes issues du procès-verbal. Ces critiques proviennent non seulement du cd&v et de Groen, mais aussi, ça ne s’invente pas, du Vlaams Belang. Bien que Rousseau ne semble pas subir de pertes électorales majeures, il perd un capital moral considérable auprès des médias et des autres leaders politiques. Le PS, parti frère de Vooruit, profite de cette situation en exigeant « des excuses » et des « mesures concrètes ». Cette confrontation semble inévitable dans le cadre d’une lutte plus large entre Rousseau et Paul Magnette (PS) pour déterminer qui sera le futur leader de la famille socialiste. Cette dernière sera, selon les sondages, la plus grande famille politique du pays. La question se pose donc : qui revendiquera alors le poste de Premier ministre ? « La tension entre Vooruit et le PS est présente depuis longtemps sur le plan idéologique, maintenant, elle apparait au grand jour », entend-on du côté des Verts.
Dans l’actualité : Rousseau fait face à des attaques de toutes parts.
Le détail : La fuite des députés de son parti devant les caméras, à la Chambre, illustre la crise traversée par Vooruit.
- Une scène maladroite s’est déroulée hier après-midi à la Chambre : à la sortie de l’hémicycle, l’ancien président Wouter Beke (cd&v) discutait lorsque Frank Vandenbroucke, vice-premier ministre de Vooruit, est apparu. Alerté par Beke de la présence d’une équipe de tournage à sa recherche, Vandenbroucke a brièvement répondu « ah non », avant de rebrousser chemin dans l’hémicycle, où les journalistes n’ont pas accès. « Et moi qui pensais que vous vouliez lui poser des questions sur une nouvelle proposition de loi ? », a déclaré Beke, un peu déconcerté, aux journalistes : « Suis-je donc un peu naïf ? »
- Plusieurs membres de Vooruit, y compris la cheffe de groupe Melissa Depraetere, ont également fui les caméras, révélant un manque de coordination dans leur communication. Cette situation dépeint une rare défaillance dans la communication habituellement bien rodée de Rousseau.
- Finalement, Depraetere est intervenue pour déclarer : « Nous avons déjà communiqué à ce sujet, Conner a présenté ses excuses, c’est très clair, rien n’a changé, c’étaient des propos erronés. Des sanctions ont maintenant été prononcées, Conner les exécutera toutes. » Cependant, cela n’a pas suffi à apaiser les tensions.
- Aujourd’hui, Jinnih Beels, figure de proue socialiste à Anvers, et elle-même victime de racisme lorsqu’elle était agente de police, défend vigoureusement son président dans Het Laatste Nieuws, soulignant « une nuance » importante dans les propos tenus et affirmant que Conner n’est pas raciste.
- « Savez-vous combien de fois dans ma carrière de flic j’ai été insultée de ‘bruine aap‘ (singe basané) ? Mais il y a une nuance. Tout le monde ne pense pas vraiment cela, c’est souvent une réaction émotionnelle première pour blesser quelqu’un rapidement. »
- « C’est différent de quelqu’un qui débite des conneries racistes jour après jour. Et je peux le dire la main sur le cœur, je le connais maintenant assez bien : Conner n’est PAS raciste. »
- « N’avons-nous pas tous déjà fait des déclarations inacceptables ? Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. J’ai l’impression qu’au cours des derniers mois, on cherchait un bouc émissaire à barbouiller de goudron et de plumes. »
- Demain, Freya Van den Bossche apparaîtra dans le même journal pour une interview du week-end (« On ne jette pas quelqu’un aux ordures après une erreur »). Toutes deux prennent donc la défense de leur président. Un président qui les a récemment promues tête de liste. Chez Vooruit, on est en plein dans le processus de formation des listes électorales, et le président y est tout-puissant. En d’autres mots, s’il y a dissidence ou mécontentement en interne sur les déclarations de Rousseau, cela ne ressortira certainement pas maintenant.
- Le seul de Vooruit qui s’est exprimé de manière critique pour l’instant est le sénateur Bert Anciaux (Vooruit), mais il est en fin de carrière et s’est déjà éloigné de Rousseau.
