Le jour d’après: la réforme du marché du travail est-il un si bon accord pour le PS ?

Plus de flexibilité ou plus de souplesse ? Pierre-Yves Dermagne a défendu la seconde hypothèse pour sa réforme du marché du travail. Mais le diable est dans les détails: chaque mesure cache une entourloupe, dénoncent les syndicats et le PTB. La fin de la concertation sociale ? La fin de la journée de 8 heures ? Il faut souvent attendre que le soufflé retombe pour voir qui sort gagnant ou perdant d’un grand compromis.

Dans l’actu: après les annonces, les réactions. Elles ne sont pas tendres avec les socialistes, qui, sur la défensive, auraient trop cédé aux exigences patronales.

  • « Donc: buiten la journée des 8h, on remplace l’indemnité de rupture par un préavis presté chez un autre employeur, les conventions collectives de travail ne doivent être signées que par un seul syndicat et on discrimine les travailleurs selon la taille de leur boîte… WTF où est le rouge de la Vivaldi ? », le secrétaire général de la Centrale Générale de la FGTB, Geoffrey Goblet (fils de Marc Goblet, décédé en juin dernier et grande figure du syndicat) voyait le verre clairement à moitié vide après l’annonce de l’accord sur le travail.
  • Son supérieur hiérarchique, Thierry Bodson, était dans une premier temps plus nuancé: il saluait les avancées au niveau du droit à 5 jours de formation, du droit à la déconnexion (pas pour les PME toutefois) ou encore de l’obligation à fournir aux travailleurs à temps partiel leurs horaires deux jours plus tôt qu’aujourd’hui.
  • Mais les réjouissances n’allaient plus loin. Car le président de la FGTB voit aussi « le pire ». Dans l’assouplissement du travail de soirée de 20 heures à minuit, Bodson regrette que la concertation syndicale soit impactée: l’accord d’un seul syndicat au lieu de trois sera désormais nécessaire pour mettre en place cette nouvelle organisation du travail. On est parti pour une longue phase de test de 18 mois. Un retour en arrière sera-t-il possible ?
    • C’était une demande du secteur de la distribution. De façon à pouvoir se battre à armes égales avec les entreprises d’e-commerce basées à l’étranger, principalement aux Pays-Bas.
    • Le gouvernement insiste sur le fait que cette nouvelle organisation, sur base volontaire, ne modifie pas le paiement d’une prime, comme pour le travail de nuit. Mais du côté de Comeos (fédération des commerces), on espère pouvoir faire sauter ce verrou, en distinguant travail de soirée et travail de nuit (après minuit). Avec cette phase de test, « on va pouvoir convaincre les syndicats que la flexibilité est encadrée, que les conditions de travail et de salaire sont dignes et que ce n’est pas le Far-West dont ils ont peur », explique la fédération au Soir.
    • Côté syndical, un communiqué commun ne voyait pas les choses de la même façon: « Nous sommes consternés de voir à quel point le gouvernement se fait l’écho des demandes patronales en essayant de mettre hors jeu la concertation dans tous ses aspects, sans aborder sérieusement la question globale de l’e-commerce. »
  • Thierry Bodson pointe aussi du doigt la semaine des 4 jours qui ne va pas du tout dans le sens d’une réduction de temps de travail, puisque c’est la version libérale qui a triomphé: 5 jours de travail pour 4 jours prestés, ce qui fait sauter automatiquement la journée des 8 heures dans cette configuration, un acquis social historique pour les socialistes.
  • « Si le gouvernement voulait démontrer une bonne fois pour toutes qu’il donne beaucoup plus d’importance aux patrons qu’aux travailleurs, c’est fait! », résume ce matin le syndicaliste sur La Première.
  • Sur l’économie de plateforme, le PS semblait avoir gagné en renforçant les acquis sociaux des coursiers et en mettant en place une série de critères qui doit déterminer si oui ou non le travailleur est bien indépendant.
    • Mais à bien écouter les réactions des plateformes, sans être totalement satisfaites, elles accueillent plutôt positivement l’accord: « On est soulagé de voir que le gouvernement n’a pas mis en place la présomption irréfragable de salariat », a commenté Rodolphe Van Nuffel, porte-parole de Deliveroo, à L’Echo. En clair, le salariat ne sera pas généralisé et automatisé. Pour plusieurs raisons: cela ne concerne pas les coursiers occasionnels (qui sont sous le régime avantageux de l’économie collaborative), le coursier gardera toujours le dernier mot sur son statut, et même en cas de désaccord de la plateforme, c’est un juge qui devra trancher en dernier recours. En outre, le droit à une assurance travail payée par la plateforme va dans le sens de l’histoire. Deliveroo l’offrait déjà, par exemple.
  • Bien sûr, depuis l’opposition, le PTB ne manque pas d’enfoncer le clou et relaye les critiques. Raoul Hedebouw juge l’accord être « une réforme sur mesure pour les patrons », la majorité Vivaldi n’ayant fait « qu’augmenter la flexibilité ».
  • Le mot « flexibilité » est bien entendu rattaché au jargon libéral. Mais le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne (PS), s’en défend dans L’Avenir : « Il ne s’agit pas de flexibilité, mais de souplesse », tente de dribbler le socialiste au sujet de la semaine de 4 jours. Il rappelle néanmoins qu’il n’y a pas de majorité actuellement pour une réduction du temps de travail. En clair, le PS, sur la défensive, a obtenu ce qu’il a pu.
  • Mais la critique vient du monde syndical, son plus grand relai, qui jusqu’ici s’est montré relativement calme avec la Vivaldi.
  • Est-ce que le camp libéral peut triompher pour autant ? Non, et c’est d’ailleurs dans la nature même des compromis, qui plus est dans un gouvernement à 7 partis. Les réactions patronales sont là pour le prouver: personne n’est vraiment satisfait parmi la FEB, le Voka, l’Unizo… et ne parlons pas de l’opposition flamande qui s’en donne à coeur joie, la N-VA et le Vlaams Belang ne parvenant pas à comprendre où se trouve la révolution attendue.
  • Si les trois grands partis d’opposition (PTB, N-VA et VB) sont dans leur rôle, une critique récurrente émane du monde économique: ce n’est pas cette réforme qui va permettre d’atteindre l’objectif de 80% de taux d’emploi. Au sein même de la Vivaldi, certains admettent « un bricolage plutôt qu’une grande réforme ».
  • La plus grande réussite de la Vivaldi est finalement d’avoir pu décider, dans une certaine forme d’union. Même les présidents de parti du MR et du PS n’en rajoutent pas, c’est dire…

