Rebondissement dans l’affaire du maire de Téhéran, invité à Bruxelles : le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) se retrouve directement mêlé au dossier en compagnie de la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR). Car une semaine après les faits, il est maintenant révélé que « le Premier ministre a donné son accord ». Cela s’est passé lors d’un contact entre les deux cabinets le 7 juin, ce qui est d’une valeur inestimable pour Lahbib et son opération sauvetage. Si elle tombe, elle emportera le plus haut gradé avec elle. Cependant, de grandes questions subsistent sur l’ensemble du dossier. Pourquoi Lahbib, qui a énuméré toutes les étapes à la Chambre il y a une semaine, n’a-t-elle pas mentionné le Premier ministre à ce moment-là ? Et pourquoi y a-t-il désormais une raison diplomatique, liée au dossier d’Ahmadreza Djalali, qui est avancée comme explication ? En outre, plusieurs sources au sein de la Vivaldi soulignent l’aspect lié à la sureté : parmi les 14 Iraniens de la délégation, il y avait des personnages très douteux qui, de surcroît, ont été intégrés sans lettre d’invitation. Les visas ont été délivrés avant que l’organe de la menace terroriste, l’OCAM, n’ait rendu son avis le 9 juillet. Entre-temps, des opposants au régime ont été filmés à Bruxelles, dont la députée Darya Safai (N-VA). De retour à Téhéran, Abdolmotahar Mohammadkhani, l’un des 14 membres de la délégation, a témoigné devant un tribunal local du régime, se ventant d’avoir filmé la députée Safai et la présentant comme « anti-révolutionnaire », ce qui est passible de peine de mort en Iran.
Dans l’actu : Lahbib doit se présenter à 15 heures en commission à la Chambre pour donner plus d’explications. En milieu de matinée, on a appris que De Croo allait aussi se présenter.
Les détails : Il y a une énorme pression politique, également de la majorité, pour qu’une responsabilité politique soit assumée dans ce dossier.
- « La question demeure cruciale. En tant que ministre des Affaires étrangères, Lahbib avait la possibilité d’empêcher l’arrivée des Iraniens, et elle ne l’a pas fait. Pourquoi ? » C’est Melissa Depraetere (Vooruit) qui l’a dit très clairement ce matin sur Radio 1.
- Le fait que Pascal Smet (Vooruit), en tant que secrétaire d’État bruxellois aux Relations internationales, ait dû faire un pas de côté au contraire de Lahbib est clairement une pilule difficile à avaler pour les socialistes flamands. « Pascal a été honnête et transparent sur son rôle, j’attends la même chose de la ministre. »
- Aujourd’hui à 15 heures, lors de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre, la ministre Lahbib sera soumise à un barrage de questions. Car ces derniers jours, l’opposition a été extrêmement critique, tant du côté flamand, avec la N-VA et le Vlaams Belang, que du côté francophone avec Les Engagés et DéFI. Tous affirment que Lahbib avait et a la responsabilité finale de délivrer des visas. La démission est donc une conséquence logique selon l’opposition. Pour rappel, on reproche à la ministre d’avoir autorisé la venue de 14 Iraniens à Bruxelles, dont Alireza Zakani, le maire de Téhéran, dans le cadre du Brussels Urban Summit.
- Cette notion de « responsabilité politique » a été appuyée au cours des derniers jours par la majorité elle-même : aussi bien Ecolo que Vooruit l’ont ouvertement indiqué ce matin.
- Mais regardez : hier après-midi, l’histoire a soudainement changé de cap, Lahbib modifiant son récit. Les explications et les motivations n’étaient plus les mêmes : ce n’était plus « sous la pression de Pascal Smet » ou encore « la compétence des entités fédérées ». Il fallait soudainement « sauver la face diplomatiquement ». Qui plus est, et c’est un élément clé : il y avait aussi l’accord du cabinet du Premier ministre.
- Ce dernier point a été un revirement plutôt surprenant qui a déclenché des batteries d’interrogations, rue de la Loi. Car la semaine dernière, à la Chambre, alors que Lahbib était déjà sous le feu des critiques, elle a listé en détail toutes les instances qu’elle avait consultées dans l’affaire : la Sûreté de l’État, le SPF Affaires étrangères, les services de police et l’OCAM. Pas un mot, pas même une allusion, au Premier ministre.
