La Vivaldi est confrontée à un examen final, avec trois dossiers majeurs toujours en suspens : Engie, les pensions et la réforme fiscale. Dans l’immédiat, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) doit s’efforcer de montrer que Vivaldi « travaille encore », après le succès de son examen du budget. Les négociations avec le géant français de l’énergie ne cessent de grincer : la date limite était initialement fixée à la mi-mars, mais elle s’est entre-temps généreusement écoulée. Il est question de gros sous : à partir de quel montant Engie verra-t-il sa facture d’assainissement plafonnée ? Pour les Verts, il s’agit d’un dossier essentiel, mais ont-ils vraiment la main sur les négociations ? Par ailleurs, dès cette semaine, les négociations sur la réforme fiscale commencent. Le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (cd&v), a placé la barre très haut en proposant un tax shift total de 6 milliards. L’année dernière, lorsque l’ensemble de la Vivaldi avait décidé de mettre en œuvre cette réforme fiscale, le montant était pourtant beaucoup plus faible. Entretemps, les libéraux, les verts et les socialistes s’opposent sur la manière de mettre en œuvre ce transfert. Les pensions suivront : là aussi, une avancée est attendue, sous la pression de l’Europe.
Dans l’actualité : un accord avec Engie va-t-il enfin tomber ?
Les détails : « Le dossier bat son plein, et nous n’allons pas nous laisser faire », entend-on chez les Verts. Au siège de Groen, on s’agace des partenaires de la coalition, qui veulent un accord rapide.
- « Bien sûr, Engie veut aussi un accord. Ils y ont tout intérêt. Il ne faut plus d’incertitude sur la facture. Et si les actionnaires s’aperçoivent soudainement que cette facture a été historiquement sous-estimée, quel sera l’impact sur le cours de l’action ? » Des sources haut placées au sein de la Vivaldi sont cependant confiantes : les choses bougent chez le géant français de l’énergie.
- Plus tôt, des nouvelles positives ont également émanées du 16 : par exemple, lors d’un dîner d’adieu organisé la dernière semaine de mars pour Etienne Davignon, au prestigieux hôtel Solvay de Bruxelles, une « percée » aurait été réalisée avec la grande patronne d’Engie, Catherine MacGregor. Pour le Premier ministre, l’ordre des dossiers jusqu’à l’été est clair : d’abord Engie, ensuite les pensions et enfin la réforme fiscale.
- Le temps presse : les vacances de Pâques sont terminées (en Flandre) et il n’y a toujours pas d’accord avec les Français. Pourtant, l’accord était initialement prévu pour la fin de l’année 2022, mais il n’a pas abouti. Ensuite, c’était censé être pour la mi-mars, mais ce délai n’a pas non plus été respecté.
- Que le dossier provoque des tensions au sein de la Vivaldi n’est pas une surprise : l’énergie nucléaire reste très sensible, tant pour les Verts que pour le MR. Groen et Ecolo ont déjà dû avaler la prolongation de Doel 4 et Tihange 3, et ils ne veulent plus rien concéder face aux nouvelles exigences d’Engie. Les Français veulent des certitudes sur la facture finale des centrales nucléaires : ils exigent un plafonnement des coûts de l’élimination et du stockage des déchets. Un coup porté aux Verts, qui ont toujours dit que « le pollueur paierait ».
- Il s’agit de négociations à plusieurs milliards d’euros, avec un énorme impact pour l’avenir de notre pays. La ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), a elle-même évoqué des montants allant jusqu’à 41 milliards d’euros. Mais l’énergéticien français ne serait disposé qu’à mettre 20 milliards d’euros sur la table.
- Chez les Verts, l’exaspération est grande, à propos des « présidents de parti qui veulent organiser une vente rapidement, juste pour avoir un accord dans les plus brefs délais ». Georges-Louis Bouchez (MR) est clairement visé.
- « Engie a réalisé des bénéfices grâce à l’énergie nucléaire pendant des décennies. Il n’est pas question que la facture des déchets, sur laquelle nous alertons depuis 40 ans, soit ensuite payée par le contribuable belge. Pas aujourd’hui et pas non plus pour la génération de mes filles », a déclaré Jeremie Vaneeckhout, le coprésident de Groen, hier sur VTM.