- La famille Tobback, quant à elle, soutient ouvertement Rousseau. Louis Tobback a suggéré que « nous sommes tous un peu racistes au fond de nos pensées », tandis que son fils Bruno est pressenti pour diriger la liste européenne.
À noter : des réactions virulentes de presque tous les autres dirigeants politiques.
- Tandis que Vooruit panse ses plaies en interne, Rousseau essuie des critiques sévères de la part de la gauche comme de la droite. Les analyses des autres partis divergent quant aux conséquences électorales : chez Groen, on anticipe un impact négatif dans les sondages, tandis que la N-VA minimise les répercussions pour les socialistes, estimant que « le Flamand moyen n’est pas le lecteur de De Morgen ou de Knack« . Hier, ces deux publications semblaient insister pour que Rousseau démissionne.
- Face aux caméras et aux micros, les réactions sont implacables. Nadia Naji, co-présidente de Groen, a fait une intervention remarquée dans Villa Politica, critiquant sévèrement son collègue. « Cette révélation montre que la situation est encore pire que ce que nous pensions. J’espère que cette mentalité n’est pas largement répandue au sein de Vooruit », a-t-elle dit, pointant le silence des socialistes.
- Elle a aussi évoqué la perte de crédit moral de Rousseau dans la « lutte contre l’extrême droite », un combat que Vooruit avait mis en avant lors de la présentation de Van den Bossche comme tête de liste. « Nous ne devons pas céder face aux forces extrémistes de droite ou conservatrices qui aspirent à un retour au Moyen Âge », avait encore déclaré Rousseau mardi. « Nous avons perdu un allié dans la lutte contre le racisme », a affirmé Naji. « Pourtant, nous avons besoin de tous pour lutter contre l’extrême droite. »
- Sammy Mahdi, président du cd&v, a lui aussi critiqué le silence des ténors de Vooruit dans De Standaard : « On ne réagit même plus au racisme flagrant et aux incitations à la violence basées sur l’apparence ou la coiffure de quelqu’un. Même Louis Tobback affirme que tous les Flamands sont racistes. »
- Mahdi a également invoqué la lutte contre le racisme, déclarant qu’il est entré en politique pour le combattre, et a jugé Rousseau moralement en faillite : « Si vous ne correspondez pas aux attentes du leader socialiste, il semble qu’on puisse appeler à vous frapper.«
- À l’extrême gauche, le PTB avait déjà condamné fermement les propos de Rousseau. À l’extrême droite, Tom Van Grieken (Vlaams Belang) s’est étonnamment rendu devant les caméras. « Les propos racistes sont intolérables. Faire l’apologie de la violence en fonction de la couleur de peau est inacceptable. Conner Rousseau a aussi vanté sexuellement une amie et pratiqué le fat shaming. C’est inquiétant », a-t-il résumé.
- « L’ironie est morte », a commenté Egbert Lachaert (Open Vld) sur X, tandis que Meryrem Almaci (Groen) a qualifié de « complètement surréaliste » la réaction de Van Grieken.
- Le président du Vlaams Belang a adopté une approche différente de celle des partis de gauche. Il a souligné la présence d’un « double standard » : Dries Van Langenhove, ancien député du Vlaams Belang, a également été visé par une enquête judiciaire pour racisme. « C’était pour des mèmes censés être humoristiques qu’il n’avait même pas créés, alors qu’ici on parle de déclarations réelles. Mais Van Langenhove doit répondre devant la justice, tandis qu’un président socialiste s’en tire avec un simple avertissement et une thérapie obligatoire. »
- Van Grieken s’est particulièrement indigné de cette sanction imposée par le juge : « Une thérapie psychologique pour une opinion ? Je n’accepterais jamais cela pour moi. On dirait que nous vivons de plus en plus dans une Russie communiste, avec une police de la pensée. »
- De son côté, le président de la N-VA, Bart De Wever, a qualifié les propos de « naturellement stupides et totalement inappropriés », mais a surtout critiqué la manière dont la justice gère l’affaire. Il considère qu’une poursuite judiciaire pour une telle bêtise est « grotesque. » La justice devient, selon lui, « de plus en plus moralisatrice », « tandis que la liberté d’expression est ainsi limitée ».