- Et ce n’est pas tout : l’affaire a encore pris une autre dimension quand le Premier ministre a décidé d’avancer une autre explication. De Croo voulait absolument « éviter d’humilier l’Iran ». Les invitations étaient déjà parties, « le mal était fait », il n’y avait apparemment pas d’autre option.
- Ou encore : « Humilier l’Iran aurait pu avoir de grandes conséquences », explique le 16 dans la presse. Car en Iran, le professeur de la VUB Ahmadreza Djalali est toujours en prison.
- Ce dernier point est vraiment un revirement complet du récit établi jusqu’ici : la semaine dernière à la Chambre, tout lien avec les prisonniers iraniens et l’affaire Vandecasteele a été nié dans toutes les langues par Lahbib. De plus, la chronologie est également étrange. « Cette affaire de prisonniers était déjà réglée au moment où le Premier ministre aurait donné son approbation le 7 juin », fait remarquer une source de haut rang au sein de la Vivaldi. En effet : le 26 mai, Olivier Vandecasteele atterrit sain et sauf à Melsbroek, suivi de trois autres prisonniers européens le 2 juin. « Notre accord avec l’Iran était déjà conclu. »
L’essentiel : Le Premier ministre et Lahbib sont maintenant liés. Mais qu’en est-il de la chronologie des faits ? Tout pointe le 10 mai comme une date cruciale, pas le 7 mai.
- « Est-ce que la membre du MR a joué sa dernière carte, en communiquant via Le Soir l’implication du cabinet De Croo, obligeant le Premier ministre à se ranger derrière elle ? Ou bien De Croo protège-t-il sa ministre afin de maintenir en vie son gouvernement et de garder sa réforme fiscale intacte ? », se questionne un membre de la Vivaldi.
- Ce contact avec De Croo n’innocente pas vraiment Lahbib. Car des questions demeurent, pour ceux qui examinent simplement les dates et les faits dans ce dossier :
- Le 20 mars : « Pas du tout opportun », déclare un haut diplomate belge chargé du Moyen-Orient, au gouvernement de la Région bruxelloise concernant une possible visite d’Iraniens et de Russes dans la capitale.
- Le 26 avril : Les directeurs de « Metropolis » qualifient le refus de faire venir les Iraniens et les Russes de « situation inconfortable ».
- 10 mai : Smet et Lahbib se parlent au téléphone pendant 4 minutes. C’est parole contre parole, sur qui a promis quoi exactement. Mais le fait est que Lahbib promet de ne pas empêcher l’arrivée des Iraniens.
- Le 10 mai encore : Metropolis remercie Smet après son intervention réussie. Aucun message contraire ne vient de Lahbib.
- Le 11 mai : « Nos ministres se sont appelés hier. La ministre Lahbib a confirmé qu’elle n’allait pas refuser/bloquer ces visas », écrit le cabinet de Smet au cabinet de Lahbib.
- Le 15 mai : cette circulaire du cabinet de Lahbib à tous les postes diplomatiques, concernant les participants au Brussels Urban Summit : « Agissez avec la prudence nécessaire concernant la solvabilité des demandeurs, leur passé et le lien entre l’activité et l’événement ». Aussi: « En cas de doute, je vous prie instamment de soumettre la demande à l’Office des étrangers pour une décision ».
- Le 15 mai encore : un mail du SPF Affaires étrangères à l’ambassade belge à Téhéran : « Les demandes de visa doivent systématiquement être soumises à la décision de l’Office des étrangers. » Cependant, ce service ne recevra jamais de dossier officiel sur les Iraniens.
- Le 6 juin : il n’y a tout à coup plus six Iraniens, qui étaient initialement enregistrés chez Metropolis, mais treize demandes de visas du côté de l’ambassade à Téhéran.
- Le 7 juin : l’Office des Étrangers demande au cabinet Smet pourquoi sept Iraniens n’ont pas de lettre d’invitation. « Parce qu’ils ne se sont inscrits que le 3 juin et qu’il était trop tard pour envoyer des lettres », répond le cabinet Smet.
- Le 7 juin encore : contact entre le cabinet Lahbib et le cabinet du Premier ministre : « Pas d’objection ».
- Le 8 juin : Le chef de cabinet de Lahbib envoie un mail au chef de cabinet de Smet pour vérifier si désormais tout le groupe doit recevoir des visas. Le cabinet Smet confirme.
- Le 9 juin : ce n’est qu’après que les visas ont été délivrés que l’avis de l’OCAM, l’organe de la menace antiterroriste, arrive. Ils approuvent le dossier.
