Au cours de l’année écoulée, en Russie, Vladimir Poutine a ramené toute une série d’entreprises russes dans le giron de l’État. Ce faisant, le pays revient à l’époque de l’Union soviétique, quand le gouvernement détenait encore 80% de toutes les entreprises au début des années 1990.
L’essentiel : dans les années 1990, la Russie a vendu un grand nombre de ses entreprises publiques pour se procurer des liquidités. Aujourd’hui, une trentaine d’années plus tard, Poutine revient complètement sur cette décision.
- « Il n’y aura pas de nationalisation, je peux vous l’assurer ». Poutine a été catégorique lors du Forum économique de Vladivostok. Seulement, la réalité est légèrement différente. Rien que cette année, la Russie a lancé pas moins de 17 procédures judiciaires visant à nationaliser des entreprises privées, selon Ilya Shumanov, ancien directeur de la branche russe de l’organisation anti-corruption Transparency International. Fait remarquable, certaines des entreprises concernées avaient d’abord été vendues par la Russie dans les années 1990.
- Au début du mois, la Russie a par exemple décidé de récupérer 94,2% des actions de Metafrax Chemical. Le producteur de méthane avait été vendu à Dmitri Ribolovlev en 1992. Ce dernier est également le propriétaire du plus grand producteur d’engrais du pays, Uralkali. Il avait revendu ses parts dans Metafrax à son partenaire commercial Seifeddine Roustamov. La Russie considère aujourd’hui que la vente à Ribolovlev était « illégale » et exige la restitution des actions.
- Les procureurs chargés de l’affaire font valoir que la vente a eu lieu sans l’approbation du gouvernement fédéral. À l’époque, les autorités locales avaient été désignées pour superviser l’opération. Elles sont donc aujourd’hui tenues pour responsables de cet « échec ». Mais surtout, en utilisant cette formulation, le Kremlin peut théoriquement récupérer toutes les entreprises qui ont été privatisées à l’époque.
La Russie, c’est Poutine
Sous-entendu : Poutine ne fait confiance à personne, cela semble clair. Toutes les entreprises « stratégiques » doivent repasser sous le contrôle de l’État. Et « l’État, c’est Poutine ».
- En janvier, Poutine a exprimé son désir de ramener un grand nombre d’entreprises sous le contrôle de l’État. Shumanov a publié fin août la liste des entreprises qui ont été nationalisées depuis. Celles-ci opèrent dans à peu près tous les secteurs possibles, de la pêche aux produits chimiques en passant par les entreprises portuaires et ferroviaires.
- La liste comprend un grand nombre d’entreprises appartenant à des personnes dont Poutine préfère se débarrasser plutôt que de les voir s’enrichir. Boris Mints, par exemple, l’un des architectes de la privatisation dans les années 1990 et par la suite un opposant très virulent aux politiques du président russe, est en train de perdre son entreprise.
- Les filiales russes d’entreprises occidentales sont également saisies et placées sous la direction des alliés de Poutine. C’est ce qui s’est passé avec Danone et Heineken, entre autres.
- Mais, fait remarquable, Poutine n’épargne pas ses amis. Par exemple, l’homme d’affaires le plus riche de Russie, Andrei Melnichenko, doit céder sa société d’énergie Sibeko. Il ne l’avait achetée qu’en 2018 pour un demi-milliard de dollars à l’ancien ministre de la Transparence Mikhaïl Abizov. Ce dernier a été reconnu coupable de corruption par contumace en 2020.
Extrêmement imprévisible
En résumé : la Russie peut en fait considérer à peu près n’importe quelle entreprise comme « stratégiquement importante » et la confisquer.
- Toutefois, les procureurs s’intéressent principalement aux entreprises susceptibles de rapporter beaucoup d’argent à l’État. Elles doivent également avoir un potentiel d’exportation : celles actives dans les secteurs des engrais, de l’énergie, des transports et de la logistique sont donc particulièrement recherchées.
- Depuis janvier de cette année, par exemple, les ports de Perm, Kaliningrad et Mourmansk ont déjà été nationalisés, de même que 92% de la Far Eastern Shipping Company (FESCO).
- Les oligarques ne peuvent pas faire grand-chose pour préserver leurs actifs. « L’État est extrêmement imprévisible. On ne sait plus très bien ce qui peut attirer l’attention et vous faire confisquer vos biens », a déclaré un oligarque à The Bell.
- De son côté, un autre oligarque affirme que la situation « ne semble pas encore trop grave ». Par exemple, les actions de FESCO ont été confisquées parce que le propriétaire, Ziyavoudine Magomedov, a été condamné à 19 ans de prison pour fraude.
- Une autre source met particulièrement en garde les entreprises étrangères et les détracteurs du Kremlin. Ils seraient les premiers sur la liste des biens à être confisqués.
(OD)