Le duo de négociateurs formé par le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et Tinne Van der Straeten (Groen) n’est pas loin d’un accord avec le géant français de l’énergie, Engie. « Il n’y a pas si longtemps, ils étaient catégoriques : ils ne voulaient plus des centrales nucléaires, ça ne rentrait pas dans leur stratégie. Mais ils ont complètement changé d’avis. Même à Paris, ils veulent maintenant aller plus loin », explique un initié à propos des négociations. Le nouvel impôt sur les surprofits, par lequel la Belgique taxera davantage que le cadre européen, et qui frappera Engie à hauteur de 2 milliards, ne semble pas être un problème : « Ils vont de toute façon nous faire des procès », résonne-t-on au sein du gouvernement. Mais plus intéressant encore, également pour Engie : la porte est désormais grande ouverte pour garder plus de deux réacteurs nucléaires. « Nous avons vraiment poussé », se réjouissent les libéraux, en référence au conclave budgétaire. La question de la sécurité d’approvisionnement, et donc du maintien de plus de deux réacteurs, sera posée au gestionnaire de réseau Elia et à l’organisme de surveillance AFCN : la défaillance de toute une série de centrales nucléaires en France signifie que la Belgique aura besoin de plus de capacité nucléaire, affirment les milieux gouvernementaux.
Dans l’actualité : Garder non pas deux, mais quatre réacteurs nucléaires ?
Les détails : Aux dernières heures des négociations, on a forcé la main des écologistes.
- « Nous allons examiner toutes les options sans tabou, pour assurer l’approvisionnement. Cela peut se faire à la fois en augmentant la capacité d’énergie renouvelable et de l’énergie nucléaire », a expliqué le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), lors de la conférence de presse du gouvernement, après le conclave budgétaire.
- La nouvelle s’est quelque peu noyée dans l’ensemble des chiffres du budget et de toute une série d’autres mesures, mais un homme l’avait déjà très bien remarquée : Georges-Louis Bouchez (MR), qui s’est lancé dans une croisade personnelle pour relancer l’option nucléaire, contre presque tous ses partenaires de coalition à un certain moment. Il semblait ne viser que deux réacteurs nucléaires jusqu’à la fin de 2021, mais depuis la crise énergétique, il en veut ouvertement plus.
- « Une grande avancée est d’avoir fait accepter la possibilité de prolonger plus de deux réacteurs nucléaires puisque le gouvernement reconnaît enfin les risques d’approvisionnement en 2025/2026 et le recours au nucléaire pour couvrir ce risque supplémentaire ! », a déclaré triomphalement Bouchez, après que le premier ministre ait prononcé son discours sur l’état de l’Union à la Chambre.
- Du sel dans la plaie des Verts. Car même du côté de l’Open Vld, en interne, la décision a été célébrée comme une « avancée très significative », que « nous avons quand même poussée. »
- « Il suffit de vérifier les notifications de la réunion : c’est très clairement indiqué », a évoqué une source haut placée au sein de Vivaldi. Le Premier ministre De Croo a mis le dossier sur la table aux premières heures de la matinée de mardi, au milieu de l’épuisant marathon des négociations budgétaires, qui auront finalement duré 26 heures d’affilée.
- « Nous ne voulons plus de situations désordonnées cette fois-ci, comme tout le brouhaha autour de Doel 3, et la tentative frénétique de notre collègue Annelies Verlinden (cd&v) », aurait déclaré un membre du gouvernement. « Nous allons donc maintenant le faire correctement : en posant une question à Elia, le gestionnaire du réseau, à l’organisme de surveillance de l’AFCN, et au régulateur de la CREG. Mais il est clair que l’approvisionnement doit vraiment être assuré. »
- « Bien sûr, c’est très difficile pour les Verts, mais c’était nécessaire. Dans les centrales nucléaires françaises, il y a vraiment eu des lacunes récemment. Cela pourrait devenir inquiétant, si nous ne faisons pas attention », a déclaré une autre source haut placée.
- Sur Radio 1, Petra De Sutter, vice-première ministre de Groen, n’a pu s’empêcher de reconnaître que l’accord avait bel et bien été conclu. « Ce qui a été discuté, c’est que nous ne pouvons pas prendre de risque avec l’approvisionnement et le Premier ministre ira avec Tinne (Van der Straeten, ndlr) pour demander l’analyse d’Elia et de la CREG, pour entamer la conversation et voir s’il y aura un problème dans les années à venir. Et nous n’excluons aucune méthode. Nous sommes sûrs qu’il existe d’autres méthodes, mais si nous devons le faire, nous le ferons, en respectant certaines limites », a-t-elle déclaré.
