Pour la première fois en 190 ans, le contrôle financier effectué par la Cour des comptes scrute le fonctionnement de la Chambre. Le rapport, partagé hier avec les députés, révèle un état désastreux d’une institution gravement désuète : l’absence d’une double comptabilité, l’utilisation d’Excel au lieu de logiciels de comptabilité spécialisés, le manque de budget pluriannuel, des marchés publics non conformes aux règles, et certains comptes bancaires ne pouvant être suivis que par des relevés papier. Plus alarmant encore, l’inexistence d’un code de déontologie ou d’un cadre clair pour la détection d’abus potentiels. La Cour des comptes précise toutefois qu’il n’y a pas d’indications de malversations ou de fraude, mais que le risque existe. L’opposition réagit fortement : « Cela ne relève pas d’une gestion professionnelle », déclare la N-VA. De manière surprenante, les leaders de la majorité partagent cet avis : « Des réformes sont urgentes. » La Cour des comptes a formulé plus d’une centaine de recommandations en ce sens. Reste à voir si ces changements sont réalisables au cours de cette législature. La discussion publique du rapport par la Chambre est prévue pour mardi prochain.
L’actualité : Un audit financier accablant pour l’organe démocratique suprême de la Belgique.
Le détail. Tous les députés interrogés sur le rapport s’accordent sur un point : des changements sont nécessaires. La Cour des comptes, sans mâcher ses mots, a dressé dans un rapport de 83 pages un portrait détaillé des faiblesses à corriger. Une modernisation en profondeur s’avère indispensable.
- « C’est une première dans l’histoire de la Chambre : son fonctionnement a été examiné par des experts externes », ont expliqué les fonctionnaires de la Cour des comptes hier aux membres du Bureau de la Chambre, qui rassemble la plupart des députés influents.
- La tâche n’était pas simple pour la Cour des comptes, étant donné leur dépendance financière envers la Chambre. Ils ne sont pas venus pour pointer du doigt les responsables : « Tous ceux qui ont été aux commandes, en coulisses ou en public, au cours des 190 dernières années, fonctionnaires comme politiciens, partagent la responsabilité de la situation actuelle », a affirmé la Cour des comptes.
- La réunion d’hier, tenue à huis clos, a rapidement fuité, et le rapport est désormais accessible en ligne.
- Cette analyse fait suite à la crise qu’a traversée la Chambre au printemps, concernant les pensions des anciens fonctionnaires et présidents, révélant des erreurs dans le calcul de dizaines de pensions.
- Le rapport ne se concentre pas spécifiquement sur cette problématique des pensions, mais met plutôt en lumière une institution obsolète et une culture politique défaillante en termes de gestion et de direction de la Chambre.
Littéralement : le rapport est un musée des horreurs.
- Il n’y a pas de cadre réglementaire clair : « La Chambre ne dispose pas d’un code déontologique applicable à l’ensemble du personnel », soulignent à plusieurs reprises les auditeurs. « La question de savoir si les collaborateurs politiques sont soumis au code déontologique des députés suscite des interprétations divergentes. Les dispositions sur l’intégrité ne sont d’ailleurs pas évaluées. »
- Pire encore, la Cour des comptes indique que les députés ne sont pas en mesure de contrôler efficacement : « D’après les débats et rapports de la Chambre, il apparaît que les comptes sont souvent fournis aux membres peu de temps avant leur examen, limitant ainsi la possibilité de les consulter et, par conséquent, de poser des questions pour des éclaircissements supplémentaires ou pour une discussion approfondie. »
- De façon plus explicite : « Pour l’exercice 2022, les députés n’ont reçu les documents que 21 heures à l’avance. Un tel délai rend difficile pour eux l’examen minutieux et l’analyse des comptes. »
- La gestion financière est complexe :
- « La Chambre dispose de quatorze comptes courants, d’épargne et à terme répartis sur quatre institutions financières », note la Cour des comptes.
- Il est impossible d’obtenir une vue d’ensemble de ces comptes pour diverses raisons : certains ne figurent pas dans la comptabilité, d’autres ne sont pas inclus dans les rapports.
- Plus étonnant encore : « Pour certains comptes, les relevés bancaires n’étaient disponibles qu’en format papier, et non numérique, constituant un obstacle à des contrôles efficaces. »
- Il y a clairement une défaillance dans la transmission des informations comptables : « Le service de comptabilité constate que les enregistrements effectués par le service des ressources humaines contiennent des erreurs récurrentes. Aucun rapport n’est actuellement réalisé sur ces erreurs. »
- De plus, on constate une utilisation abusive d’une faille pour embaucher davantage de personnel : « En théorie, le personnel temporaire devrait être engagé pour une durée limitée. En réalité, certains employés temporaires sont embauchés pour une durée indéterminée et travaillent pour la Chambre depuis plus de cinq ans. » Et encore : « Les dépenses pour le personnel temporaire ont augmenté depuis 2020 (+44 %), indiquant un besoin récurrent. »
- Concernant le recrutement des interprètes, des irrégularités sont également observées : « Les services des interprètes externes sont facturés par des entreprises ou des travailleurs indépendants et sont soumis à la TVA. Cette manière de facturer est incompatible avec un contrat de travail. »
- Le rapport met en lumière des infractions flagrantes aux règles des marchés publics :
- Par exemple, pour la rénovation des cuisines de la Chambre, il y a eu un manque de recherche de marché adéquate, comme le mentionne le rapport. « Malgré le nombre important d’entreprises consultées, une seule offre a été soumise pour le premier lot et seulement deux pour le second. »
- Le projet d’installation de logiciels, la mission « Arbor », a connu une dérive majeure : « Initialement attribuée en 2003 pour 35 355 euros hors TVA, la mission a finalement coûté au moins 550 000 euros hors TVA en 2023. »
- « Pour la mission Food & Horeca, soumise à une procédure de publication européenne, le contrat a été conclu le lendemain de la décision d’attribution par le Bureau, sans respecter le délai minimum de quinze jours (période d’attente). »
- La conclusion sur l’ensemble de ces éléments est donc sévère : « Environ 700 000 euros ont été dépensés sans l’accord préalable du Bureau, qui est l’organe décisionnel de la Chambre pour les dépenses supérieures à 207 000 euros. »
- La Cour des comptes conclut clairement : plus de 100 recommandations concrètes sont nécessaires pour moderniser l’ensemble du fonctionnement et assurer un meilleur contrôle.
