Les pays les plus pauvres exigent de l’Europe et des États-Unis de lourdes réparations pour le climat : la COP27 en Égypte se heurte à des questions d’argent, alors que Xi Jinping ne s’y montrera pas

Les pays riches doivent-ils aujourd’hui payer des réparations pour le réchauffement climatique, qui menace de perturber gravement la vie de nombreux pays en développement ? Cette question de gros sous, figure en bonne place sur la table à Charm el-Cheikh, où se tient la COP27 : la 27e édition du sommet annuel sur le climat organisé par l’Égypte. Les pays pauvres, réunis au sein d’une coalition menée par le Pakistan, ont réussi à faire en sorte que le principe des réparations ou des « pertes et dommages » soit désormais officiellement à l’ordre du jour. Ils exigent de l’argent comptant : des réparations de la part des riches occidentaux, ou plutôt de ceux qui leur ont causé du tort, tel est le raisonnement. Cela semble être une illusion : « Nous faisons déjà beaucoup », a déjà commenté à son départ le Premier ministre, Alexander De Croo (Open Vld). Les Américains sont encore plus concrets : si la Chine, le plus grand émetteur, ne paie pas, les États-Unis non plus. Ainsi, l’initiative multilatérale grince de toutes parts, et le sommet s’annonce déjà comme un nouvel échec. En effet, le dictateur égyptien Abdel al-Sisi joue le rôle d’hôte, rendant la situation embarrassante pour tous les participants grâce à la répression sans faille de son régime. On est parfois en plein surréalisme : Coca-Cola est aussi le principal sponsor de l’événement. Plus fondamentalement : le président chinois Xi Jinping ne se montrera pas. Et ce, bien que la Chine soit de loin le plus gros acteur avec 30 % des émissions de CO2. Ils ne réduiront guère leurs émissions dans les années à venir.

Dans l’actualité : Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) condamne les activistes climatiques : « Le vandalisme ne peut jamais être une solution. »

Les détails : il a fallu attendre un jugement aux Pays-Bas pour que l’activiste belge Wouter Mouton finisse en prison.