- Mais Groen a-t-il vraiment la mainmise sur le dossier ? « Ce n’est pas Van der Straeten qui est dans le cockpit, ce dossier est entièrement entre les mains du Premier ministre », a déclaré une source bleue. Bientôt, lorsque la poussière retombera inévitablement et que l’accord sera visible, cette discussion éclatera également : qui a vraiment négocié, avec les Français ? Et qui peut y laisser des plumes ?
Coup d’envoi : les discussions sur la réforme fiscale débutent cette semaine. Il y a eu des escarmouches préliminaires dans les médias.
- Melissa Depraetere, chef de groupe de Vooruit à la Chambre, a donné un 7 sur 10 à la Vivaldi, en guise de bulletin, dans De Zondag. Mais un énorme tacle a immédiatement suivi : « Sans le président du MR, Georges-Louis Bouchez, le 7 aurait été un 9. J’en suis sûre. Il crée de l’amateurisme dans l’équipe. C’est Bouchez qui freine beaucoup de réformes, jusqu’à l’abrutissement. »
- Et dans la foulée, Vooruit a mis les choses au point, sur ce qu’ils attendent encore de la réforme fiscale : elle doit arriver, quoi qu’il advienne, et « si nécessaire, nous attacherons Bouchez à un arbre ». Ce faisant, la députée a insisté sur le fait qu’il fallait « taxer davantage les grandes fortunes ». Cela pourrait se faire par le biais « des revenus locatifs ou des revenus issus des actions », a déclaré Depraetere, qui a immédiatement évoqué un vieux cheval de bataille socialiste : un registre des patrimoines, qui devrait « donner une bonne vue d’ensemble de la richesse » dans notre pays.
- L’approche du 1er mai est claire : la surenchère à gauche est grande. Car Vaneeckhout a également parlé de « s’attaquer au patrimoine », dans son interview à VTM dimanche. Un week-end plus tôt, le vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS) avait tracé une autre ligne : tout nouvel effort budgétaire du gouvernement fédéral devrait se faire sur de nouvelles recettes plutôt que sur les dépenses. À savoir : de nouveaux impôts, par exemple « une taxe plus élevée sur les comptes-titres, sur les opérations boursières ou sur le boni de liquidation lors de la dissolution d’une société ».
- A droite, il était impossible de ne pas réagir. Lors de l’émission dominicale sur la VRT De Zevende Dag, Alexia Bertrand (Open Vld) a pu montrer que son sang était bleu foncé : « Si vous avez des dépenses publiques qui représentent 54% du PIB, vous devez absolument réduire les dépenses. C’est comme si un médecin avait un patient qui saigne et qu’il lui donnait plus de sang, sans arrêter la perte de sang. C’est absurde ».
- Pour une fois, Bertrand a également défendu son ancien chef de parti, Georges-Louis Bouchez : « Il a été un allié lors du dernier examen budgetaire ». Selon elle, il vaudrait mieux que le président du PS, Paul Magnette, et le président de Vooruit, Conner Rousseau, « pique-niquent ensemble sous un chêne de la sagesse, pour parler des réformes ».
- Ce n’était visiblement pas l’avis de Depraetere qui estime que « l’on peut faire plus avec la N-VA de Bart De Wever qu’avec le MR de Bouchez ». Le Montois en a profité pour s’attaquer une nouvelle fois au « pôle nationaliste de gauche qui veut diviser le Pays et continuer à gaspiller l’argent que l’on n’a pas… Voilà l’équilibre de l’alliance N-VA-PS. «
- Le climat n’est donc pas exactement serein, alors que les discussions entre les cabinets commencent cette semaine sur la refonte fiscale.
L’essentiel : en réalité, une telle réforme fiscale ne pourrait s’élever qu’à 900 millions d’euros. Van Peteghem a misé haut, pour atterrir plus bas.
- L’entourage du vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V) n’a pas de leçon à recevoir en matière de communication. Alors que rien n’est encore acquis en matière de réforme fiscale, le ministre des Finances a déjà l’image d’un spécialiste en la matière, qui tient absolument à cette réforme.
- Avant les vacances de Pâques, Van Peteghem a expliqué ses plans à la presse et aux partenaires de la coalition. Au total, ses réformes comprennent un « shift » de 6 milliards d’euros, de nouvelles taxes, mais aussi et surtout des réductions de l’impôt sur le travail : c’est ce dernier point qui est au cœur du débat.
