La ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) avait demandé un rapport à la Creg, le régulateur du secteur de l’énergie. Ce rapport devait évaluer les surprofits des acteurs de l’énergie, suite à l’augmentation des prix. Les résultats sont désormais connus. Et les nouvelles sont bonnes pour le nucléaire en Belgique. Tout profit pour Engie, mais aussi pour la Belgique qui bénéficie déjà d’une rente sur les profits de l’exploitant. Cette rente va-t-elle être renégociée ?
Dans l’actu: la Greg a publié ce mardi son rapport sur les éventuels surprofits engrangés dans le secteur de l’énergie.
Le détail: le gouvernement fait une analyse encore plus optimiste de la situation.
- Chaque année depuis 2008, une taxe qui cible les pofits du nucléaire est payée par l’exploitant à la Belgique. Celle-ci a évolué dans le temps au fil des gouvernements. Alors qu’elle avoisinait généralement les 250 millions d’euros, L’Echo rappelle que le gouvernement Di Rupo l’avait fait passer à 549 millions d’euros, ce qui a déclenché à l’époque une lutte intense avec Engie.
- Le système a ensuite été corrigé sous le gouvernement Michel avec des règles différentes pour Doel 1, Doel 2 et Tihange 1 (dont la durée de vie avait déjà été prolongée de dix ans), et d’autre part, Doel 3 et 4, et Tihange 2 et 3.
- En 2015, la taxe n’atteignait plus que les 200 millions d’euros. Avant de dégringoler en 2019 à 72 millions d’euros, puis 92 millions d’euros en 2020, pour remonter entre 110 et 115 millions d’euros en 2021. La production des centrales nucléaires est vendue à l’avance. Or, en 2021, les prix ont été surtout élevés dans la seconde moitié de l’année.
- Ce qui fait que la taxe en 2022 (elle ne sera payée qu’un an plus tard en 2023) devrait exploser: 527 millions d’euros, selon la Creg.
- Une manne financière bienvenue pour l’État, mais qui pourrait être de courte durée. Même si l’incertitude demeure, la taxe devrait repasser à 213 millions en 2023 et 180 millions en 2024, toujours selon les estimations de la Creg.
- Les chiffres calculés par le gouvernement sont encore plus optimistes, car ils sont plus récents et prennent donc mieux en compte l’explosion récente des prix. La contribution des 4 réacteurs les plus récents devrait passer à 660 millions d’euros. Si on y ajoute le régime spécial de Doel 1 et 2 (Tihange 1 ne rapporte plus rien), le montant total est même de 680 millions d’euros.
- Le nucléaire belge est donc une activité toujours rentable. Au niveau d’Engie, l’activité nucléaire a rapporté 970 millions d’euros au géant énergétique français en 2021. Pour ce qui est de 2022, la Creg table sur des bénéfices compris entre 1,26 et 1,44 milliard d’euros.
L’essentiel: qu’est-ce que cela change dans les négociations avec Engie pour la prolongation de Doel 4 et Tihange 3 ? La Belgique peut-elle se montrer gourmande pour taxer les surprofits ?
- Ce rapport de la Creg a fait réagir le président du PS, Paul Magnette, sur les réseaux sociaux: « Plus de 3 milliards de bénéfice pour Engie en 2021/2024 selon la Greg. Je demande à la ministre de l’Énergie de recalculer la rente nucléaire en fonction de ces nouveaux chiffres. Et de capter ces surprofits afin de financer des mesures sociales pour les ménages. »
- Georges-Louis Bouchez, qui a souvent été seul face au vent dans ce dossier, n’a pu s’empêcher de réagir cyniquement: « Heureusement qu’on a gardé le nucléaire pour pouvoir le taxer, n’est-ce pas ? Si le débat avait été clos, il n’y aurait pas eu un euro à récupérer… »
- Beaucoup placent la Belgique dans une position de faiblesse par rapport à Engie. De fait, le géant français demandait au gouvernement de prendre une décision définitive sur le nucléaire en 2020. En donnant son feu vert pour prolonger les deux réacteurs les plus récents dans la dernière ligne droite, la Vivaldi n’a plus toutes les cartes en main. Elle est en tout cas dans le rôle de la partie qui demande, et pas la partie à convaincre.
- Cela dit, on l’a vu, le nucléaire reste une activité extrêmement rentable en Belgique. Interrogé sur la stratégie à adopter face à Engie, ce matin sur LN24, Georges-Louis Bouchez se montre plus optimiste: « Ce n’est pas Engie qui va décider. Il faut arrêter de faire croire qu’Engie pourrait nous imposer n’importe quelle condition (…). Je ne comprends d’ailleurs pas comment des gens de gauche, qui nous expliquent toujours : ‘l’État, l’État, l’État…’, se disent aujourd’hui que c’est une multinationale française qui devrait décider du mix énergétique de la Belgique. »
- Le président du MR y voit une stratégie délibérée des écologistes: « Les Verts et la ministre de l’Énergie font tout pour complexifier [le dossier], et pour rendre le plus difficile possible la prolongation du nucléaire. Aujourd’hui, les Verts font le jeu d’Engie. En rendant les choses aussi difficiles, ils permettent à Engie de fixer le prix d’une prolongation. J’invite les Verts à respecter l’intérêt de la Belgique et à trouver des solutions, plutôt que mettre en avant les difficultés. »
- La négociation avec Engie aura lieu le 31 mars. Et la taxe sur les surprofits sera certainement une variable d’ajustement. D’un côté, la rentabilité du nucléaire facilitera les négociations, car tout le monde devrait y trouver son compte. Mais la Belgique peut-elle se montrer plus gourmande ? Le premier problème de la Vivaldi est d’ordre juridique: lors de la prolongation pour dix ans de Doel 1 et 2, la taxe nucléaire a été renégociée sous le gouvernement Michel. Et elle ne peut être modifiée selon les modalités de l’accord.
