Haute tension, à nouveau, dans la coalition fédérale : sous la pression des ONG et d’une partie de la presse, ainsi que des attaques de l’opposition, hier soir encore, la coupe était pleine au PS, chez Ecolo et Groen. L’aile gauche du gouvernement refuse désormais d’endosser les politiques de sa propre coalition Vivaldi, lorsqu’il s’agit d’asile et de migration. Même le MR s’agite. Après tout, ces températures glaciales menacent de tuer ce que l’opposition appelle 3 000 demandeurs d’asile, qui ont droit à un accueil, mais ne l’obtiennent pas actuellement. Le Conseil des réfugiés de Flandre a annoncé ce matin que deux sans-abri étaient déjà morts. Soudainement, Paul Magnette (PS) et Radja Maouane (Ecolo) s’attaquent frontalement à la secrétaire d’État de la Vivaldi. « Nous avons l’impression qu’elle ne veut tout simplement pas le faire. La peur des partis flamands à l’égard du Vlaams Belang ne peut pas durer », s’emporte Magnette dans Le Soir. De Moor a immédiatement contre-attaqué : « Je n’ai pas besoin d’un autre parti pour définir ma propre vision de la migration ». Ce matin, au kern, le sujet était à nouveau sur la table. Au début de cette réunion, la vice-première ministre Petra De Sutter (Groen) a insisté pour que les bâtiments et le personnel puissent être réquisitionnés dès maintenant. De Moor a passé au crible 500 places supplémentaires, qui vont être ajoutées chez Fedasil.
Dans l’actualité : « Deux sans-abri sont déjà morts, combien de temps cela va-t-il durer ? », déclare ce matin le Conseil des réfugiés de Flandre.
Les détails : La secrétaire d’État et le cd&v sont sur la défensive, face à la gauche du gouvernement et la droite de l’opposition, avec une constante : la situation actuelle est dégradante, selon tous. De Moor nie que rien ne soit fait.
- « Il fait très froid. C’est bientôt Noël. Et nous sommes confrontés à une crise humanitaire majeure, avec 2 000 à 3 000 personnes qui doivent passer la nuit dans les rues parce qu’elles n’ont pas d’abri. Environ huit cents personnes sont logées dans un squat à Bruxelles. La gale et la diphtérie y ont fait leur apparition, des maladies que l’on croyait disparues d’Europe occidentale depuis longtemps. Dramatique », a lancé Theo Francken (N-VA) à la Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, hier soir à la Chambre.
- La N-VA a depuis longtemps mis en avant cet « échec humanitaire » de la Vivaldi, arguant que « sous Francken, la situation n’a jamais été si mauvaise, et que des enfants ne dormaient pas dans les rues ».
- Le PTB a également attaqué férocement, mais a regardé à gauche : « Je partage ici la honte ressentie par le PS et Ecolo de laisser des adultes et des enfants dormir dehors. Mais il y a les paroles et les actes : vous faites partie de ce gouvernement. C’est votre Vivaldi qui met les gens dans la rue », a soutenu Nabil Boukili (PTB), ce qui a été suivi d’un échange de mots houleux avec le chef de groupe du PS, Ahmed Laaouej.
- Plus tôt, la N-VA avait aussi fermement hué Groen et Ecolo. Pour ceux qui avaient fait des déclarations fermes au cours de la journée de jeudi, à l’adresse de De Moor. Mais à la Chambre, pas un mot, pour rejoindre l’opposition. Devant les caméras de Villa Politica, dans les couloirs de l’hémicycle, le leader de Groen, Wouter De Vriendt, s’en est pourtant pris à de Moor, mais pas dans l’hémicycle : pas de confrontation directe avec un membre du gouvernement.
- A la Chambre, de Moor a réfuté les critiques. Ce faisant, elle a rappelé qu’il y a 150 places supplémentaires à Bruxelles au Heysel depuis le début de cette semaine. « Nous continuons à chercher d’autres places avec le Centre de crise, la Protection civile et la ville de Bruxelles. Nous orientons aussi activement les personnes qui dorment dans la rue vers ces lieux, car tout le monde n’accepte pas l’offre. La nuit dernière, par exemple, seuls 28 des 100 lits étaient occupés au Heysel ».
- Ce faisant, elle a également tenté d’apporter une bonne nouvelle : « Au mois de novembre, il n’y a pas eu 4 000, mais 3 200 nouvelles demandes d’asile. C’est 1 000 de moins qu’au cours du mois précédent. Ainsi, par rapport au mois d’octobre, nous avons enregistré 19,7 % de demandes en moins en novembre. » Même si elle se rend compte elle-même : « Une légère diminution, mais toujours un afflux disproportionné. »
Pire pour de Moor : les attaques les plus corrosives sont venues de chefs de parti de la majorité.
- Alors que de Moor se défendait dans l’hémicycle, Le Soir sortait une interview de Paul Magnette, le patron du PS. Ce dernier s’en est pris à la secrétaire d’État du CD&V et, fait remarquable, a répété le plaidoyer de son parti en faveur des régularisations, un scénario d’horreur pour la droite vivaldienne.
