Pourquoi le coming-out de Conner Rousseau fait tant de bruit dans la Rue de la Loi : qu’est-ce qui se joue en coulisses ?

La vidéo du coming-out du président des socialistes flamands fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux et dans le monde politique.

  • « Je me sens comme une bête traquée, parce que les gens spéculent constamment à ce sujet. J’ai du mal à respirer et j’espère que cela me donnera un peu d’air et d’espace mental. » Dans une vidéo de plus de 13 minutes publiée sur YouTube, accompagnée d’une musique de piano, Rousseau explique pourquoi il fait son coming-out maintenant. « Je suis attiré par les deux genres », résume-t-il.
  • C’est une stratégie médiatique assez caractéristique de la part de Rousseau, qui est souvent plus connu en tant que personnalité médiatique que président de parti auprès du Flamand moyen : il fait face à Eric Goens, créateur entre autres de l’émission Het Huis (VRT). Cette vidéo a été proposée à plusieurs médias contre rémunération, et a été mise en ligne peu après 17 heures, suite à un message sur le populaire compte Instagram du président du parti, King Connah. On parle tout de même de « 750 euros la minute et 1 500 euros de frais d’entrée – donc environ 12 000 euros pour la vidéo de 14 minutes », écrit HLN.
  • Cela caractérise en fait parfaitement Rousseau : vouloir être maître et créateur de sa propre image. Ses participations à Het Huis, et surtout The Masked Singer, ainsi que sa grande popularité sur les réseaux sociaux font partie d’une image soigneusement sculptée. Dans une forme de continuité, le président de Vooruit a choisi de faire son coming-out dans une production qui ressemble beaucoup à celle de l’émission de la VRT.
  • Il est également frappant que tout soit encore très « frais » : il n’a informé sa propre mère que deux semaines auparavant. “C’était une conversation agréable”, dit-il.
  • Il décrit bien la pression qu’il ressent en tant que personnalité publique : “On m’appelle pour me demander si j’ai une relation avec telle personne, mais je n’ai jamais entendu parler de cette personne.”
  • Ce qui joue certainement dans la décision de faire son coming-out maintenant est de vouloir éviter les accusations selon lesquelles il vise à attirer l’attention pour des raisons électorales. C’était donc maintenant ou attendre jusqu’après juin 2024.

Ce qui est également en jeu : En arrière-plan, une histoire médiatique intense se dessine.

  • En parallèle de son coming-out, un feu de rumeurs est alimenté sur les réseaux sociaux par une enquête journalistique menée depuis septembre 2022 par VTM Nieuws et HLN sur Rousseau. Ce qui est inédit, c’est ce texte qui accompagne la vidéo de Rousseau publié par HLN, où la plus grande entreprise de médias du pays parle ouvertement de « rumeurs concernant la vie privée de Conner Rousseau ».
  • « Cela ne concerne pas son orientation sexuelle. Il s’agit d’histoires de différentes personnes qui se sentaient mal à l’aise face à son comportement. HLN et VTM NIEUWS mènent des enquêtes à ce sujet. Ce processus journalistique est en cours. Bien sûr, les deux rédactions n’en parleront que si des faits sont avérés », écrivent-ils. C’est assez inédit comme annonce sous un article.
  • Car la rédaction de VTM Nieuws n’apporte aucun fait concret. Un journaliste de VTM Nieuws a même personnellement signalé Rousseau au parquet de Flandre occidentale après avoir reçu un signalement d’un jeune de 17 ans concernant un comportement prétendument inapproprié. Ce signalement a été traité par le parquet, Rousseau a été interrogé et cette affaire a depuis été classée sans suite, car il n’y avait pas de faits répréhensibles. Cependant, la direction de VTM Nieuws et HLN hésite toujours : publier ce qu’ils pourraient avoir ou arrêter l’enquête journalistique.
  • L’explication de leur hésitation pourrait résider dans un second signalement. VRT NWS, qui a également examiné l’affaire suite aux rumeurs alimentées par l’enquête de longue date de VTM Nieuws, rapporte un second incident : une mère d’un fils de 17 ans a exprimé ses inquiétudes concernant des messages que ce dernier aurait reçus du président de Vooruit, dans une lettre au parquet d’Anvers. Encore une fois, aucune plainte formelle. Une enquête de police est en cours sur cette affaire.
  • Les dégâts ont été importants : les sites comme ‘T Scheldt et P-Magazine ont déjà publié des rumeurs qui circulent abondamment dans la Rue de la Loi et sur les réseaux sociaux, suite à quoi Rousseau a saisi la justice et a obtenu gain de cause. Les deux articles ont depuis été retirés sous contrainte judiciaire.

La vue d’ensemble : faire son coming out est une chose, les accusations en sont une autre.

  • Le fait que Rousseau choisisse de s’identifier comme bisexuel n’est pas une grande nouvelle politique en soi : il y a beaucoup de membres de la communauté LGBTQ+ dans la Rue de la Loi, avec notamment les ministres Petra De Sutter (Groen) et Pascal Smet (Vooruit).
  • En 2023, faire son coming out ne devrait tout simplement pas être une nouvelle politique.
  • Par contre, les accusations de « comportements inappropriés » font basculer la séquence à un tout autre stade. Il faut toutefois médiatiquement et politiquement faire très attention. Il y a des précédents :
    • Comme cette histoire qui date d’il y a longtemps déjà et qui peut servir d’avertissement : ce qui est arrivé à Elio Di Rupo (PS), ouvertement homosexuel, bien avant qu’il ne devienne le Premier Premier ministre de ce pays.
    • En 1996, Di Rupo, alors vice-premier ministre du gouvernement de Jean-Luc Dehaene (cd&v), a été accusé de pédophilie par l’affabulateur Olivier Trusgnach. Il n’était pas immédiatement clair pour toutes les parties concernées, y compris la justice et la presse, que ces accusations étaient fausses, surtout à l’époque de l’affaire Dutroux.
    • Cela a placé Di Rupo dans une situation très difficile : sa carrière politique était en jeu. Finalement, il s’est avéré que les accusations étaient sans fondement, et Di Rupo a survécu à la crise. Le souvenir de cette affaire, qui impliquait également une enquête judiciaire, incite aujourd’hui la Rue de la Loi et la presse à faire preuve de prudence.
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