INTERVIEW DU WEEKEND – C’est une première. En finançant un projet blockchain mêlant légalisation et tokenisation, la région wallonne met un orteil dans le monde des cryptomonnaies pour voir comment ça marche. Business AM en a discuté avec Colin Loyens, gestionnaire d’investissement pour Wing, le fonds wallon dédié aux start-up numériques.
De l’idée à la réalité. Au Wing, cela faisait des années qu’on promettait de dynamiser l’écosystème blockchain wallon. Seulement voilà, les projets reçus par le fonds dédié aux jeunes pousses du digital manquaient vraiment de solidité. À la fois sur le volet technique mais aussi au niveau des porteurs de projets. En conséquence, peu d’investissements avaient été menés. Jusqu’à l’arrivée de logion, cette start-up liégeoise qui ambitionne de garantir la sécurité sur les blockchains. Et ce, grâce à son service de protection juridique décentralisée.
Logion marquerait la nouvelle vague des projets, avec une équipe très structurée, un modèle économique tokenisé et une solution technologique disruptive. Tout ce dont on était demandeur au Wing, où l’on cherchait un moyen de se lancer avec précaution dans la crypto, en maîtrisant l’exposition aux risques. Si le montant investi dans la start-up reste limité (150.000 euros), il dénote d’une certaine ouverture d’esprit et surtout permet aux invests publics de se familiariser avec la gestion de cryptomonnaies. Entretien avec Colin Loyens, investment manager au Wing.
Business AM : Pourquoi ce projet-là en particulier, cette start-up liégeoise et pas une autre ?
Colin Loyens : Mise à part la composition de l’équipe, très solide, nous trouvions la proposition de valeur de logion très intéressante parce qu’elle prenait un peu à contrepied les fanatiques de la blockchain qui ne jurent que par décentralisation et désintermédiation. Dans le cas de logion, ils décentralisent mais tout en remettant un intermédiaire particulier, un officier de justice.
En faisant ça, on essaie de reconnecter les deux mondes, le monde de la blockchain manquant de spécificités légales. Donc ça s’inscrivait dans notre vision de ramener les règles du monde réel vers la blockchain.
Les officiers de justice européens sont des personnes assermentées qui ont force de loi. Par exemple aujourd’hui, si on se fait voler un NFT dans le monde digital, il est très compliqué d’aller l’expliquer devant un tribunal car la loi n’existe pas encore pour ces cas de figure là.
Avec Logion, vu que c’est un officier de justice qui gère le nœud, il peut dresser un constat qui a force de loi devant un tribunal.
C’est présupposer de l’efficacité de la justice, qu’on se retrouve dans une juridiction qui reconnaisse cette force de loi et qui ait le pouvoir d’intervenir pour identifier, arrêter et juger le coupable. Alors qu’avec la blockchain, il n’y a plus de frontière, et il n’existe pas encore de législation standardisée à l’échelle mondiale pour la crypto.
Le but pour logion dans un premier temps, c’est le marché européen. Le métier d’officier de justice n’existe pas outre-Atlantique, cela reste une caractéristique propre au droit européen. Mais c’est en quelque sorte une force de venir sur le marché européen, où les réglementations se montrent plus avancées. Après rien n’empêche des résidents externes à l’Europe de s’appuyer sur les officiers judiciaires européens. Mais notre réflexion n’a pas été poussée jusqu’aux lois européennes qui prennent ou pourraient à l’avenir prendre en compte ce que propose logion. Cela sort de notre cadre, nous, cela reste un projet qui en l’état a du sens, qui montre aussi notre positionnement et dynamise l’écosystème. Nous venons d’augmenter le nombre de développeurs blockchain en Wallonie. Donc en tant que fonds pour le digital qui doit créer de la valeur et de l’emploi, nous sommes cohérents.
Avec le projet logion, Wing et donc la Wallonie investit dans de la crypto. Cela requiert beaucoup d’apprentissage ?
Oui car nous allons à un moment disposer de tokens. Cela veut dire qu’en interne, on va devoir mettre en place de procédures de gestion des clés. C’est un premier cas. Ce n’est pas fort différent des passwords pour l’accès aux comptes en banque mais voilà, c’est nouveau. Nous allons devoir en discuter avec la FSMA, l’autorité des marchés financiers, notre département juridique va aussi apprendre par ce biais-là.
Vos procédures étaient-elles prévues pour ce genre de projet crypto ?
En fait, on voit bien avec le projet logion que nous avons été rapidement bloqués par nos documents standards. Pour posséder des tokens, on sort du schéma traditionnel. Nous avons dû nous adapter, trouver une méthode. On se dit que c’est un premier projet qui en appelle d’autres, ce ne sera pas le seul cas où on devra gérer des jetons numériques. Il y en aura de plus en plus. Alors autant apprendre avec des gens de confiance au moment où tout est encore à faire. J’ai d’ailleurs mis logion en relation avec d’autres outils wallons qui sont revenus vers moi en me disant ‘mais qu’est-ce que nous allons faire avec ça, on n’est vraiment pas adapté’. Commençons donc à réfléchir pour mettre l’infrastructure publique en place pour pouvoir répondre à ce nouveau type de projet qui représente l’économie de demain.