- « Ces gens sont là ! Ils sont dans une impasse juridique totale. Nous ne pouvons pas les renvoyer ou les régulariser, car la secrétaire d’État ne le veut pas. Cette crainte politique des partis flamands pour le Vlaams Belang ne peut pas durer. L’humanisme chrétien ne signifie-t-il de laisser les gens mourir dans les rues ? Cessons d’avoir peur de l’extrême-droite », s’est-il emporté.
- La raison de l’irritation du PS n’est pas loin : la pression de la gauche, mais aussi le conflit latent entre de Moor et la bourgmestre PS de Molenbeek, Catherine Moureaux. Elle gère un centre de 600 places pour les réfugiés ukrainiens de Fedasil, mais refuse de le transformer en centre pour d’autres demandeurs d’asile. « Le gouvernement fédéral traite mal ma commune », a-t-elle insinué sur la RTBF.
- En cela, le raisonnement du PS est simple : le département de l’asile et de la migration, séparé des affaires intérieures à l’époque, a suivi une voie beaucoup trop droitière pendant 15 ans sous les administrateurs flamands, et sous la pression du Belang flamand. « Il est temps de le remettre dans les compétences du ministère de l’Intérieur », a déclaré Moureaux.
- En même temps, Magnette a évoqué toute la valise de mesures que le PS, Groen et Ecolo veulent faire passer depuis un certain temps, et que la droite de la Vivaldi ne veut pas. « Des critères transparents pour la régularisation. Des emplois et des permis de travail pour tous ceux qui ont des compétences correspondant à des emplois en pénurie », a fait valoir Magnette, qui souhaite donner immédiatement à tous les Afghans des permis de travail. « Les Afghans sont dans une situation absurde : ils ne peuvent pas être expulsés du pays, (je déteste ce terme), parce que leur pays est en guerre contre les talibans. »
- De Moor n’a pas répondu dans l’hémicycle, car elle n’y a pas eu de débat avec le PS, mais via Twitter, sa réponse fut presque immédiate : « Vous vous trompez si vous pensez que je ne peux pas penser par moi-même. Je n’ai pas besoin d’un autre parti pour définir mes propres opinions sur la migration. Je travaille pour une politique migratoire contrôlée et équitable. »
- L’affirmation de Magnette selon laquelle 7 500 places ont été soudainement ajoutées « grâce » au PS et à Ludivine Dedonder (PS), à la Défense, a également été démentie avec véhémence par de Moor : « Je suis heureuse de l’engagement de la Défense, mais prétendre que 7 500 places ont été soudainement libérées, c’est déformer la vérité. La plupart de ces endroits font partie de notre réseau Fedasil depuis des années », en remettant le patron du PS à sa place.
- Etonnant aussi : une de Moor combative, qui a littéralement parlé de « fake news » lorsque le président des socialistes a affirmé que les enfants devaient dormir dans la rue parce que ses services ne pouvaient plus faire face à l’afflux. Elle a souligné ce matin que le nouveau centre d’hébergement de Jabbeke avait également ouvert ses portes et que « tous ceux qui le souhaitent peuvent être hébergés ». Au Kern, elle a présenté toute une liste de nouvelles places que Fedasil va proposer : 500 de plus, ce qui porte le nombre total de places d’accueil à 33 700. Il s’agit notamment de Genappe (244), Theux (100), Lommel (60) et Nonceveux (40). En d’autres termes, elle est occupée à travailler et les choses avancent.
- Cette ligne reste dangereuse, l’opposition et la majorité la contredisant ouvertement. A cela s’ajoutent les ONG. Ce matin, Tine Claus, de Vluchtelingenwerk Vlaanderen, a déclaré sans ambages « que deux sans-abri étaient déjà morts », sur Radio 1. « Il ne s’agit pas de demandeurs d’asile, mais cela montre que tout le monde a maintenant besoin d’un abri supplémentaire ».
- Claus a en outre déclaré que le Heysel « n’est pas l’abri à part entière dont les gens ont besoin maintenant ». Elle a souligné qu’il n’y a pas qu’à Bruxelles que l’on trouve des demandeurs d’asile sans abri : les habitants de Gand, d’Anvers et même de Saint-Nicolas et de Bruges sont également confrontés à des problèmes d’accueil. Elle a déclaré qu’il y a actuellement 2 000 demandeurs d’asile sur les listes d’attente de Fedasil, avec une moyenne de 8 personnes par jour qui « reçoivent effectivement l’abri auquel elles ont droit. »
- À cette critique de la société civile, même le MR ne reste pas insensible. Georges-Louis Bouchez (MR) a lui aussi réagi. Pour sa part, il a mis la pression sur de Moor, hier, sur la RTBF: « Aucun individu, quel que soit son statut, ne devrait dormir dehors. Nous devons réinstaller ce qu’on avait mis en place sous le gouvernement Michel : le pré-accueil, pour quelques jours ou quelques semaines, avant que des places se libèrent dans le réseau Fédasil. Nous devons aussi avoir des partenariats avec les Régions. » L’autre point, proposé par le président du MR, c’est d’accélérer les procédures de refus, « pour les personnes qui ont reçu l’ordre de quitter le territoire », tout en défendant la politique qui avait été menée sous le gouvernement précédent, avec la N-VA : « Il y avait 40.000 places d’accueil sous Theo Francken et 32.000 actuellement avec madame de Moor. »
L’essentiel : l’asile et la migration deviennent donc une autre bombe à retardement pour la Vivaldi.
