Le pessimisme prévaut à New York, où se réunissent les dirigeants mondiaux : Macron prononce un discours tonitruant contre la Russie, le patron de l’ONU Gutteres met en garde contre « l’hiver du mécontentement mondial »

Vendredi, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) s’adressera à l’Assemblée générale des Nations unies qui, pour la première fois depuis trois ans, réunit à nouveau les chefs d’État et de gouvernement à New York, cette semaine. L’atmosphère est extrêmement tendue, surtout après que Vladimir Poutine a laissé entendre, hier, que le conflit en Ukraine allait s’intensifier, appelant à la mobilisation des réservistes. La Belgique est venue ici avec un message prudent selon lequel « il n’y a pas que cette guerre », mais il est déjà clair que l’Ukraine domine de toute façon les discussions. Le patron de l’ONU, Antonio Guterres, dans un discours d’ouverture pessimiste, a appelé à plus de coopération internationale, avertissant que « le monde n’est pas prêt à s’attaquer aux problèmes, ensemble ». Le président français Emmanuel Macron a profité de ce moment pour s’en prendre à Poutine et à la Russie. Aujourd’hui, Volodymyr Zelensky, la star du moment, et le président américain Joe Biden s’expriment.

Dans l’actualité : la Russie veut annexer jusqu’à quatre régions de l’Ukraine qu’elle occupe par le biais de référendums fictifs.

Les détails : La guerre en Ukraine entraîne un pessimisme, une crise énergétique et une crise de l’approvisionnement alimentaire. Rarement les dirigeants ont été aussi peu optimistes lors d’une grande réunion de l’ONU.

  • Grande exception : un chef d’État s’adresse aujourd’hui à l’Assemblée générale à New York, sans être physiquement présent : Volodymyr Zelensky. Ce discours, ainsi que celui du président américain Biden, deviendra le point fort de l’ouverture d’une nouvelle année de travail pour l’ONU. Cette traditionnelle Assemblée générale est l’occasion de multiplier les contacts diplomatiques et de maintenir la croyance (provisoire) du multilatéralisme.
  • La Russie s’est farouchement opposée à l’exception accordée à Zelensky, réussissant finalement à persuader six pays de voter contre également : la Syrie, le Bélarus, la Corée du Nord, le Nicaragua, Cuba et l’Érythrée. On a déjà vu une coalition plus relevée.
  • Outre le fait que Zelensky fera l’objet de toute l’attention ce mercredi, l’Ukraine est sous les feux de la rampe, à cause de Vladimir Poutine. Car c’est précisément le moment décidé pour aggraver encore le conflit : un « référendum » sera bientôt organisé à un rythme accéléré dans quatre régions occupées par les Russes en Ukraine, à savoir Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson. Le résultat de ces référendums est déterminé depuis longtemps : la population locale choisira « spontanément et avec enthousiasme » de rejoindre la mère Russie.
  • Et cette mesure entraînera plus que probablement une escalade du conflit : en effet, à ce moment-là, la Russie pourrait considérer les parties de l’Ukraine comme son « propre territoire », où la question pourrait passer d’une « opération spéciale » à une guerre à part entière, avec une éventuelle conscription obligatoire. Hier déjà, M. Poutine a convoqué les fabricants d’armes russes, leur demandant « d’augmenter de toute urgence leur production ».
  • Cette escalade est intervenue après un sommet international au Kazakhstan, où Poutine a ouvertement reconnu les « préoccupations » de la Chine et de l’Inde pour la première fois depuis le début du conflit. Jusqu’à présent, tant Xi Jinping que Narendra Modi se sont montrés neutres, voire plutôt pro-russes. Mais au Kazakhstan, il est apparu clairement pour la première fois que ce soutien n’était pas inconditionnel à Pékin et à New Delhi.
  • La réaction internationale aux projets de la Russie d’annexer davantage de territoires ukrainiens a été présente : le président français Emmanuel Macron, qui avait déjà été autorisé à s’exprimer devant l’Assemblée générale hier, est entré directement dans le vif du sujet.
    • « Un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, par un acte d’agression, avec une invasion et une annexion, a brisé la sécurité collective du monde. Ce faisant, il a délibérément violé la charte des Nations unies selon laquelle tous les États membres sont souverains et égaux. »
    • « Cela sape les principes de cette organisation, les principes du seul ordre mondial possible, cela sape la paix ».
    • Ce qui est également frappant d’un point de vue européen, c’est le message que les pays ne peuvent pas « rester neutres » dans ce conflit. « Ils ont tort, ils font une erreur historique. Quiconque se tait aujourd’hui est en partie coupable d’un nouvel impérialisme », a-t-il pointé en direction de la Chine, de l’Inde et de nombreux États membres africains, entre autres, qui hésitent à s’exprimer contre la Russie.
  • Il s’agit d’un langage dur venant de l’intérieur de l’UE : à l’approche de l’Assemblée générale, la diplomatie belge semblait vouloir apporter un message plus doux, selon lequel il n’y a pas que l’Ukraine comme problème dans le monde, et que la Belgique, « en tant que partenaire, est aussi attentive à d’autres préoccupations ». Mais c’était avant une autre escalade initiée par Poutine.
  • Sans ménagement, Macron a placé l’Ukraine au centre de la discussion comme le sujet brûlant du moment. La ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR), a finalement suivi la ligne dure et claire adoptée par l’UE hier à New York : « Les prétendus « référendums » ne nous induiront pas en erreur. Ils suivent un schéma qui renforce l’agression et l’occupation illégale de la Russie. Le scénario est déjà connu. Nous continuerons à soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine. »