L’infrastructure publique doit se mettre à jour. Surtout que dans le cas de logion, on parle d’une blockchain publique basée sur une technologie récente, Polkadot (2017), sans véritablement de standards pour auditer les protocoles. Tandis que d’autres blockchains, à l’instar d’Ethereum pour ne pas la citer, semblent bien plus en avance. Comment faire pour éviter que la Wallonie investisse à l’aveugle dans les cryptos ?
Ça reste un dossier complexe, reconnaissons-le. Nous sommes un fonds généraliste, nous ne maîtrisons pas la technologie le plus profondément possible. Surtout que oui, c’est la « jeune » blockchain Polkadot. Pourquoi Polkadot, parce que le porteur du projet logion y croit à 100%, avec de bons arguments. Même si ce n’est pas de l’avis de tout le monde dans la communauté. Nous en avons discuté avec notre réseau d’experts en blockchain. Nous ne sommes pas certains d’avoir fait le bon choix, mais nous le croyons, c’est le risque de notre métier, comme dans toute start-up digitale avec un produit complexe.
Un produit qui va se vendre ? Il y a de la demande selon vous ?
L’intérêt des clients finaux est clairement présent. En présentant le projet, les porteurs avaient déjà un très impressionnant pipeline de clients qui voulaient utiliser leurs solutions. Je participe au développement de logion avec les équipes, en mode agile. Je rentre plus que dans d’autres dossiers traditionnels où j’interviens plutôt lors des conseils d’administration. Ici, je suis très proche, notamment pour apprendre.
C’est au fil de ces travaux que l’investissement de Wing a connu une rallonge ?
Nous avions injecté 100.000 euros une première fois, et nous avons effectivement rajouté 50.000 parce qu’après avoir travaillé avec eux pendant 6 mois, nous avons pu constater que l’équipe était très sérieuse, avec une roadmap très claire et des développements qui suivent. Après, on verra le développement de Polkadot mais nous faisons confiance aux experts, notamment à l’initiateur du projet, David Schmitz, qui a 25 ans d’expérience en Linux.
Pour revenir en terrain connu, comme il n’y a pas de services ou de produits opérationnels, pas de revenus d’entreprise, sur quoi vous basez l’évaluation du projet ?
C’est encore une fois assez compliqué compte tenu du montage très particulier pour ce type d’investissement. La blockchain logion est portée par une association internationale sans but lucratif (aisbl), Logion, qui a donné à une SRL GoLion le mandat de développer le réseau. Nous sommes rentrés au capital de la SRL, la valorisation était intéressante et n’a pas fait l’objet de débat.
Et pour ce qui est de la tokenomie ?
Le fait de posséder une partie des tokens, avec une autre partie réservée à la communauté, on est évidemment dans un schéma inhabituel. On verra. Nous apprendrons peut-être de nos erreurs. En tout cas les objectifs stratégiques sont clairs, pour ce qui est de la valorisation, reste à voir comment réagiront les tokens.
On ne trouve pas le white paper de logion. On imagine que le modèle économique est connu. Quels sont les incitants pour les utilisateurs, les validateurs, et les retours sur investissement pour Wing ?
C’est de la delegated-proof-of-authority, les nœuds validateurs seront rémunérés pour les actes qu’ils réaliseront. Et pour pouvoir participer à la blockchain, ces nœuds devront staker une partie des tokens. Et les personnes qui stakeront recevront un pourcentage de ces rémunérations.
La fascinante industrie crypto a déjà vu des porteurs de projets bien sous tous rapports s’évaporer dans la nature avec le jackpot. Cela ne vous a jamais traversé l’esprit avec logion ?
Nous sommes en présence d’une grande équipe de co-fondateurs. Il faudrait alors que toute la bande parte de façon coordonnée. (rires) Plus sérieusement, c’est un peu l’avantage de l’économie open-source : avec leurs rewards en tokens, ils ont tout intérêt à ce que tout se passe pour le mieux afin que les jetons numériques voient leur valeur évoluer positivement.
Et le risque de hack ?
C’est un risque inhérent à n’importe quel projet de nos jours. Mais le code qu’on développe sera audité. L’éventuel hack ciblera-t-il la blockchain ou une API avec un niveau de sécurité plus faible, c’est difficile à prédire évidemment.
Le message est lancé aux entrepreneurs : la transformation numérique de la Wallonie passe par la blockchain et les cryptos. Sans aucune objection, par exemple contre un projet basé sur Bitcoin ?
Quand nous cherchons des projets blockchain, notre objectif est de trouver une valeur ajoutée technologique. Nous ne ferons jamais de la crypto spéculative. Avec le Wing, on ne va jamais juste spéculer avec des bitcoins ou des ethers. Même si j’ai déjà proposé en interne d’allouer un faible pourcentage de nos liquidités, 0,1% ou 1%, en cryptomonnaies, ne serait-ce que pour apprendre. Mais nous devons faire attention à ne pas donner un signal aux citoyens qui laisserait croire que la Wallonie cautionne la spéculation cryptos.