Ailleurs en Europe : la France dit non à la taxation des surprofits des géants de l’énergie.
- Bien que la décision revienne à chaque État, Bruxelles a autorisé les États membres à taxer les surprofits des géants de l’énergie. De par les prix élevés, ils ont engrangé d’énormes bénéfices. Un surprofit de 200 milliards d’euros, estime même l’Agence internationale de l’énergie. Cette manne financière pourrait servir à soulager la facture des ménages. Mais la France ne suivra pas cette voie.
- Taxer les géants de l’énergie ? Pour la France ce sera non, a confirmé Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement français, sur Europe 1.
- « Bruno Le Maire avait indiqué que cette option n’avait pas été retenue. Nous, ce que l’on souhaite, c’est que tout le monde participe à l’effort et qu’évidemment, une entreprise, dès lors qu’elle engrange des bénéfices, doit participer à l’effort. C’est ce qu’on a demandé y compris aux groupes pétroliers. »
- « Notre objectif (…) c’est aussi de maintenir l’attractivité pour notre pays, poursuit Gabriel Attal. On est constant depuis 2017 en n’augmentant pas les impôts, en ne créant pas de taxes. C’est comme ça que la France est redevenue le pays le plus attractif d’Europe pour les investisseurs étrangers. »
- Le gouvernement De Croo a déjà entériné trois accords pour soulager la facture des ménages pour un coût total de 3 milliards d’euros, en partie financé par les surprofits que réalise aussi l’État via la taxation.
- Le cas de la France est un peu différent. D’abord, la France est actionnaire d’Engie à hauteur de 25% et d’EDF à hauteur de 80%. Ce qui lui laisse une marge de manoeuvre plus importante. En septembre dernier, le gouvernement de Jean Castex a par exemple décidé de geler les prix du gaz et de limiter les prix de l’électricité, et ce, jusqu’au printemps 2022. Ces mesures lui coûteront 8 milliards d’euros. Mais en taxant les surprofits des géants de l’énergie, la France, en tant qu’actionnaire, toucherait également à ses bénéfices. La double peine.
- En Europe, seule l’Italie, et dans une moindre mesure l’Espagne, ont franchi le pas d’une taxation supplémentaire des surprofits en Europe. Mais d’autres capitales pourraient suivre. Le président du Conseil, Mario Draghi, a décidé de prélever une surtaxe de 10 % sur les bénéfices des grandes sociétés de l’énergie réalisés entre octobre 2021 et mars 2022. L’Espagne a, elle, dû faire quelque peu marche arrière après de grandes annonces à l’automne.
- En Allemagne, la question est aussi sur la table, mais la coalition entre les socialistes, les Verts et les libéraux n’a pas encore franchi le pas. Le gouvernement allemand est traversé par les mêmes problèmes qu’en Belgique: la diversité de la coalition amène des points de vue différents sur les décisions à adopter.
- Rappelons que lors du Sommet européen de ce jeudi et vendredi, plusieurs capitales européennes, dont les pays du Sud de l’Europe, la France et la Belgique, plaideront pour plafonner les prix du gaz sur les marchés. Alexander De Croo plaide aussi pour découpler les prix du gaz des prix de l’électricité. Comme souvent, les pays dits « frugaux » s’y opposent. Il faut laisser faire le marché, répondent-ils.
Groen remanie sa direction : après 8 ans, Meyrem Almaci passe le flambeau
- Meyrem Almaci (46 ans) quitte la présidence de Groen. Après 8 ans, elle passe le flambeau. C’est l’une des plus anciennes présidentes du paysage politique belge qui s’en va.
- Un petit soulagement traverse le parti écologiste, surtout parmi les ténors du parti. Après huit ans, ils auront enfin un nouveau leader. Car Almaci, qui a été réélue en 2019 après un vote très serré, était quelque peu contestée en interne.
- Elle est arrivée au pouvoir en 2014, après une élection contre Elke Van den Brandt (Groen), l’actuelle ministre bruxelloise de la Mobilité. Toute la direction du parti s’était ralliée derrière la candidate bruxelloise, mais Almaci a gagné contre toute attente. Cette solitude au sein de son propre parti a continué à caractériser son chemin tout au long de sa présidence. En 2018, elle a hésité à se présenter à Anvers, laissant finalement cette tâche à son prédécesseur Wouter Van Besien, qui a lamentablement échoué.
- En 2019, l’histoire s’est répétée, et c’est Björn Rzoska qui pouvait cette fois être considéré comme le candidat de l’establishment, du sommet du parti. Mais lui aussi a mordu la poussière face à Almaci, qui a pu convaincre une nouvelle fois la base. Almaci a toujours maintenu son parti sur un cap de gauche ferme, combiné à un écologisme traditionnel.
- Almaci peut être considérée comme l’une des architectes de l’actuelle coalition Vivaldi. Elle a ramené son parti au gouvernement après 20 ans dans l’opposition, et a choisi des noms surprenants : ce n’est pas Kristof Calvo, mais Petra De Sutter qui est devenue vice-première ministre. Aujourd’hui, deux ans plus tard, la ministre des Entreprises publiques et des Télécommunications est considérée comme un choix très solide : elle fait plus que tenir son rang. C’est finalement la ministre avec la meilleure expertise, Tinne Van der Straeten, qui a fait l’objet de nombreuses critiques.