Frappant : On a rarement entendu et vu autant de pessimisme à l’ONU.

  • La crise énergétique et la sécurité alimentaire sont clairement mises à l’ordre du jour à New York. Et c’est ainsi que l’Ukraine revient sur le devant de la scène : la guerre entraîne des prix de l’énergie insensés en Europe, mais aussi une rupture de l’approvisionnement en céréales ukrainiennes, dont une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique dépend comme source de nourriture.
  • Dans son discours d’ouverture, le Secrétaire général Antonio Guterres, ancien Premier ministre et diplomate portugais, n’a pas hésité à aborder ces questions : « La crise du pouvoir d’achat fait rage, la confiance s’effondre, les inégalités explosent, notre planète est en feu et pourtant nous sommes coincés. Un dysfonctionnement mondial colossal. Les gens souffrent et les plus vulnérables souffrent le plus. »
  • Ce faisant, il a averti de manière assez dramatique les dirigeants mondiaux réunis contre un « hiver de mécontentement mondial », une référence à la phrase d’ouverture de Richard III de William Shakespeare, « c’est maintenant l’hiver de notre mécontentement ».
  • Et il a souligné, sans surprise de la part du chef de l’ONU, qu’il n’y avait qu’une seule solution : le multilatéralisme et la coopération mondiale. « Seule une coalition du monde entier peut s’attaquer à ces problèmes gigantesques », a-t-il déclaré.
  • Aujourd’hui, en plus des discours de Biden et Zelensky, il y a aussi une rencontre belge avec Guterres, à laquelle se joindront le Premier ministre Alexander De Croo, ainsi que la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, mais aussi la ministre de la Coopération au développement Meryame Kitir (Vooruit), le vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne (Open Vld) et le Premier ministre wallon Elio Di Rupo (PS).
  • Vendredi, De Croo prononcera lui-même un discours, dans lequel l’accent sera probablement aussi mis sur la « coopération internationale ». Voyons s’il partagera le pessimisme actuel : le libéral flamand est par nature optimiste, et préfère tenir des discours d’espoir. Mais en même temps, il a défrayé la chronique internationale en évoquant « cinq à dix hivers difficiles » en Europe à la fin de l’été.

À noter : la Belgique conserve tout de même une « relation spéciale » avec le Congo.