  • « Je ne vois pas le lien entre l’art et les défis climatiques auxquels nous sommes confrontés. C’est du vandalisme et je ne peux approuver aucune forme de vandalisme », a déclaré le Premier ministre De Croo avant de monter dans l’avion de Melsbroek pour Charm el-Cheikh. Ce faisant, il a parlé d’une vague d’actions, visant à chaque fois l’art : la soupe à la tomate sur un Van Gogh ou la purée de pommes de terre sur un Monet.
  • C’est le Brugeois Wouter Mouton qui a remporté la palme, en se collant à la Fille à la perle de Johannes Vermeer, à La Haye. Le Premier ministre a spécifiquement condamné cette action. « La seule façon de trouver une solution est de se réunir avec le monde chaque année pour discuter d’une approche globale, comme maintenant en Égypte », a-t-il défendu pour justifier sa présence à la COP27. Le chancelier allemand Olaf Scholz, entre autres, y est également attendu aujourd’hui.
  • Le fait que le Premier ministre De Croo s’en prenne avec autant de véhémence à Mouton et consorts, qui ont par ailleurs été surnommés « écoterroristes » en raison de leur approche, devrait être quelque peu surprenant. Mais Mouton s’est constitué un impressionnant palmarès en Belgique en matière de troubles à l’ordre public, d’invasion de musées et de fermeture d’événements :
    • Il a perturbé la photo-finish du Tour des Flandres.
    • Il a interrompu la finale de la coupe de Belgique pendant plusieurs minutes en s’attachant au but dans le stade Roi Baudouin.
    • Au musée Groeninge de Bruges, il s’est collé à La Madone au chanoine Van der Paele, après quoi le musée lui a envoyé une facture pour les dommages causés au cadre ; il a refusé de payer.
    • Il s’est aussi collé au Manneken pis, et a également fait campagne contre McDonalds, entre autres.
  • Pourtant, en Belgique, l’homme n’a jamais été réellement poursuivi pour tous ses actes par les tribunaux belges : tout au plus a-t-il été détenu administrativement pendant quelques heures, et s’en est sorti avec une réprimande. À Bruges, il a même un contact permanent avec la police. Entre-temps, l’homme s’est aussi présenté à la VRT, où il a reçu une tribune lors de l’émission dominicale, De Zevende Dag, avec des militants pour le climat à ses côtés.
  • En Belgique, les paroles acerbes du monde politique, aux Pays-Bas, les actes. Parce que là, le juge est intervenu, après l’action contre le Vermeer : Mouton y est immédiatement condamné à deux mois de prison, dont un effectif. « Vous saviez que vous vous heurtiez à la limite. Et je vous le dis : maintenant, vous avez franchi cette limite », a déclaré le juge, selon Het Nieuwsblad.
  • À des milliers de kilomètres de là, il n’y aura pas beaucoup d’activisme, à Charm el-Cheikh : l’hôte égyptien a serré très fort la vis pour la COP27, une réunion annuelle qui attire traditionnellement beaucoup de protestations. L’année dernière, en Écosse, ce fut une autre édition féroce, où les alarmistes climatiques ont fait entendre leur voix avec acharnement. Cette fois, il y a les subtilités d’une dictature : un système d’accréditation pour chaque participant, qui surveille vos faits et gestes, et des caméras dans tous les taxis de la ville balnéaire.
  • En attendant, les activistes climatiques continuent de se déchaîner en menant une autre action. Ce matin, c’est le siège du parti Groen qui a été dégradé. Remarquable, car les présidents Jeremie Vaneeckhout (Groen) et Nadia Naji (Groen) ont été parmi les rares politiciens à continuer à défendre les actions consistant à jeter de la soupe ou à se coller à des tableaux.
  • Ce faisant, les défenseurs du climat ont ciblé très précisément un membre du cabinet de la ministre verte Tinne Van der Straeten : « Qui est Maria-Antoinetta Simons ? » est accroché en grandes lettres sur les murs du siège. Les militants veulent que la Belgique sorte du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE), qui est « trop rédigé pour convenir aux grandes entreprises ». Mme Simons était employée de l’organisation de ce traité avant de commencer à travailler au sein du cabinet : une action plutôt bizarre, mais bien renseignée donc, pour cibler une personne en particulier.

Qui y va, qui n’y va pas : Pas de Zuhal Demir, ni de Greta Thunberg, mais avec Joe Biden.

