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Coup d’État au Niger : pourquoi on se fait juste peur à nous-mêmes en imaginant une pénurie à venir d’uranium en Europe

Coup d’État au Niger : pourquoi on se fait juste peur à nous-mêmes en imaginant une pénurie à venir d’uranium en Europe
L’uranium extrait au Niger doit être enrichi, comme ici à Tricastin, en France. | Getty / Fotojet

Le coup d’État au Niger rebat les cartes en Afrique de l’Ouest, ce pays étant jusqu’à peu une des dernières démocraties pro-occidentales dans une région en proie aux putschs à répétition. Y compris sur le point économique : on s’alerte des conséquences sur l’approvisionnement en uranium, en particulier en France. Mais il faut nuancer – et rectifier – ce qui alarme les lanceurs d’alertes.

Pourquoi est-ce important ?

Alors que l'Europe se remet encore, péniblement, d'un risque de pénurie énergétique suite à la dégradation des relations avec la Russie, voilà que l'on s'inquiète, en France en particulier, d'une pénurie d'uranium pour les centrales nucléaires. Il est vrai que le Niger, pays producteur, se retrouve en plein chaos politique, qui pourrait virer à la guerre civile - voire à la guerre tout court en cas d'interventions étrangères.

Des cailloux pour nos réacteurs

Le Niger, un pays producteur d’uranium et un partenaire de longue date de la France… Jusqu’à l’arrivée des troubles.

  • Le pays compte effectivement dans l’approvisionnement mondial, mais avec un peu moins de 5% de la production – contre plus de 40% de l’approvisionnement qui est miné au Kazakhstan. C’est par contre le deuxième fournisseur de l’UE avec 25% des importations, détrôné d’ailleurs de la première place en 2021 par le Kazakhstan, encore une fois. Le Canada complète le podium.
  • Ancienne colonie française, le Niger démocratique entretenait de bonnes relations avec la France, diplomatiques, mais aussi commerciales, et lui fournissait 19% de ses approvisionnements de minerai d’uranium entre 2005 et 2020. Mais le putsch risque de changer la donne.
  • Les militaires qui ont mené ce coup d’État professent une ligne anti-française assez intransigeante, d’ailleurs partagée par une partie de la population, mais aussi par les régimes militaires présents dans les pays voisins. Paris a d’ailleurs prévenu qu’aucune atteinte à ses ressortissants ou à ses intérêts ne serait tolérée, alors que les évacuations ont commencé.
  • Parmi ces intérêts : Orano, multinationale détenue par l’État français qui exploite deux mines d’uranium dans le nord du Niger. De là à imaginer une pénurie de carburant dans les centrales hexagonales, il y a un pas que certains ont allègrement franchi.

Un pays qui compte sur le marché mondial, certes, mais pas tant que ça.

Pourtant, le Niger ne représente plus une portion importante de l’uranium extrait par Orano : c’est le Canada qui prime. Les chiffres démontrent par ailleurs que l’entreprise française a largement réduit son activité d’extraction là-bas aussi, avec une mine entière qui a cessé son activité, ce qui représente des proportions qui éclipseraient totalement une rupture de l’actuelle production nigérienne. Et pourtant, ni la France ni Orano n’ont été mis en danger par la réduction de la production canadienne, pourtant bien plus importante que celle du Niger. La France n’est pas sur le seuil d’une pénurie, et l’Europe non plus.

« Il n’y a pas de risque d’approvisionnement pour l’UE en tant que tel. Les services publics de l’UE disposent de suffisamment de stocks d’uranium naturel pour atténuer tout risque d’approvisionnement à court terme et, à moyen et long terme, il existe suffisamment de gisements sur le marché mondial pour couvrir les besoins de l’UE. »

Adalbert Jahnz, porte-parole de la Commission européenne, cité par Nuclear Power Daily

Récupérations à droite et à gauche

De plus, l’uranium, ce n’est pas exactement la même source d’énergie que le gaz ou le pétrole. On ne brûle pas le minerai directement dans la centrale, celui-ci sert juste de matière première aux piles de combustible. Ce qui implique tout un processus de transformation en amont, mais aussi en aval, car l’uranium se stocke et se recycle, ce qui permet de limiter quelque peu son extraction. Les cours étaient d’ailleurs plutôt en baisse ces dernières années, et le marché est resté impassible au début des troubles nigériens.

  • La « dépendance » de la France envers les mines du Niger est donc, pour le moins, largement à relativiser : le marché n’est pas tendu, et les pays consommateurs ont des stocks et d’autres fournisseurs plus importants.
  • L’affaire a par contre été montée en épingle, en particulier en France, par des politiciens et des lobbies anti-nucléaires. Les mêmes qui ont freiné depuis des années le développement de la filière de recyclage des carburants nucléaires.
  • Ironiquement, ceux-ci rejoignent par la petite porte le discours des propagandistes occidentaux du Kremlin, en France comme ailleurs : lundi soir, Jackson Hinkle, un militant américain mi-libertarien, mi-conservateur radical, et encore mi-partisan de Poutine, tweetait que le Burkina Faso avait décrété un embargo de l’uranium à l’encontre de la France. Or ce pays n’en produit pas. Mais comme sur le Twitter actuel, la vérité n’est qu’accessoire, son message a été dûment repris, traduit et partagé des millions de fois.
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