L’Allemagne veut aider financièrement la Turquie, car elle n’a pas le choix

L’Allemagne redoute les conséquences d’un possible effondrement de la Turquie sur la région. En conséquence, Berlin envisage d’apporter une aide financière d’urgence à la Turquie.

Les négociations correspondantes viennent seulement de débuter, et ne déboucheront pas forcément sur une aide, précise le Wall Street Journal. Pour le moment, plusieurs pistes sont envisagées : soit des aides ciblées portant sur des projets spécifiques, soit un plan de sauvetage comparable à celui qui a été mis en place pour les pays de la périphérie au pire moment de la crise de l’euro.

Un effondrement de la Turquie est impensable pour l’Europe

Le gouvernement allemand craint qu’un effondrement de l’économie turque n’ait des conséquences pour l’Europe, et qu’il provoque de nouveaux troubles au Moyen-Orient. En particulier, Berlin craint qu’il ne remette en cause l’accord sur les réfugiés en novembre 2015. Au terme de cet accord, la Turquie s’était engagée à stopper le flux de migrants à destination des pays membres de l’UE, contre une aide financière de 3 milliards d’euros, entre autres.  

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, doit se rendre à Berlin le 28 septembre prochain. Auparavant, son ministre des Finances, Berat Albayrak, qui n’est autre que son gendre, aura rencontré son homologue allemand pour préparer cette visite.

Depuis l’accélération de la chute de la parité de la livre turque, au mois de mai de cette année, les Etats-Unis n’ont manifesté aucune intention de soutenir la Turquie, en dépit de l’adhésion au pays à l’OTAN. Le président américain Donald Trump a même infligé de nouvelles sanctions économiques, en raison de l’incarcération en Turquie d’un pasteur américain, Andrew Brunson.

Le gouvernement allemand considère que ces mesures ont aggravé la situation du pays, et qu’il faut maintenant tendre la main à Ankara pour éviter la remise en cause d’un accord qui a permis à l’Allemagne de contenir le mécontentement de la population allemande après que le pays avait accueilli près de 2 millions de réfugiés sur les années 2015 et 2016.

La livre turque a perdu 40 % de sa valeur par rapport au dollar depuis le début de cette année. En pratique, la devise turque est surtout victime de la dégradation des fondamentaux du pays. La croissance se ralentit, l’inflation du pays est trois fois plus élevée que la cible de la banque centrale, mais surtout, le pays est très endetté, et la dette extérieure culmine à près de 60 %. Une grande partie de ces emprunts ont été contractés en dollars, et leur renchérissement fait craindre la possibilité de défaillances en masse, ce qui pourrait à son tour provoquer l’effondrement du système bancaire turc.  

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La Turquie a exclu un appel au FMI

Traditionnellement, les pays confrontés à ce type de difficultés se tournent vers le Fonds Monétaire International (FMI) pour obtenir des prêts d’urgence en échange de réformes. Récemment, l’Argentine a obtenu une ligne de crédit record de 50 milliards de dollars (environ 43 milliards d’euros). Mais il y a deux semaines, au cours d’une allocution destinées aux investisseurs étrangers, Albayrak a indiqué que la Turquie n’avait pas besoin de faire appel au FMI. En outre, compte tenu de la brouille du pays avec les Etats-Unis, il est possible que ceux-ci puissent s’opposer à une potentielle intervention de l’Institution en faveur de la Turquie. Dans cette hypothèse, l’UE devrait donc agir seule, au travers de crédits consentis par la Banque européenne d’investissement (BEI) et / ou la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

Mais une telle aide réclamerait la création de nouveaux instruments, dans la mesure où l’arsenal existant est basé sur une participation du FMI.

72% des Allemands ne veulent pas d’aide de la Turquie

De même, il n’est pas évident qu’un tel programme d’aide à la Turquie fasse l’unanimité en Allemagne. Un sondage de Deutschlandtrend publié la semaine dernière indique que 72 % des Allemands s’opposent à toute aide financière en faveur de ce pays.

Il est également possible qu’un programme d’aide cristallise les tensions entre Berlin et Washington.

“Nous ne pourrons pas rester assis et regarder la Turquie courir à sa ruine. La pression de la migration, son importance géostratégique, aussi bien que les liens économiques sont bien trop importants”, a dit un eurocrate au Wall Street Journal.

Le grand bénéficiaire d’un tel programme serait… l’AfD

Selon les analystes politiques, un tel programme ne manquerait pas de profiter au parti d’extrême droite allemand, Alternative für Deutschland (AfD). Une aide à la Turquie, associée aux violents incidents survenus récemment à Chemnitz (notre photo ci-dessous), au cours desquels  des groupes d’extrême droite ont lancé une chasse  l’homme contre des immigrés après qu’un Allemand avait été tué à la suite d’une altercation avec des migrants au cours du weekend, fournirait de nouveaux arguments à l’AfD, un parti qui se profile volontiers comme un parti anti-establishment.

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