  • Sur le plan intérieur, il y a eu, pour la énième fois, un désaccord communautaire sur le climat : alors que la ministre fédérale du Climat, Zakia Khattabi (Ecolo), a défendu sa présence dans une série de tweets, la ministre flamande de l’Environnement et de l’Énergie, Zuhal Demir (N-VA), n’ira pas. Elle n’avait aucune envie de « participer à cette mascarade ». Cela a suscité de vives critiques de la part de Groen et Vooruit, côté flamand.
  • Zakia Khattabi a expliqué que c’était « important d’y être », même si la Belgique « n’y prend pas la parole directement », car c’est « par la voix de l’UE que nous nous y exprimons », mais des négociations « ont lieu tout au long de l’évènement ». La ministre fédérale n’a pas composé la délégation, mais a avancé « une approche très inclusive », sans « critères de sélection discriminant a priori ». Résultat : il y aura 115 personnes au sein de la délégation officielle.
  • On y retrouvera des ministres, des hauts fonctionnaires et des membres de cabinet : le Premier ministre De Croo, la ministre Khattabi, mais aussi la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) et, bien sûr, la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen). Pour la Wallonie, le ministre du climat Philippe Henry (Ecolo) et pour Bruxelles son homologue Alain Maron (Ecolo).
  • De son côté, Zuhal Demir a reçu un soutien inattendu : la star absolue du mouvement pour le climat, la Suédoise Greta Thunberg, ne viendra pas non plus. Elle a affirmé que le sommet n’est bon qu’à faire du « greenwashing« , dont les politiciens abusent pour se faire passer pour plus verts qu’ils ne le sont réellement. De plus, elle n’avait aucun bon mot pour le régime égyptien.
  • Soit dit en passant, Thunberg a considérablement changé d’orientation dans son activisme. Présentant son dernier livre, elle a affirmé que la crise climatique était causée par « l’extractivisme raciste et oppressif qui exploite à la fois les gens et la planète pour maximiser les profits à court terme de quelques-uns ». Sa solution : renverser le capitalisme. « Le système actuel est défini par le colonialisme, l’impérialisme, l’oppression et le génocide par le Nord pour s’enrichir. C’est toujours l’ordre mondial actuel ».
  • Celle qui s’y rend, par contre, est la Belge Anuna De Wever. Qui est là pour représenter l’UNICEF et A Mad Production. Fait remarquable, elle s’est rendue en avion au Sud-Soudan et au Kenya avant le sommet sur le climat, afin de voir de ses propres yeux les conséquences locales du réchauffement de la planète et de consulter les populations locales. Pour elle aussi, le problème réside dans le capitalisme et le « néo-colonialisme ».
  • Il y a déjà un premier temps fort aujourd’hui et demain : deux jours où les chefs de gouvernement débarqueront, avec un total de 120 premiers ministres et présidents, dont donc De Croo. Le 11 novembre, à la fin de cette semaine, ce sera ensuite le tour de Joe Biden, le président américain. Mais il a déjà réglé la mire sur le G20, qui se poursuit après la COP27, à Bali, en Indonésie. Là, pour la première fois depuis la guerre en Ukraine, le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain se rencontreront.
  • D’ailleurs, l’emplacement de la COP27, une ville balnéaire touristique sur la mer Rouge, n’est pas sans ironie non plus : c’est un moyen pour al-Sisi de promouvoir le tourisme dans son pays, par avion.
  • Un sommet Afrique-Europe qui s’est déroulé il y a quelques années au même endroit a prouvé une chose : en plein désert, loin des villes aux millions d’habitants, c’est l’endroit parfait pour garder éloignée toute contestation, et contrôler strictement quiconque y arrive, par avion.

Ce dont il s’agit vraiment, en Égypte : Argent, argent, argent.

  • Au début du sommet, tout un groupe de pays parmi les plus pauvres s’est réuni au sein d’une coalition de 77 pays dirigée par le Pakistan, et avec le soutien explicite de l’Égypte, pays hôte. Ensemble, ils ont déjà réalisé une percée majeure : leur point à l’ordre du jour figure en bonne place sur la table des discussions. Il s’agit du principe dit de « perte et dommage ».
  • Le fait que le sommet se déroule cette fois-ci en Afrique rend la discussion encore plus intense. Après tout, il s’agit de savoir qui paiera bientôt la facture du réchauffement climatique. De plus en plus de pays sont confrontés à ce qu’ils considèrent comme les conséquences du réchauffement de la planète : beaucoup plus de sécheresses, de vagues de chaleur et un bouleversement des saisons. Dans ce processus, les pays les plus pauvres sont plus touchés.
  • Ils demandent maintenant des compensations, des réparations, pour que les pays riches, qui ont émis beaucoup plus de CO2, en payent le prix. Ils veulent un mécanisme de compensation : un précédent particulièrement délicat pour les grands émetteurs, car il ne s’agit pas seulement des promesses futures (innombrables à chaque COP, jamais concrétisées) de réduire les émissions de CO2, mais aussi du passé.
  • Pour les pays en développement, cet argent pourrait bien être la boîte de Pandore : un tout nouveau flux de financement, distinct de la coopération au développement, voire des réparations coloniales, pour redresser le sombre passé de l’Europe.
  • Les chances d’une percée sur cette question sont minimes. « Des mécanismes existent déjà pour compenser les impacts climatiques. N’oublions pas que personne ne fait plus pour le climat que l’Europe », a déclaré De Croo à VTM avant son voyage en Égypte.
  • Mais la Belgique joue en même temps un rôle de pionnier. Car à l’instant même, le ministre de la Coopération au développement, Frank Vandenbroucke (Vooruit), a annoncé qu’il lançait un programme de coopération climatique avec le Mozambique, de 2023 à 2028. Il s’agit d’un montant de 25 millions d’euros, avec un montant de 2,5 millions d’euros qui y est également réservé, spécifiquement pour les pertes et dommages, les réparations pour les catastrophes climatiques en d’autres termes. Un précédent intéressant, que les gens en Afrique ne manqueront pas de remarquer. Seul le Danemark l’a fait auparavant, en dehors des gouvernements régionaux d’Écosse et de Wallonie.