La réaction la plus significative : La réaction du PS envers Rousseau était particulièrement virulente, signe qu’il y a plus en jeu.
- Paul Magnette (PS) a refusé de commenter, tandis que les membres des partis francophones exprimaient leur incrédulité face aux déclarations complètes de Conner Rousseau, issues du procès-verbal. On avait l’impression que c’était la première fois que l’incident du café impliquant le président de Vooruit était abordé, y compris dans les médias.
- Le PS a vivement réagi. Par l’intermédiaire d’Ahmed Laaouej, le chef du groupe PS à la Chambre, qui est passé devant la caméra de LN24 :
- « C’est répugnant et indigne pour quelqu’un qui se prétend progressiste. »
- « Cela représente une forme explicite de racisme, totalement éloignée du socialisme. Le fait que Rousseau ait été ivre ne change rien. »
- « Ces déclarations choquent toutes les personnes d’origine étrangère, comme moi, avec un père venu de l’étranger. »
- « Rousseau doit présenter des excuses supplémentaires et démontrer son engagement dans la lutte contre le racisme. Une visite à la Caserne Dossin peut être utile, mais nous attendons des actions concrètes. »
- Cette réaction forte et le quasi-ultimatum posé à son parti frère ne surprennent guère dans les couloirs du pouvoir. L’analyse entendue est qu’il y a plus que de la simple indignation.
- Personne n’a oublié qu’au sein du gouvernement Vivaldi, ce n’était pas le plus grand parti, ni Paul Magnette, qui avaient obtenu le poste de Premier ministre, mais plutôt Alexander De Croo (Open Vld) la 7e force politique du pays, en 2020. Plusieurs raisons expliquent ce choix, dont des vetos mutuels, mais surtout l’absence de soutien nécessaire de la gauche à Magnette : ni les écologistes, ni même Vooruit.
- Au-delà des enjeux électoraux, des questions de personnalité, de réputation, de charisme et des relations avec d’autres chefs de parti entrent en jeu. Et à cet égard, De Croo semblait avoir l’avantage sur Magnette à l’été 2020. Reste la question pertinente : était-ce le bon choix pour la Vivaldi dans son ensemble ?
- En outre, les sondages indiquent que les socialistes pourraient devenir la plus grande famille politique à la Chambre. Le PS devrait se maintenir avec environ 20 sièges, tandis que Vooruit pourrait également atteindre une vingtaine de sièges. La question de qui peut prétendre au leadership ultime, à la tête du gouvernement et du pays, se pose inévitablement.
- Il est de notoriété publique que Magnette et Rousseau ont des ambitions et lorgnent sur le poste de Premier ministre. En attaquant ainsi Rousseau, Laaouej fait une partie du sale boulot pour Magnette. Désormais, la question est de savoir si quelqu’un avec un tel passif peut faire un Premier ministre crédible.
- En coulisses, il y a plus que de simples ambitions personnelles. Plusieurs partenaires de la coalition soulignent que des tensions entre le PS et Vooruit ont souvent émergé, au sein de la Vivaldi : « Les positions défendues par Vandenbroucke étaient parfois agaçantes pour le vice-premier ministre PS Pierre-Yves Dermagne et son parti », d’après une source libérale.
- Chez les Verts, le constat est encore plus clair. Une source de haut niveau nous explique ceci : « Le PS et Vooruit ont toujours tenté d’exporter leurs tensions internes vers nous au sein de la coalition. Face aux syndicats, nous étions toujours ‘les coupables’, prétendument parce que ‘nous ne les soutenions pas assez’. Alors qu’en réalité, ils étaient simplement en désaccord systématique entre eux. Vandenbroucke a toujours suivi une ligne plus à droite, cherchant encore et toujours cette fameuse ‘troisième voie’ avec les libéraux et De Croo après toutes ces années. Cela devient de plus en plus évident à l’approche des élections. »