Pourquoi Trump a raison à propos de l’Europe

Il serait bien réducteur de ne considérer les tweets rageurs du président américain Donald Trump à propos des déséquilibres commerciaux au détriment des Etats-Unis, que comme l’expression des accès de colère excessifs d’un homme désormais renommé pour son impulsivité. Car sur le fond, le président américain n’a pas tort, et ceux qui l’ignorent le font à leurs risques et périls.

Cet avis, c’est celui du journaliste allemand Jochen Bittner, spécialiste des questions politiques pour l’hebdomadaire Die Zeit. Il partage l’avis de Trump : l’ordre mondial mondial est déséquilibré et inéquitable. Et si rien n’est fait pour corriger cette situation, il risque de s’effondrer.

L’ordre libéral s’est bâti au profit de l’Europe sur le dos des Américains

Durant les 70 dernières années, les Occidentaux ont bâti l’ordre libéral, avec l’Europe en son centre, sur le dos des Américains. Et c’est encore ces derniers qui font les frais de l’effritement de ce monde, et qui y consacrent encore le plus d’efforts et d’argent pour le maintenir en état de fonctionner, affirme-t-il. Pendant que l’Amérique payait pour la défense occidentale, les Européens se sont dotés de systèmes sociaux sans équivalents, et d’industries exportatrices ultra-compétitives.

Bittner énumère les arguments suivants :

  • L’Union Européenne est un énorme facteur d’inégalité, au travers notamment de sa zone de libre-échange, qui entrave l’accès à ses marchés pour les pays qui y sont étrangers.
  • La monnaie unique en est un autre. Sans l’euro, la parité de la monnaie allemande se serait considérablement appréciée en raison de l’énorme excédent commercial du pays. Même si l’adhésion à l’euro renchérit les importations de l’Allemagne par rapport à ce qu’elles auraient coûté avec un deutschemark plus fort, la valorisation relativement plus faible des salaires des travailleurs allemands permet aux entreprises allemandes de rester très compétitives au plan international
  • De même, grâce à la facilité offerte par l’UE de délocaliser la production au sein d’autres Etats-membres, l’Allemagne, entre autres, a pu exploiter les énormes écarts de salaires qui existent dans des pays tels que la Bulgarie, un des États membres les plus pauvres. Le PIB par habitant de ce pays est à peu près équivalent à celui du Gabon, rappelle-t-il. En Slovaquie, en Pologne ou en Hongrie, il ne représente encore qu’un tiers de celui de l’Allemagne. Il est donc judicieux pour les constructeurs allemands de faire assembler leurs voitures dans ces pays pour un coût relativement modique, permettant d’absorber sans difficulté d’éventuels droits de douane sans remettre en cause la compétitivité. On peut alors comprendre la colère des constructeurs américains défendus par Trump, qui n’ont pas ces facilités. 
  • Les Européens ont toujours négligé de respecter leurs obligations financières au sein de l’OTAN, et de contribuer aux dépenses de défense comme ils s’y étaient engagés. “M. Trump n’est pas le premier président à se plaindre du partage inéquitable des charges au sein de l’OTAN. Il est simplement le premier président qui non seulement parle durement, mais qui agit aussi durement”, écrit Bittner.

La Chine également dans le collimateur

Les Européens ne sont pas les seuls en cause, et Trump n’a pas moins de raisons de s’en prendre à la Chine, estime le journaliste. L’adhésion de celle-ci à l’Organisation mondiale du commerce, présentée à l’origine comme une réussite, a été une énorme erreur, juge-t-il.

Les Occidentaux avaient alors cru que l’émergence d’une énorme classe moyenne chinoise aurait forcé le pays à adopter la démocratie, mais c’est le contraire qui s’est produit. “La Chine, qui s’est enrichie pour partie en volant la propriété intellectuelle de l’Occident, se transforme en une dictature en ligne, tout en refusant la réciprocité dans les investissements et les relations commerciales”.

Convaincre Trump qu’il fait une bonne affaire

Et Bittner de conclure : “Les droits de douane que Trump a imposés à l’encontre de l’Europe sont manifestement illégaux et l’Europe devrait riposter. Mais punir simplement les fabricants de motos, de jeans et de bourbon ne résout aucun des problèmes qui se cachent sous la surface de l’ordre mondial libéral. L’Europe doit comprendre ce qui motive la colère de M. Trump et coopérer avec Washington pour corriger les déséquilibres du système. (…) Et elle a de bonnes chances de réussir si elle négocie avec Trump en s’adressant à son âme de magnat new yorkais – il doit être convaincu qu’il fait une bonne affaire. Et à l’heure actuelle, il est facile de comprendre pourquoi il voit les choses autrement”.

Plus