Dans quelle mesure ces réparations seront-elles concrètes ? Il ne sera pas question de propositions fermes à Charm el-Cheikh, peut-être à Dubaï l’année prochaine.

  • Les pays pauvres visent principalement les prochains sommets, en 2023 et 2024, pour forcer une percée sur cette question d’argent. Le sommet de l’année prochaine aura lieu aux Émirats arabes unis, dans les riches États du Golfe, où les pays les plus pauvres espèrent également trouver de l’argent.
  • Mais il est frappant de constater que les États-Unis ne ferment plus complètement la porte. Ils sont prêts à discuter de la question « pour autant que la Chine soit également concernée ». Ces derniers rejettent froidement toute revendication à ce sujet.
  • Ce qui entre en jeu : la guerre en Ukraine, et surtout la réaction de l’Occident, a choqué les pays africains. Ils ont vu comment tous les réfugiés ukrainiens sont simplement accueillis dans l’UE et comment des milliards affluent à Kiev sous forme d’aide. Cela déclenche des tensions, comme si les conflits en Afrique comptaient beaucoup moins. Ainsi, les pays africains apparaissent plus revendicatifs en Égypte.
  • D’ailleurs, en Belgique, la discussion sur d’autres réparations est toujours en cours : celles de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi, sur le passé colonial. Cette discussion continue de diviser la Vivaldi. Une somme de 100 millions d’euros a circulé, l’intégralité du budget annuel courant de la Coopération au Développement destiné au Congo, à verser dans un fonds spécial à créer. Rien n’a encore été décidé.

L’amère réalité : au lieu du multilatéralisme, une nouvelle guerre froide se profile. Avec le climat comme menace.

  • À Bali, lors du G20, tout contact bilatéral entre les deux superpuissances, et entre Biden et Xi Jinping, a été supprimé. Une conséquence de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan : les Chinois sont profondément mécontents. Les relations sont au plus bas.
  • Le fait que ce même Xi Jinping ne vienne pas à Charm el-Cheikh doit être au moins aussi inquiétant. À Glasgow, les États-Unis et la Chine ont encore accepté de tirer la charrette ensemble pour contrer le réchauffement climatique. Pas illogique quand on sait que les États-Unis représentaient 13,5 % des émissions totales en 2020, la Chine 30,6 %.
  • Mais la Chine n’est pas du tout sur la voie d’une réduction de 45 % de ses émissions d’ici à 2030, ce qui avait pourtant été convenu lors du sommet de Paris sur le climat en 2015. Au contraire, les émissions restent à leurs niveaux de 2020, ce qui signifie que le monde est inévitablement sur la voie d’un réchauffement de 3 degrés. Les derniers rapports sombres de l’ONU confirment toutes ces prédictions pessimistes.
  • Mais le contexte géopolitique a de nouveau été secoué par l’Ukraine. L’Europe doit chercher en masse d’autres fournisseurs de gaz : cela rend la tâche encore plus difficile pour des pays comme le Nigeria, l’Angola, le Sénégal, l’Algérie ou le Mozambique, qui, dans un premier temps, ont tous été découragés de développer leur secteur des combustibles fossiles dans le cadre du contexte climatique, mais qui, désormais, sont soudainement autorisés à fournir l’Europe pour beaucoup d’argent.
  • Et pourtant, la guerre ukrainienne a un rôle secondaire. Car l’essentiel se joue principalement dans le jeu entre les États-Unis et la Chine. Qui se dirige de plus en plus vers une nouvelle guerre froide, une course entre superpuissances : c’est Donald Trump qui l’a initiée, mais Joe Biden n’a en rien changé ce cap.
  • Dans le même temps, la Chine, après le troisième mandat de Xi Jinping, est plus que jamais le challenger, ne voulant plus marcher dans l’ombre des États-Unis.
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