  • Le Premier ministre De Croo et la ministre des Affaires étrangères Lahbib, mais aussi Di Rupo, déjeunent demain avec le président congolais Felix Tshisekedi et sa délégation élargie, en marge de l’ouverture de l’Assemblée générale. L’importance accordée aux bons contacts, au niveau diplomatique, avec l’ancienne colonie est claire : « Lorsqu’il s’agit de l’Afrique centrale et des Grands Lacs, notre pays est toujours sollicité, en termes d’expertise et de connaissance du terrain », entend-on dire de la part des diplomates belges. Et la presse congolaise, traditionnellement très présente à New York, savoure une telle rencontre : un Premier ministre belge s’avère toujours être une attraction pour eux aussi.
  • Dans l’immédiat, la ministre Lahbib, en collaboration avec les Congolais et la Commission européenne, organise également l’événement diplomatique belge pour l’ouverture de l’ONU : « Comment lutter contre l’impunité en matière de violences sexuelles ? » En Afrique centrale notamment, c’est un sujet brûlant.

Sans oublier : La discussion sur les réparations reste en suspens.

  • Cet été, plusieurs députés belges se sont rendus au Congo pour un voyage diplomatique quelque peu controversé. Mais il a été, selon le président Wouter De Vriendt (Groen), « absolument utile ».
  • Alors que le roi s’est rendu à Kinshasa au printemps avec une très large délégation et qu’il y a exprimé « des regrets » mais pas d’excuses, la Chambre travaille sur le Congo depuis un certain temps. La Commission du Congo a pour objectif de creuser dans le passé colonial et de « réinitialiser » la relation avec le Congo, sans commettre les mêmes erreurs. L’une d’entre elles : ne plus utiliser « l’Ordre de Léopold II » comme insigne d’honneur, ce que la Chambre avait l’intention de faire jusqu’à l’été, lorsque l’indignation s’est manifestée à ce sujet.
  • Mais la véritable question sur le terrain reste de savoir si cette commission présentera des recommandations à la fin, y compris sur le point le plus crucial : les réparations. L’Allemagne l’a fait avec son ancienne colonie, la Namibie, mais en Belgique, la question reste controversée. C’est également la raison pour laquelle il y a eu des regrets royaux, mais pas d’excuses royales à Kinshasa au début de cette année : les conséquences juridico-financières d’un aveu de culpabilité peuvent être énormes.
  • Immédiatement, la commission parlementaire s’est donc retrouvée dans une controverse politique : après avoir déjà entendu de très nombreux experts à Bruxelles, elle a décidé de se rendre au Congo, au Rwanda et au Burundi même. Mais l’opposition s’est retirée : « Selon nous, la visite au Congo s’inscrit dans une intention vivaldiste de chercher à obtenir des réparations et une expiation de notre passé colonial aux frais des citoyens. Le Flamand n’a pas à payer la facture« , a déclaré en juin le membre de la N-VA, Tomas Roggeman. Le Vlaams Belang était aussi sur cette ligne.
  • Plus ennuyeux pour le chef de groupe Groen, Wouter De Vriendt, qui préside la commission du Congo, c’est que l’Open Vld s’est également retiré du côté de la majorité : le voyage au Congo, à un moment où il y a une crise énergétique en Europe, était « trop cher et sans valeur ajoutée ». « Il y a vraiment d’autres priorités en ce moment », a fait valoir Egbert Lachaert (Open Vld). Les libéraux flamands ne veulent pas non plus entendre quoi que ce soit sur d’éventuelles réparations.
  • Début septembre, De Vriendt et sa commission se sont finalement rendus en Afrique centrale : trois pays, en neuf jours. Outre les Verts, un membre du PS, du PTB et du cd&v étaient également présents. Les députés du MR et de Vooruit se sont retirés pour des raisons pratiques et familiales.
  • « Nous avons reçu une appréciation unanime pour cette mission, nous avons été reçus au niveau ministériel. Cette visite de travail est un signe de respect pour les trois pays. Discuter du passé colonial uniquement en Belgique équivaudrait à du paternalisme », a déclaré l’écologiste flamand.
  • Il a aussi déclaré que « la Belgique a une responsabilité historique envers ces pays, étant donné son passé colonial. (…) C’est dommage que tout le monde ne pense pas que ce soit important, surtout pour un pays comme la Belgique, où une vision ouverte du monde devrait toujours être présente. Je refuse de participer au nombrilisme. D’autres pays, même les États-Unis, regardent encore la Belgique quand il s’agit du passé colonial. Il y a beaucoup de missions parlementaires dont on peut discuter l’utilité… mais celle-ci était un contre-exemple absolu. »

Imminent : Vendredi, le rideau tombera sur Doel 3 – ou pas ?