- Les services de la Chambre ont déjà réagi, soulignant que beaucoup de ces constats « ne les surprennent pas ». « Les recommandations de la Cour des comptes vont aider la Chambre à renforcer ses plans d’action existants et à définir les priorités pour les années à venir », a répondu Jan Deltour, greffier de la Chambre, en charge du fonctionnement administratif.
La réaction politique : le rapport est un véritable électrochoc. Désormais, tous appellent à une « amélioration ».
- Comme on pouvait s’y attendre, les réactions du PTB et du Vlaams Belang sont particulièrement tranchantes : « La dépense excessive de la Chambre est emblématique du système belge défaillant », affirme Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang. « Cela devrait servir d’alerte, mais la culture politique belge est trop corrompue pour se réformer elle-même. Si le parlement fédéral était une entreprise, il aurait fait faillite depuis longtemps. C’est un microcosme de la Belgique : chacun a des compétences, mais personne n’assume de responsabilités. »
- « Le scandale des pensions supplémentaires, notamment celles de Siegfried Bracke (N-VA), n’était que la partie visible de l’iceberg », déclare Sofie Merckx, cheffe du groupe PTB à la Chambre. Le PTB exprime aussi son indignation quant au fait que les pensions n’ont pas été examinées : « Qui a ordonné à la Cour des comptes de se taire sur les privilèges des politiques ? »
- Du côté de la N-VA, Sander Loones a minutieusement analysé le rapport : « Nous nous dirigeons vers une tempête politique. Il est évident que la Chambre n’est pas prête à jouer un rôle stabilisateur dans cette tourmente. Dans des moments incertains, les institutions démocratiques doivent apporter une certaine sécurité. Ce n’est possible que si elles sont gérées de manière affutée et professionnelle. Le fait que la Cour des comptes souligne explicitement la difficulté pour les députés de contrôler les comptes témoigne d’un profond déficit démocratique. »
- Il est également frappant de constater que, même au sein de la majorité, l’indignation est grande, bien qu’elle soit exprimée de manière moins sloganisée. « Ce rapport décrit une institution figée dans le siècle passé, en contradiction avec les principes fondamentaux d’une gestion contemporaine, transparente et efficace », analyse Joris Vandenbroucke, chef du groupe parlementaire Vooruit.
- Il pointe du doigt l’absence de composantes essentielles telles qu’une double comptabilité (obligatoire depuis des années même pour les ASBL), l’utilisation d’Excel plutôt qu’un logiciel de comptabilité, ou l’absence de plan pluriannuel. « Nous avons besoin d’une réforme en profondeur, qui prendra des années. »
- Servais Verherstraeten, chef de groupe du cd&v, acquiesce : « Des réformes s’imposent désormais. » Toutefois, il précise qu’« il n’y a pas eu de fraude ni de malversations. »
- Chez Groen, l’analyse est similaire : « La Chambre doit être gérée de manière plus professionnelle. Certaines mesures doivent être prises durant cette législature, mais il ne sera pas possible de tout résoudre en six mois. Un plan d’action doit être rapidement mis en place, avec un suivi régulier par la Cour des comptes. C’est la seule façon de progresser », explique le chef de groupe Wouter De Vriendt (Groen).
- Pour donner une perspective objective à ce débat, une étude comparative a été commandée il y a plusieurs mois avec des pays européens voisins et d’autres.
Le contexte : la Présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS), semble manquer de compétences tant en communication qu’en gestion.
- La Chambre est administrée par un groupe de fonctionnaires, mais la figure centrale en est bien sûr le Président, et par extension le Bureau, composé de tous les chefs de groupe et les figures de proue des partis, ainsi que le Comité de gestion, où les principaux partis coordonnent et partagent les responsabilités opérationnelles.
- Un constat revient régulièrement, aussi bien de la part de l’opposition que de la majorité : l’actuelle Présidente de la Chambre ne semble pas être à la hauteur des enjeux.
- Au sein du Comité de gestion, où siègent, outre la Présidente Tillieux, Sophie Wilmès (MR), Valerie Van Peel (N-VA), Kristof Calvo (Groen), Tom Van Grieken (Vlaams Belang) et Nahima Lanjri (cd&v), la dynamique est loin d’être fluide. Selon des sources internes, Tillieux serait souvent mal informée sur les détails des dossiers. « Elle a de grandes difficultés à communiquer avec ses chefs de service », affirme un membre. « On dirait qu’elle ne s’intéresse pas vraiment à ces questions », ajoute un autre.
- La critique adressée à Tillieux, celle de laisser les choses suivre leur cours sans prendre les rênes et de ne pas maintenir la cohésion, est de plus en plus fréquente. Cette ambiance tendue, exacerbée par des problématiques pratiques comme les abstentions mutuelles en cas d’absence, a considérablement détérioré les relations entre l’opposition et la majorité.