La Norvège est non seulement considérée comme le pays le plus développé, le plus heureux et le plus démocratique du monde, mais elle est aussi l’un des plus écologiques. Mais cette façade idyllique pourrait faire oublier que ce pays est l’un des plus gros exportateurs de pétrole et de gaz, et à ce titre, l’un des plus gros pollueurs du monde.
La Norvège peut se targuer de faire partie du club des nations les plus en avance sur le plan des énergies renouvelables : la quasi-totalité de son électricité provient de sources renouvelables (de l’hydroélectricité, pour l’essentiel). C’est aussi le pays où l’adoption des voitures électriques est la plus grande. Les Norvégiens sont aussi très conscients de l’écologie,et l’association environnementale Future in our Hands compte pas moins de 30 000 adhérents.
Le diable se cache dans les détails
Mais ces réalités ne peuvent occulter un fait : la prise en compte des exportations de gaz et de pétrole dans l’équation change totalement la donne. Si l’on ajoutait les 500 millions de tonnes de CO2 correspondant aux émissions de gaz à effet de serre que ces matières exportées produisent, aux 50 millions de tonnes produites par l’économie domestique, l’empreinte écologique de la Norvège passerait de l’une des plus faibles des économies de l’OCDE à la plus forte, et de loin.
D’autres pays exportent de grandes quantités de combustibles fossiles, mais le rapport entre leur taille et le volume de ces exportations est moins défavorable que celui de la Norvège. Par exemple, l’empreinte écologique du Canada augmenterait de 115 %, tandis que celle de l’Australie serait triplée. Mais la Norvège voit son empreinte décupler.
Le devoir moral
Cette prise en compte devrait théoriquement entrer en ligne de compte dans la perception du devoir moral que les nations ont à l’égard du combat contre le réchauffement climatique. Or, « La Norvège n’assume aucune responsabilité pour ses émissions exportées », explique Robbie Andrew, chercheur au Centre de recherche internationale sur le climat d’Oslo. « J’éprouve des difficultés à trouver une analogie qui n’énerve personne, mais c’est comme vendre des armes à un pays en guerre qui commet des atrocités » et refuser la responsabilité parce que vous n’être pas celui qui appuie sur la gâchette vous-même ».
L’exemple norvégien montre surtout que dans une économie mondialisée, les données d’émission nationales ne sont pas très représentatives. Les États-Unis en fournissent une seconde illustration. La production de pétrole et de gaz de schiste a permis au pays de substituer le charbon de ses centrales par du gaz naturel, bien moins polluant. Mais en contrepartie, le pays a exporté plus de charbon très polluant au reste du monde.
Un paradoxe unique
Toutefois, la Norvège est confrontée à un paradoxe unique, car la grande majorité de l a richesse du pays repose sur ses exportations d’hydrocarbures. Le fonds souverain norvégien Oljefondet est le plus grand fonds souverain du monde avec un portefeuille qui dépasse les 1000 milliards de dollars (environ 830 milliards d’euros).
Cette richesse a été cruciale pour permettre à la Norvège de se doter de l’un des meilleurs États providence du monde, et la majorité des Norvégiens ne veulent pas renoncer à cela. Les défenseurs de l’économie norvégienne rappellent que cette manne permet au pays d’investir des centaines de millions de dollars dans des programmes de reforestation au Brésil et en Indonésie, notamment.
Une future crise existentielle
Ce débat risque de prendre graduellement de nouvelles proportions, affirme Christoffer Ringnes Klyve, qui préside Future in Our Hands: “Le dilemme moral pourrait se muer en une crise existentielle totale pour l’économie norvégienne. Ironiquement, en étant l’un des leaders mondiaux de l’industrie des voitures électriques, nous menons une tendance qui pourrait miner à terme le marché du principal produit à l’exportation de la Norvège”.