  • Engie tient bon : les travaux de démolition de la centrale nucléaire sont bien programmés, à partir du 23 septembre, soit ce vendredi. Et ils ne changeront pas de plan, disent-ils.
  • Dans plusieurs journaux, le cabinet du Premier ministre fait savoir « que des pourparlers sont en cours au plus haut niveau », entre le groupe énergétique français et le gouvernement belge, c’est-à-dire entre De Croo et le sommet absolu de l’entreprise, la PDG Catherine MacGregor. Mais Engie dément.
  • L’objectif serait d’obtenir d’Engie qu’elle ne fasse « rien d’irréversible » au réacteur nucléaire de Doel 3. De cette façon, MR, Open Vld et cd&v garderaient la porte entrouverte pour l’extension de Doel 3 : c’est ce qui leur importe politiquement.
  • Tout le monde au sein de Vivaldi a remarqué que le cd&v, en particulier du côté flamand, s’est fortement impliqué dans la discussion, sous l’impulsion du président Sammy Mahdi, qui souhaite une plus grande visibilité pour son parti sur cette question. « Mais ce dossier colle en Belgique francophone à Bouchez, qui y gagne évidemment. Du côté flamand, ce n’est pas le cd&v mais la N-VA qui est liée au nucléaire », note une source gouvernementale.
  • Le fait que le Premier ministre entre dans la danse n’est pas surprenant : il s’agit également d’un dossier symbolique important pour son propre parti, l’Open Vld, où l’on s’aligne sur la ligne du MR. Seulement, selon la nouvelle approche, les libéraux flamands cherchent à communiquer de manière moins agressive.
  • Il est intéressant de noter qu’une bataille juridique est en cours, rapporte De Tijd. Le mouvement citoyen 100TWh, qui est totalement favorable à l’énergie nucléaire, a entamé vendredi une action en justice contre le Premier ministre et Engie ainsi que la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), pour arrêter d’éventuels travaux de démolition irréversibles.
  • Du côté législatif, les initiatives parlementaires ne rencontrent pas beaucoup de succès. Hier, en commission énergie, Les Engagés, l’Open VLD, la N-VA et le cd&v ont proposé des amendements pour modifier l’agenda de sortie du nucléaire. Sans succès. Sur Twitter, Catherine Fonck (Les Engagés) s’indigne : « Malgré la crise énergétique gravissime et les expressions médiatiques de présidents de parti, rejet par la Vivaldi des amendements pour permettre la prolongation du nucléaire après études et évaluation. Juste des prétextes purement politiques. Irresponsable et très inquiétant… » Elle vise entre autres le MR et le CD&V, ce que ne manque pas de souligner également Bert Wollants, chef de groupe N-VA.
  • Le MR et l’ancienne ministre de l’Énergie Marie-Christine Marghem ont en fait déposé une proposition pour carrément abroger le cadre de sortie de la loi de 2003. On est plus dans la communication politique, car une telle proposition mettrait des semaines à être adoptée. Or pour Doel 3, la date butoir, c’est pour ce vendredi.
  • À moins d’un accord entre le Premier ministre et Engie, on ne voit pas très bien ce qui peut encore arrêter le démantèlement de Doel 3.

Encore une dose de pessimisme : la Belgique n’a plus payé un taux d’intérêt aussi élevé depuis 2014.

  • Le taux d’intérêt sur les obligations à 10 ans est actuellement de 2,52 %. C’est le résultat de la hausse substantielle des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne et des allusions de Christine Lagarde, selon lesquelles les hausses actuelles ne s’arrêteront pas là. Lagarde n’a pas vraiment le choix : la flambée de l’inflation dans la zone euro, proche des deux chiffres, doit être maîtrisée de toute urgence.
  • Mais cela a des effets néfastes pour les pays qui portent une dette publique très élevée, comme les pays du Club Med, mais aussi la Belgique. La charge d’intérêts augmente avec un effet boule de neige. Plus tôt cet été, le Comité de monitoring a calculé que d’ici 2027, la Belgique aura une dette publique de 116 % du PIB.
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