- Voilà qui contraste avec une récente interview filmée du co-président d’Ecolo pour Sud Info, dans laquelle Jean-Marc Nollet se vantait d’avoir fait fermer 5 des 7 réacteurs : « 70% du parc nucléaire va être fermé, c’est quand même une belle avancée engrangée par les écologistes ! »
L’essentiel : la stratégie de Paris a changé.
- Pour Tinne Van der Straeten (Groen), la ministre de l’Énergie, la décision du gouvernement est particulièrement inconfortable : depuis deux ans, elle assurait en haut lieu que son mécanisme dit du CRM permettrait de fermer toutes les centrales nucléaires et de garantir l’approvisionnement. Par des centrales à gaz, selon les plans de Van der Straeten. Mais celles-ci sont plus problématiques que jamais, en raison des prix élevés, mais aussi des considérations géopolitiques : la dépendance à l’égard de la Russie pose un sérieux problème. À l’avenir, il sera donc extrêmement difficile de continuer à inclure ces centrales à gaz dans les plans visant à garantir l’approvisionnement. D’autant plus que l’obtention de leur licence, notamment auprès du gouvernement flamand, s’est également avérée problématique.
- Mais beaucoup plus fondamentalement, jusqu’à présent, les Verts ont toujours eu un allié silencieux mais très puissant pour fermer le parc nucléaire belge : l’opérateur Engie. Ce géant français, résultat de toutes sortes de fusions d’entreprises de services publics en France, au Royaume-Uni et aussi un petit peu en Belgique, n’a plus du tout misé sur l’énergie nucléaire. Au contraire : les sept réacteurs nucléaires de la Belgique constituaient une anomalie gênante dans sa stratégie commerciale globale et devaient donc être fermés. D’autant qu’à Paris, les responsables politiques belges étaient considérés comme des « partenaires peu fiables ».
- Cette attitude d’Engie à Paris, et d’Engie-Electrabel en Belgique, a aidé les Verts à plusieurs reprises : dans l’hémicycle et dans les studios de télévision, le PDG belge Thierry Saegeman est venu à plusieurs reprises dire avec beaucoup de conviction que « c’était fini », et que la fermeture de toutes les centrales était inévitable.
- Il semble que ce soit en train de changer à Paris: « Il est vrai que jusqu’à récemment, les gens d’Engie ne voulaient rien savoir sur la prolongation des centrales. Mais cette attitude a changé. Engie a finalement fait volte-face et voit maintenant l’intérêt de les maintenir ouvertes plus longtemps », dit-on dans l’entourage du Premier ministre. Ainsi, Groen et Ecolo ont immédiatement perdu leur partenaire silencieux.
- Et plus encore : chez Engie, il y a désormais clairement un intérêt à garder ouverts autant de réacteurs que possible. « Ainsi, la dynamique pourrait s’inverser plus rapidement que les gens n’auraient pu l’imaginer », a déclaré une source gouvernementale.
- Par ailleurs, dans les couloirs de la Vivaldi, certains affirment que le dossier de la prolongation de la période d’exploitation nucléaire est totalement distinct de la dernière taxe sur les bénéfices excédentaires, qui frappera durement Engie. « Ils examinent tous les dossiers les uns après les autres, et non dans leur ensemble », nous a expliqué une source.
- Ce faisant, les milieux gouvernementaux s’attendent à voir arriver une procédure judiciaire. Après tout, le gouvernement fédéral a décidé d’aller au-delà du cadre européen avec cette nouvelle taxe sur les bénéfices excédentaires. Les Verts ont mis sur la table une taxe qui devait rapporter 4,7 milliards. En fin de compte, en partie à cause de la pression exercée par le CD&V, le montant a été raboté à 3 milliards : ils ne voulaient pas trop s’écarter de ce que l’Europe avait prévu, et voulaient simplement se prémunir contre des poursuites judiciaires trop faciles. On appliquerait en fait la règle renforcée de la taxation à 100% au-dessus des 130 euros le MWh de décembre 2022 à juin 2023, mais pour le reste (janvier à novembre 2022 et au-delà de juin 2023), c’est encore l’incertitude, car la proposition de la Commission ne l’encadre pas. « Nous voyons ce qu’il est possible de faire en étudiant plusieurs options », nous explique-t-on au cabinet de la ministre de l’Énergie.
- De toute façon, « vous allez avoir des différends, c’est normal ». C’est un secteur où des milliards sont gagnés, ils peuvent payer plus d’un avocat », a déclaré laconiquement le vice-premier ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit) hier dans Terzake.