L’approche des élections donne-t-elle à nos élus un sursaut de clairvoyance ? Ne boudons pas notre plaisir : après Pierre-Yves Jeholet (MR), qui a reconnu que la Fédération-Bruxelles dont il est le Ministre-Président était en situation de quasi-faillite, voilà qu’on apprend que les trois partis de la majorité – PS, Ecolo et MR – ont négocié en secret pour rationaliser l’institution, en la débarrassant de certaines de ses compétences vers les Régions. Sauf que cette négociation, qui n’a pas encore totalement abouti, arrive fort tardivement dans la législature. Le Soir apprend que cela devrait déboucher sur « une résolution », plutôt qu’un « décret ». À charge pour les suivants de se saisir de cette base de travail.
Dans l’actu : PS, Ecolo et MR ont négocié de juillet 2022 à avril 2023 pour une réforme des institutions francophones.
- C’est la réforme qu’on attendait plus. La Fédération Wallonie-Bruxelles ou Communauté française est le monstre du loch Ness de la politique francophone : tout le monde en parle, mais personne n’a vu le début d’une esquisse de réforme.
- Est-ce sur le point de changer ? Alors qu’ils se parlent à peine, les présidents du PS et d’Ecolo d’un côté, et le président du MR de l’autre, ont négocié, avec leurs sherpas, une feuille de route, avec beaucoup de points de convergences et quelques éléments de blocage qui persistent, apprend Le Soir.
- Qu’ont négocié Paul Magnette, Jean-Marc Nollet et Georges-Louis Bouchez ? Tout d’abord, la Communauté française ne serait pas supprimée comme le souhaiteraient certains.
- L’institution verrait plutôt une partie de ses compétences migrer vers les Régions wallonne et bruxelloise : on parle de la fonction publique, de l’aide à la jeunesse et la petite enfance, de l’égalité des chances, de la santé et de la formation.
- Il resterait alors à la Communauté française quatre compétences : l’enseignement, la recherche, la culture et l’audiovisuel.
- Et le sport ? Ça coince encore. Il n’y aurait pas encore d’accord : PS et Ecolo veulent refiler la compétence aux Régions mais le MR bloque, en justifiant son choix par l’existence des fédérations, qui sont francophones et flamandes et donc dépassent le cadre des Régions.
- Ensuite, il est question de diminuer le nombre de ministres et de parlementaires : tous les partis s’entendent là-dessus.
- Pour les ministres, il pourrait s’agir de ministres à double casquette. Concrètement, les ministres régionaux se verraient confier une compétence communautaire. Seul un Ministre-Président demeurerait à la tête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec en charge un gros portefeuille, comme celui de l’enseignement.
- Pour ce qui est des parlementaires, le but est de réduire leur nombre de 94 à 60. Ces derniers débattraient 1 semaine sur 4 pour la Communauté, plutôt qu’1 semaine sur 2 comme actuellement. Les séances ainsi que les commissions parlementaires pourraient se faire dans la même enceinte, pour des économies de coût évidentes.
- Un gros point d’interrogation reste Bruxelles et ses trois commissions communautaires, une francophone, une flamande et une commune. Une compétence communautaire transférée irait-elle vers ces commissions ou vers la Région bruxelloise ? Les présidents de parti sont en faveur de la Région, mais ça demande de trouver un accord avec les flamands, ce qui ouvre inévitablement un front communautaire Nord/Sud. Les francophones s’en méfient.
L’essentiel : n’est-ce pas un sursaut trop tardif ?
- Poser la question est y répondre. Ces négociations devraient se traduire par une feuille de route, ou mieux, par une résolution qui pourrait ensuite être discutée dans les assemblées concernées. Mais il ne s’agira pas d’un décret, ferme, ce qui était pourtant l’objectif initial.
- Autrement dit : il parait impossible de mettre en place cette réforme d’ici la fin de la législature, même si certains y croient encore. Le but principal est de fournir une base de travail pour le prochain gouvernement, mais une base de travail forcément pas contraignante.
- Dans l’opposition, on s’oppose. DéFi a clairement fait son choix, et ne veut pas dépecer la Communauté française et le lien qu’elle établit entre la Wallonie et Bruxelles. Coup sur coup, le président des amarantes, François De Smet, a réagi négativement :
- « Moins de ministres, c’est souhaitable – il suffit de composer le gouvernement francophone avec les ministres régionaux wallons et bruxellois. Ok, on le plaide aussi. Par contre, s’imaginer qu’on va faire des économies en divisant l’aide à la jeunesse ou la petite enfance, c’est une grave erreur. Tous les précédents (ex : allocations familiales) le prouvent : diviser conduit à des surcoûts d’échelle. Wallons et Bruxellois doivent intensifier leurs liens, pas les délier. »
- Et d’ajouter : « Pensée à tous les travailleurs de l’enfance, de l’aide à la jeunesse etc., qui se voient plonger dans l’incertitude. Cette régionalisation est une menace sur les emplois et la stabilité de secteurs qui unissent Wallons et Bruxellois. Et sans garantie d’économies, au contraire. »
- La veille, le président de DéFI avait déjà dégainé : « Un tel transfert n’aurait en outre aucun gain financier : l’état financier des régions wallonne et bruxelloise n’a rien à envier à celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et il est largement établi que toute division de ce genre comporte des coûts d’échelle.
- Il est clair que François De Smet veut ici jouer la singularité de son parti, qui s’est historiquement positionné comme le défenseur des francophones. Les visuels sont déjà sur les réseaux sociaux, mais il lui faudra encore prouver, par les chiffres, qu’un transfert des compétences équivaut à « des surcoûts d’échelle » plutôt qu’à des « économies d’échelle ».
- Pour le reste, il n’a pas tout à fait tort : les 3 entités francophones sont en état de quasi-faillite. Mais n’est-il donc pas d’autant plus inaudible de conserver un statu quo ?
- De son côté, le président des Engagés, Maxime Prévot, a regretté que sa formation n’ait pas été invitée à prendre part aux discussions : « Regrettable, malgré notre disponibilité, que la démarche n’ait pas été élargie aux partis francophones constructifs, au-delà du clivage majorité-opposition, alors que le destin francophone est un enjeu collectif et que des majorités spéciales seront requises dans les parlements. »
- Du côté du PTB, Raoul Hedebouw voit dans cette manœuvre de la majorité un arrangement électoral : « On a déjà les prochaines majorités 2024-2029… Et tout ça dans le plus grand secret évidemment… »
- En fait, la question de coalitions miroirs a été évoquée par le président du MR : ce dernier verrait d’un bon œil que la coalition en Wallonie soit la même qu’à Bruxelles et en Fédération, pour faire aboutir la réforme, et, au passage, s’y garantir une place. Ça parait toutefois peu crédible au regard de tout ce qui sépare par ailleurs le PS et Ecolo du MR, et surtout de la ligne de son président, Georges-Louis Bouchez. Les socialistes et les verts ne cachent pas vraiment leur volonté de se passer des libéraux, après 2024, si c’est arithmétiquement possible.