- Ce matin, la vice-première ministre verte Petra De Sutter a insisté une fois de plus sur la question. Ce faisant, elle a répété la demande de la coprésidente de son parti : « Si c’est un problème de bâtiments, on peut les réquisitionner. Et il en va de même pour le personnel. En deux mois, nous n’avons trouvé que 50 volontaires parmi les fonctionnaires, ce qui est beaucoup trop peu », a-t-elle conclu.
- En effet, en octobre dernier, une sorte de « plan d’urgence » a été présenté par la Vivaldi pour faire face à l’afflux massif de demandeurs d’asile. Il s’agissait notamment de libérer des places à la Défense, c’est-à-dire au PS, mais aussi de trouver du personnel supplémentaire, via la Protection civile, c’est-à-dire à Groen.
- En ce sens, il est quelque peu ironique que les Verts plaident maintenant pour ces « réquisitions » : cela donne à de Moor une plus grande marge de manœuvre pour repousser le dossier vers des départements PS et Verts.
- Mais pour de Moor, le dossier a surtout été réduit au minimum : le fait qu’il soit au kern aujourd’hui avait été « planifié depuis longtemps », et « ce n’est rien de plus qu’un état des lieux, que la secrétaire d’Etat donnera à ses collègues », a-t-on entendu. La question est de savoir si cela peut rester en l’état, avec la pression de l’intérieur et de l’extérieur du gouvernement.
- Ce qui est plus ennuyeux pour le cd&v, mais également pour les libéraux, c’est qu’avec la crise actuelle de l’asile, le débat sur la régularisation risque également d’être à nouveau abordé. C’est de la dynamite politique pour cette coalition.
- Une grève de la faim des sans papiers au printemps et à l’été 2021 avaient menacé de faire dérailler la Vivaldi : la même coalition du PS et des Verts avaient exigé un tour de régularisation. À l’époque, le secrétaire d’État Sammy Mahdi (CD&V) et sa cheffe de cabinet, de Moor, ont refusé de le faire. À l’époque également, le PS avait déclaré que « s’il y avait un décès, le gouvernement tomberait », bien que cela n’ait finalement pas été prouvé. Cette fois, Magnette ne répète pas de telles menaces, mais la pression est là.
Au passage : il est frappant de constater qu’à l’instant même, la N-VA veut durcir le statut des réfugiés ukrainiens.
- Pourquoi tant de réfugiés ukrainiens sans emploi touchent-ils un revenu de subsistance chez nous, alors qu’aux Pays-Bas, pas moins de 80 % d’entre eux travaillent ? Ces statistiques ont depuis longtemps été saisies par la N-VA, pour taper sur la politique fédérale. Après tout, ce revenu d’intégration, que les communes versent par l’intermédiaire de leurs CPAS, est déterminé au niveau fédéral. Et la ministre en charge, Karine Lalieux (PS) ne veut pas lésiner sur ce point, pour les Ukrainiens.
- La N-VA veut maintenant activer les Ukrainiens : « le lit, le bain, le pain », pour qu’ils se remettent au travail le plus vite possible. Les nationalistes reviennent à la charge, ce matin dans Het Laatste Nieuws. Par le biais de la réglementation flamande, ils pourraient affiner les choses : entre autres, en les obligeant à s’enregistrer auprès du VDAB (Forem flamand).
- Mais pour ce faire, ils doivent d’abord obtenir une vision fédérale de tous les Ukrainiens et de leur taux d’emploi. Et, malheureusement, ces chiffres n’existent apparemment pas. Ils seront rassemblés d’ici janvier. Les Pays-Bas ont des chiffres : 80 % des réfugiés ukrainiens travaillent, ce qui correspond au taux d’emploi global du pays, qui est de 83 %. En Belgique, 6 298 réfugiés ukrainiens se sont enregistrés pour trouver de l’emploi, moins de la moitié ont déjà un emploi.
- Cela peut s’expliquer par le revenu de subsistance que l’État offre aux réfugiés ukrainiens. Aux Pays-Bas, chaque demandeur d’asile reçoit environ 60 euros par semaine pour la nourriture, les vêtements et autres dépenses personnelles. En Belgique, les célibataires reçoivent plus de 1.000 euros par mois, les cohabitants « seulement » 730 euros.