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Les courriers compromettants s’accumulent, mais Céline Tellier maintient sa version et se justifie du non-suivi des analyses : « On gère des quantités de dossiers en même temps »

Les courriers compromettants s’accumulent, mais Céline Tellier maintient sa version et se justifie du non-suivi des analyses : « On gère des quantités de dossiers en même temps »
Bruno Fahy – Belga/Getty Images

La ministre de l’Environnement n’est toujours pas sortie de la tempête dans le dossier PFAS. Avec aplomb, hier encore, lors de l’émission Jeudi en Prime (RTBF), Céline Tellier (Ecolo) a gardé la même ligne de défense : « Je ne savais pas ». Et c’est d’ailleurs peut-être vrai. Pourtant, les échanges se sont multipliés entre son cabinet, l’administration et la société wallonne des eaux. Les courriers qui « fuitent » dans la presse ne laissent plus aucune ambigüité : beaucoup de personnes étaient au courant des niveaux problématiques de PFAS dans l’eau de Chièvres. Mais la ministre, elle, ne savait pas. L’écologiste a de nouveau pointé du doigt son collaborateur. Un conseiller qu’elle a d’ailleurs écarté, car ce dernier a manqué « de vigilance politique ». Et la ministre ? Elle a demandé personnellement des analyses complémentaires en septembre 2021, après des premiers résultats rassurants. Mais après ça, c’est le trou noir. La ministre ne se souciera plus de ces analyses. Or, quelques mois plus tard, il va s’avérer que les niveaux de PFAS seront jusqu’à trois plus élevés que la future norme européenne, déjà appliquée en Flandre, entre autres. Mais tant l’administration que son conseiller ont adopté une « approche légaliste », que la ministre dit aujourd’hui vouloir changer.

Dans l’actu : Céline Tellier maintient sa ligne de défense : elle ne savait pas. Et c’est la faute de son conseiller.

  • « Vous savez, tous les conseillers de mon cabinet reçoivent des centaines de mails par jour », a répété la ministre hier soir, lors de l’émission Jeudi en Prime, après le JT de la RTBF, justifiant par là le fait que des infos cruciales ne sont pas remontées jusqu’à elle.
  • Le problème dans cette justification, c’est que les échanges ont été nombreux entre son cabinet, l’administration et la Société wallonne des eaux (SWDE). Autant de fois où la ministre et son cabinet sont passés à côté de ce qui est, après tout, une question de santé publique.
  • Remontons le fil des évènements avec quelques dates charnières :
    • En juillet 2021, la ministre est informée du rapport américain de la base militaire de Chièvres. Le député du PTB Jori Dupont, présente le rapport au Parlement. Le 8 juillet, tant au gouvernement qu’au parlement, la ministre s’engage à réaliser un suivi de la situation dans cette commune du Hainaut. Elle fait un tweet le même jour et parle « de la présence de PFAS ». Elle dit ensuite qu’elle communiquera les résultats aux autorités communales.
    • En septembre 2021, les résultats arrivent. Ils sont rassurants, mais ils sont partiels. La cheffe de cabinet de Céline Tellier, Juliette Boulet, écrit à la directrice du SPW Environnement (l’administration), Bénédicte Heindrichs (Ecolo), précise aujourd’hui La Libre, qui a pu consulter les échanges de courriers. La cheffe de cabinet demande à l’administration « une analyse mensuelle » de la teneur en PFAS de l’eau de Chièvres, distribuée par la SWDE. Il est intéressant de noter que ce mail fait déjà référence au dépassement de la norme européenne en PFAS. Même si cette législation n’entrera en vigueur qu’en 2026. Bref, tout le monde est visiblement conscient de la limite de 100 ng/l.
    • En octobre 2021, la ministre annonce au Parlement wallon que les résultats partiels du mois de septembre sont rassurants et que d’autres analyses sont en cours.
    • En janvier 2022, ces résultats arrivent. Et ils dépassent la norme européenne de 100 ng/l. L’information ne remonte pas à la ministre. C’est ici que commence la défense de la ministre devant la commission, mardi dernier. Son conseiller, détaché par l’administration dans son cabinet, ne l’aurait pas informée des résultats. La ministre montre à la commission un courrier, avec un tableau Excel en pièce jointe. Devant les députés, l’écologiste explique qu’il s’agit d’un « mail brut », « sans mise en garde » particulière, ni analyse. « Un mail comme on en reçoit des centaines tous les jours ». Mais alors pourquoi décide-t-elle de licencier son collaborateur ? On pourrait reprocher à ce dernier de ne pas savoir lire un tableau Excel, mais la ministre explique aux députés que « la confiance a été rompue », car ce conseiller n’a pas fait « preuve de vigilance politique ».
    • Les prochains échanges auront lieu en juin 2022 entre le cabinet, l’administration, et même le patron de la SWDE. Tous sont maintenant au courant que l’eau de Chièvres dépasse depuis plusieurs mois la norme européenne. Ces échanges, a expliqué la ministre hier soir à Jeudi en Prime, ne remontent pas non plus jusqu’à elle. La question de savoir pourquoi la ministre n’a pas également montré ces échanges en commission reste entière.
    • Quoi qu’il en soit, Céline Tellier pointe à nouveau du doigt son conseiller. L’info ne remonte pas. Pourtant, un plan se met en place pour assainir l’eau grâce au placement de filtres à charbon. Mais comme on le sait à présent, ces travaux ne seront pas réalisés avant mars 2023. Voilà donc des mois et des mois que les habitants de Chièvres boivent une eau contaminée aux PFAS sans le savoir.
  • Supposons maintenant que la ministre ne savait effectivement pas. Pourquoi n’a-t-elle pas fait le suivi des analyses complémentaires qu’elle a elle-même demandé ? Pourquoi sa cheffe de cabinet ne donne pas suite aux courriers qu’elle a elle-même envoyés ?
  • Céline Tellier se justifie, hier soir, en plateau : « En tant que ministre, on gère des quantités de dossiers en même temps. Ce n’est pas pour me dédouaner, mais on est juste après les inondations et on est en train de gérer toute la reconstruction de la vallée de la Vesdre. »
  • Elle remet tout sur son collaborateur, mais explique, en même temps, que tant son cabinet que l’administration et le SWDE ont adopté « une approche légaliste ». Autrement dit, comme la norme n’entrera pas en vigueur avant 2026, il n’y a pas de quoi tirer la sonnette d’alarme à la population. Même si les niveaux de PFAS ont parfois été cinq fois supérieurs à cette norme. Et que le cabinet, l’administration et la SWDE sont bien au courant de cette norme.
  • Ce vendredi, les députés wallons interrogeront les acteurs de la SWDE pour connaître tout des échanges de cette relation à trois acteurs : le cabinet, l’administration et la SWDE.