La bataille sur la sortie du nucléaire peut (re)commencer : la pression patronale donne des ailes au MR.

  • L’un des problèmes qui se posent dans les coulisses de la rue de la Loi est l’empressement avec lequel Engie – qui a réalisé un surprofit d’un milliard d’euros – veut fermer ses centrales nucléaires en Belgique tout en construisant de nouvelles centrales à gaz. Cela s’inscrit dans la stratégie globale du géant français de l’énergie de se débarrasser de son parc nucléaire en Belgique, et cela va merveilleusement bien avec la stratégie des Verts, qui veulent fermer les centrales depuis un certain temps.
  • Cette attitude est une épine dans la ligne défendue par Georges-Louis Bouchez (MR) qui a longtemps soutenu « que ce n’est pas à Engie de décider de fermer ou non ». Le CD&V adopte désormais cette ligne : « Nous devons oser une réflexion stratégique sur l’énergie, et même envisager un rôle beaucoup plus actif pour le gouvernement, en tant qu’actionnaire ou opérateur. Nous ne devons pas être aveugles à la réalité géopolitique actuelle, qui a vraiment changé radicalement en l’espace de quelques mois. »
  • Pour ce qui est de nos voisins du sud, le président Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière la construction d’au moins six nouvelles centrales nucléaires et la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire. C’est une stratégie complètement différente de celle qui a cours en Belgique.
  • Tout cela incite les organisations patronales Voka, VBO, Beci et UWE à lancer une nouvelle offensive au sujet de deux réacteurs nucléaires les plus jeunes, Doel 4 et Tihange 3 : elles veulent maintenir ces centrales ouvertes au-delà de 2025. C’est frappant, car il n’y a pas si longtemps, le Voka, entre autres, a demandé au gouvernement flamand de faire la clarté sur les centrales à gaz qui doivent remplacer l’énergie nucléaire, s’inquiétant qu’elles puissent toutes filer dans le sud du pays.
  • Mais aujourd’hui, les organisations patronales opèrent un tournant, et lancent un appel fort à rester dans l’énergie nucléaire : « Le contexte dans notre pays et en Europe a tellement changé qu’il n’est désormais plus justifié de procéder à une sortie complète du nucléaire en 2025 », déclarent-ils conjointement. « Il est temps de s’éloigner de la politique et de se tourner vers la réalité. Nous allons également avoir besoin de plus d’énergie dans les années à venir en raison de l’électrification », a souligné Hans Maertens, PDG de Voka, sur Radio 1.
  • La pression exercée par les employeurs n’est donc pas minime, ce qui a certainement un effet sur leurs partenaires « naturels » au sein du gouvernement: les libéraux. Mais il reste à voir si cela va vraiment rouvrir le débat au sein de la Vivaldi : depuis des mois, il y a une guerre de positions, le MR étant diamétralement opposé à Groen et Ecolo. Le 18 mars, la Vivaldi devra se résoudre à décider.
  • Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) semblait initialement soutenir la fermeture conformément à l’accord de coalition. Mais la donne semble avoir changé: l’Open Vld et le CD&V montrent maintenant de plus en plus de réserves.
  • De la part de l’opposition, la pression sur le dossier est grande. « La N-VA soutient pleinement l’appel des employeurs. La procrastination coûteuse doit cesser maintenant. Notre offre de maintenir les centrales nucléaires ouvertes via une majorité alternative reste valable. Optons pour une politique énergétique abordable, fiable et durable », a déclaré Bart De Wever (N-VA), qui a également fait référence hier à la décision des États-Unis de poursuivre l’énergie nucléaire pour les années à venir.