- Cette chronologie montre une fois de plus que Lahbib avait en fait déjà pris sa décision le 10 mai, bien avant que le Premier ministre soit consulté.
- De plus, cela soulève également une autre question, potentiellement beaucoup plus gênante : pourquoi y avait-il soudainement 14 personnes dans la délégation iranienne ? Ce changement a, lui aussi, été approuvé par le cabinet de Lahbib.
La vue d’ensemble : La Belgique a-t-elle autorisé des espions iraniens sur son sol ?
- Plusieurs sources de haut niveau au sein du gouvernement continuent de se poser des questions sur ce dossier. Car consulter l’OCAM est une chose. Mais dans la chronologie, il semble que cet avis soit rendu assez tardivement, et que personne n’ait attendu. « Ici, on a vraiment fait preuve de négligence », déclare un collègue de Lahbib au sein du gouvernement.
- On accorde aussi peu de crédit à l’implication de De Croo dans le dossier : « Tout à coup, il est dans le bain ? Bizarre. »
- Car il se passe quelque chose : parmi les quatorze noms des Iraniens, beaucoup figuraient sur une sorte de « liste rouge ». Et pourtant, on ne les a pas officiellement envoyés au Service des Étrangers, comme demandé par l’administration. Cela s’est d’ailleurs fait pour d’autres délégations, où des participants ont même été refusés. « Au sein du ministère des Affaires Étrangères, ils auraient pu ne faire passer que les Iraniens avec un passeport diplomatique. Ou tout simplement moins de personnes : cela aurait-il causé un incident diplomatique ? »
- Les conséquences de cette autorisation pour tout le groupe d’Iraniens se sont fait sentir presque immédiatement à Bruxelles. Car parmi eux, beaucoup de personnages énigmatiques, comme la RTBF l’a révélé hier :
- Alireza Zakani, l’actuel maire, était le chef des étudiants de la milice Bassidji, des zélotes qui ont arrêté, battu et torturé des centaines de personnes. Son surnom : le boucher de Téhéran.
- Abdolmotahar Mohammadkhani, un journaliste du régime, et aujourd’hui chef du service de communication de Téhéran.
- Lotfollah Forouzande Dehkordi, qui travaille aujourd’hui aux Finances pour la ville de Téhéran, mais qui était le bras droit du président Mahmoud Ahmadinejad, un pur radical du régime.
- C’est ce même Mohammadkhani qui avait été vu mardi et mercredi derniers, filmant tranquillement avec son smartphone des opposants au régime qui manifestaient à Bruxelles. Parmi eux se trouvait la députée Darya Safai (N-VA), qui a immédiatement porté plainte auprès de la police de Bruxelles. Rien n’a été fait à ce sujet.
- De retour à Téhéran, ce même Mohammadkhani a immédiatement témoigné de sa « mission » lors d’une séance diffusée à la télévision iranienne. Là-bas, il se vante d’avoir filmé la députée belge lors d’une manifestation et prétend qu’elle est la meneuse de ces manifestants iraniens. Il a également déclaré que Safai était « anti-révolutionnaire », ce qui n’est pas une accusation à prendre à la légère en Iran : cela peut entraîner la peine de mort.
- Ce matin, Safai a réagi au témoignage de Mohammadkhani : « C’est un message très clair adressé à ma personne. Avec ce genre de reportage, ils veulent nous dire que nous devons faire attention à ce que nous faisons ou disons. Je n’ai pas peur de ces monstres, mais regardez comment le Premier ministre et la ministre Lahbib mettent notre sécurité en danger ici. Ils doivent assumer leurs responsabilités. »
- Le fait que l’opposition ait pris l’affaire très au sérieux la semaine dernière est prouvé par le fait que le député Theo Francken (N-VA) a appelé lui-même, mercredi matin, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld).
- « Je fais cela très rarement, et ils ont donc tous deux immédiatement décroché leur téléphone. Des agents secrets du régime de Téhéran se promenaient tranquillement dans le cœur de Bruxelles. Tous deux étaient vraiment choqués, ce n’était pas feint. Je leur ai fourni les vidéos et les photos que l’opposition avait prises des agents. »
- Selon Francken, il est donc également faux de dire que De Croo était déjà au courant la semaine dernière : « Un écran de fumée pour sauver la peau de Lahbib », dit-il.