L’essentiel : la ministre ne démissionnera peut-être pas, mais sa crédibilité est entachée.

  • « Est-ce que vous dormez bien la nuit ?« , la question de François De Brigode (RTBF), hier soir, a été aussi directe que tranchante. Il faut dire que les enjeux sont grands et que 12.000 habitants peuvent légitimement se sentir trahis. On parle quand même de la ressource la plus essentielle pour l’homme : l’eau.
  • La ministre a reconnu « des » erreurs, et pour la première fois, hier soir, a présenté des excuses : « Je m’excuse auprès des personnes qui se sentent aujourd’hui flouées, en colère et qui, surtout, n’ont plus confiance dans un bien qui est essentiel, l’accès à l’eau. »
  • Mais le mea culpa s’arrête là. Pour tout le reste, la ministre a répété méthodiquement sa ligne de défense. Sa conclusion est qu’elle ne démissionnera pas pour une chose qu’elle ne savait pas.
  • En politique, pourtant, reconnaître « ses » erreurs peut donner du crédit. Prendre ses responsabilités pour regagner de la crédibilité. Après tout, dans ce dossier, tout le monde sait que Céline Tellier n’est pas l’origine du problème.
  • En outre, mis à part pour les suiveurs de l’actualité politique wallonne, on ne peut pas dire que le nom de Céline Tellier ait fait les gros titres, lors de cette législature. En se saisissant d’un tel dossier, elle aurait pu pourtant marquer des points, « pour un bien aussi essentiel que l’accès à l’eau ».
  • Il est toutefois à noter qu’en dehors de l’opposition PTB – Les Engagés, on entend très peu les partenaires de la majorité. Pas un mot du ministre-président Elio Di Rupo (PS). Pas un mot de Christie Morreale (PS), la ministre de la Santé, qui a été informée, via Zuhal Démir (N-VA), des problèmes liés aux PFAS dans l’eau de Halle, une eau qui provient de Wallonie.
  • Pas un mot non plus des présidents de parti ou très peu, une polémique en chassant une autre. Georges-Louis Bouchez (MR) préfère déjà s’attarder sur d’autres sujets. Et la pression initiale des députés libéraux s’est atténuée. On se rappellera que dans un autre dossier, au fédéral, il est vrai, les députés Ecolo et PS n’avaient rien lâché quand la ministre des Affaires étrangères étaient sous pression, suite à l’affaire des visas iraniens.
  • Aucune demande de démission pour le moment. L’opposition appelle à une commission spéciale pour réentendre la ministre en profondeur. La majorité observe.
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