- Seulement, dans les plans de la Vivaldi, lors de la formulation du budget 2023 à l’automne 2022, un accord est tombé autour d’une tout autre ambition. En effet, les notifications des décisions parlent d’un « effort net au moins égal au montant nécessaire pour supprimer la partie restante de la cotisation spéciale de sécurité sociale (CSSS)« .
- Cette CSSS est un vieil impôt, datant de l’époque de Jean-Luc Dehaene (cd&v), que Van Peteghem a déjà partiellement supprimé : 300 millions ont déjà été rabotés. Il reste donc une marge de 900 millions d’euros à supprimer. En d’autres termes, un transfert fiscal de 900 millions d’euros, ce que tous les partenaires de la Vivaldi ont accepté en octobre.
- C’est bien moins que les 6 milliards dont parle Van Peteghem. De plus, lors du dernier examen sur le budget, plusieurs propositions de la réforme à 6 milliards d’euros ont déjà été anticipées. En d’autres termes, la réforme potentielle démarre avec moins de cartouches dans son chargeur : elles ont déjà été tirées pour remettre le budget en selle. Compte tenu des énormes divisions idéologiques et des élections qui ne sont plus très loin, il n’est pas très difficile d’imaginer que le résultat final sera beaucoup plus modeste que la révolution attendue.
- « Notre proposition montre clairement que c’est vraiment possible, si tout le monde le veut vraiment », dit-on finement du côté du cabinet de Van Peteghem. Quoi qu’il arrive, le ministre aura montré qu’il aura tout fait pour présenter une réforme ambitieuse. Sous-entendu : que ceux qui veulent une réforme au rabais prennent leurs responsabilités et le disent.
À noter également : Il y a aussi beaucoup de choses à dire sur les pensions. Comme la nouvelle prépension (RCC) qui ne fonctionne pas.
- Et puis il reste le dossier des pensions, qui était pourtant le premier dossier sur lequel la Vivaldi s’était accordée. En début de législature, en octobre 2020, les socialistes étaient triomphants, car ils avaient reçu la garantie d’augmenter la pension minimale à 1.500 euros nets. Trois ans plus tard, ce trophée reste intact, et dépasse même les attentes. Désormais, du côté du PS, on se demande logiquement pourquoi il faudrait en faire plus.
- Mais entretemps, l’Europe a mis la pression : ils veulent que chaque nouvelle réforme des retraites des Etats membres soit au moins budgétairement neutre. Par rapport à la situation de 2020, donc. Cela signifie qu’il devrait y avoir une correction de plus de 1 % du PIB sur ces pensions.
- Politiquement, c’est irréalisable, mais la pression pour faire « quelque chose » est et reste énorme. De nouveaux avertissements ont été émis, y compris de la part de l’Agence fédérale de la dette, qui a mis en garde contre les règles budgétaires européennes. Elles s’appliqueront à nouveau à partir de l’année prochaine. Le déficit doit être à nouveau inférieur à 3 % du PIB d’ici 2026, mais même dans le scénario le plus optimiste, cela signifie des économies de pas moins de 12 milliards d’euros : le déficit est désormais de 5,1 % du PIB.
- Dans le même temps, les défenseurs de la réforme des retraites ont des munitions. Par exemple, le professeur Stijn Baert (UGent) est venu expliquer dans presque tous les médias ce matin que l’actuel régime du chômage avec complément d’entreprise, rebaptisé RCC, ne fonctionne pas. Il n’y a pratiquement pas de réemploi des salariés âgés, ce qui était pourtant l’intention : à peine 0,62 % reprennent le travail, selon l’enquête. Ou pour le dire autrement : en pratique, le RCC n’est pas différent de la prépension d’antan.
- Ces chiffres ne sont pas surprenants : le patron du syndicat Marc Leemans (CSC) lui-même a commencé à utiliser ce RCC, avec le message très simple que cela lui permettrait d’arrêter de travailler. Les chiffres de Baert lui donnent en fait raison : tous ceux qui prennent la RCC comme un stratagème s’arrêtent de facto et prennent en pratique leur retraite.
- Les projecteurs sont donc à nouveau braqués sur ce régime, qui empêche les personnes âgées de rester sur le marché du travail : c’est pourtant une condition pour atteindre un taux d’emploi de 80 %, comme aux Pays-Bas, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Les gens devront inévitablement travailler plus longtemps, mais politiquement, c’est un tabou absolu pour le PS et Ecolo.