La nuit dernière, de nouvelles escarmouches ont eu lieu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Bien que les deux pays aient négocié un cessez-le-feu, celui-ci est régulièrement bafoué, malgré la force de maintien de la paix que la Russie a déployé entre les deux pays. Les deux parties s’accusent mutuellement d’être à l’origine du conflit, bien qu’il semble que ce soit plutôt l’Azerbaïdjan qui ait ouvert à nouveau les hostilités.
Lundi vers 23h30, les troupes azerbaïdjanaises se sont rassemblées à la frontière avec l’Arménie et certaines villes et zones frontalières arméniennes ont été bombardées par des tirs d’artillerie selon ce que rapporte Nagorno Karabakh Observer, qui suit la situation. Le ministère azerbaïdjanais de la Défense affirme toutefois exactement le contraire : « Plusieurs positions, abris et fortifications de l’armée azerbaïdjanaise ont été la cible de tirs d’armes de différents calibres, y compris des mortiers, par des unités de l’armée arménienne. » Deux versions très différentes des mêmes événements, donc.
Cependant, sur OC Media, un média indépendant couvrant le Caucase, une déclaration différente du même ministère affirme que « les attaques contre l’Arménie sont une réponse aux provocations des saboteurs. » L’Azerbaïdjan admet ainsi être passé à l’attaque, tout en rejetant encore la faute sur les Arméniens. Ces derniers auraient posé des mines terrestres dans les districts frontaliers de Kalbajar et de Lachin, tous deux aux mains de l’Azerbaïdjan depuis la fin de la deuxième guerre du Nagorny-Karabakh, en 2020.
Pourquoi cette guerre ?
Les deux pays sont en rivalité depuis longtemps déjà sur le statut du Haut-Karabakh : le conflit couve depuis 1988 autour des tensions ethniques ; la région était un État autonome (oblast) au sein de l’Azerbaïdjan à l’époque de l’Union soviétique. Cependant, la grande majorité de ses habitants sont ethniquement arméniens et préféreraient donc faire partie de l’Arménie.
La population a commencé une guerre de guérilla en 1988 contre l’Azerbaïdjan, avec le soutien de l’Arménie. En 1991, le parlement local a déclaré l’indépendance de la République d’Artsakh : cela a déclenché la première guerre du Nagorny-Karabakh. Six ans et quelque trente mille morts plus tard, une paix fragile est revenue dans la région. Depuis 1994, des troubles éclataient encore régulièrement dans la région ou à la frontière avec l’Arménie, mais cela restait le plus souvent à très petite échelle.
Jusqu’en 2020 : le 27 septembre, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie et quelques mercenaires étrangers, est passé à l’offensive. L’objectif était de capturer les zones les plus méridionales du Haut-Karabakh, les zones montagneuses lourdement fortifiées par l’Artsakh, avec l’Arménie comme principal allié.
Après que l’Azerbaïdjan a réussi à capturer Şuşa, la deuxième plus grande ville de la région, le 8 novembre, les deux parties ont négocié un cessez-le-feu, sous l’œil attentif de la Russie.

La carte ci-dessus montre les conséquences du cessez-le-feu. L’Arménie conserve la zone en rose, l’Artsakh (qui n’est toujours pas reconnu comme un État indépendant), et l’Azerbaïdjan reste responsable de la zone en vert clair. La zone bleu clair a été capturée par l’Azerbaïdjan lors du conflit de 2020, tandis que l’Arménie a abandonné la zone vert foncé dans le cadre des négociations de paix. La tache bleu foncé, le corridor de Lachin, est depuis lors occupé par environ 2.000 soldats russes, en armes, dans le cadre d’une opération de maintien de la paix.
Le rôle de la Russie…
Une fois encore, alors que les escarmouches n’avaient commencé que depuis quelques minutes, des appels ont été immédiatement lancés au Kremlin pour obtenir un soutien. L’Arménie a demandé à la Russie, à l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective, alternative russe à l’OTAN) et à l’ONU de l’aider à lutter contre l’agression de l’Azerbaïdjan. Cependant, les combats auraient repris depuis.
Pour la Russie, ces troubles dans sa zone d’influence historique représentent une très mauvaise nouvelle alors que, comme par hasard, son armée est plongée dans de très grosses difficultés dans sa guerre non déclarée avec l’Ukraine. Alors que le front s’effondre dans le nord de l’Ukraine et que le Kremlin manque de troupes pour réagir, voilà qu’un autre foyer de tension risque de nécessiter des moyens ou, à tout le moins, de maintenir sur place des moyens qui pourraient être utiles ailleurs. Tout aussi grave, cela démontre aussi que l’Azerbaïdjan, ancien satellite, ne suit plus la ligne de Moscou et compte bien profiter de la faiblesse du « grand frère russe », tout en consolidant une alliance et un partenariat militaire avec la Turquie.
Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué que le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan « devrait être résolu exclusivement par des moyens politiques et diplomatiques », relève The Guardian. Les ministres de la Défense de l’Arménie et de la Russie se sont entretenus mardi matin et ont convenu de prendre des mesures pour stabiliser la situation à la frontière.
…Et celui de l’Europe
Du côté des pays de l’UE, on pourrait se réjouir de nouveaux problèmes sur les bras de Moscou, mais il n’en sera rien. Car l’Azerbaïdjan est un des grands espoirs de l’Union pour parvenir à sevrer sa dépendance au gaz naturel russe en trouvant de nouveaux exportateurs. Les exportations de gaz de l’Azerbaïdjan vers l’Europe ont bondi de plus de 30% cette année, soulignait récemment le gouvernement du pays du Caucase. Celui-ci a livré 7,3 milliards de mètres cubes de gaz à l’Europe au cours des huit premiers mois en 2022.
Dans ce contexte, il y a fort à parier que l’UE – et les États-Unis ne hausseront pas trop le ton contre l’Azerbaïdjan, quand bien même cette nouvelle offensive aurait pour conséquence de nouvelles victimes civiles des bombardements, ou de nouveaux déplacements de population. Pour l’heure l’Arménie fait état de 49 morts dans les rangs de son armée, mais certains observateurs locaux signalent des tirs sur des zones résidentielles. De quoi justifier des sanctions internationales ? C’est peu probable, tant l’UE ne peut pas voir aussi se fermer cette valve de gaz, ni d’ailleurs trop se fâcher avec la Turquie, déjà frileuse à l’idée d’incorporer Suède et Finlande au sein de l’OTAN.