La Banque nationale : « La hausse de l’endettement à Bruxelles et en Wallonie est inquiétante. »

  • Comme pour le marché du travail, l’économie belge évolue à deux vitesses en termes de dette publique, avec une divergence croissante entre une Flandre forte et les régions plus faibles de Bruxelles et de Wallonie. C’est ce que montre une analyse figurant dans le rapport annuel de la Banque nationale (BNB), sur base d’un indicateur spécifique.
  • Ses économistes n’ont pas utilisé le ratio traditionnel de la dette, à savoir la dette publique par rapport au produit intérieur brut (PIB), mais plutôt le ratio de la dette brute par rapport aux recettes annuelles disponibles, après déduction des transferts éventuels vers d’autres sous-secteurs de l’État. Cette mesure moins courante donne une meilleure idée du poids de la dette et de la capacité financière intrinsèque de chaque entité.
  • Ce qui ressort immédiatement des graphiques, c’est le niveau élevé et la forte augmentation pour les régions wallonne et bruxelloise. « La dynamique de la Région wallonne est inquiétante », écrit la Banque nationale. « La dette de cette région dépassait 2,5 fois ses revenus annuels en 2020 ».
  • « Les finances publiques wallonnes présentaient un déficit important avant même la crise sanitaire, mais l’impact de cette crise sur les recettes et les dépenses, les conséquences budgétaires des inondations et un plan de relance particulièrement ambitieux entraîneront une augmentation significative de la dette wallonne dans les prochaines années », prévoit la BNB.
  • « La situation budgétaire de la Région de Bruxelles-Capitale est tout aussi alarmante », poursuit la Banque nationale. Ces dernières années, le solde de financement n’a cessé de se détériorer et cette région est désormais celle dont le taux d’endettement est le plus élevé : 280% de ses revenus.
  • A titre de comparaison : en Flandre, les dettes s’élèvent à un peu plus de 50% des revenus. La Banque nationale n’est donc pas immédiatement préoccupée par le taux d’endettement flamand, « à condition que la Flandre arrête la hausse qui a commencé en 2020. »
  • La viabilité de la dette de la Communauté française (fédération Wallonie-Bruxelles pour certaines compétences comme l’éducation et la culture) semble également moins problématique à 80 % des recettes.
  • Le taux d’endettement du gouvernement fédéral et de la sécurité sociale réunis est le plus élevé, avec 3,5 fois leurs recettes annuelles. « Toutefois, le niveau fédéral jouit d’une autonomie fiscale totale, ce qui lui donne un puissant levier pour modifier sa trajectoire budgétaire si nécessaire », indique la Banque nationale.
  • Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque nationale, lors de sa présentation du rapport annuel, a avancé un déficit budgétaire national de 1,5% du PIB comme valeur indicative en période de conjoncture favorable pour les gouvernements actuels et futurs.
  • Même si une récession survient tous les dix ans et que le déficit budgétaire s’enfonce alors temporairement dans le rouge, cet objectif de 1,5 % devrait être suffisant pour stabiliser la dette nationale (selon la définition classique) autour de 100 % du PIB au cours des vingt prochaines années.
  • Selon les normes obsolètes de Maastricht, 60 % du PIB est l’objectif européen, mais le consensus au sein de l’UE se développe progressivement pour dire que 100 % est un objectif plus réaliste à long terme, a noté M. Wunsch.

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