La Vivaldi vacille : Vooruit, le PS, Ecolo et Groen en ont assez des explications erratiques de Lahbib et attendent un changement d’attitude, mais le MR s’accroche obstinément

« Le temps où nous étions un petit parti qui laissait tout passer est révolu. » Les tensions sont vives au sein de la Vivaldi, où Vooruit mène la charge dans l’affaire impliquant la ministre des Affaires étrangères Lahbib. Leur Vice-Premier ministre, Frank Vandenbroucke (Vooruit), a tiré par deux fois hier au sein du kern : l’attitude de la ministre des Affaires étrangères est devenue un problème gouvernemental. Les socialistes flamands ne supportent pas que leur chef de file à Bruxelles, Pascal Smet (Vooruit), ait dû quitter le navire à cause de cette affaire des visas iraniens, alors que la libérale se défile de sa responsabilité finale. Lahbib a tremblé hier à la Chambre face à la commission. Elle y a pourtant reçu le soutien du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), qui a su mettre en place une ligne de défense claire. Mais Lahbib s’est ensuite complètement perdue : parfois émotionnelle, parfois arrogante envers les députés, elle a donné une explication confuse et incohérente. Et surtout : aucune introspection, reconnaissance d’une erreur ou intention de faire les choses différemment. Hier soir, le kern s’est réuni à nouveau, et la bombe a éclaté : Ecolo était furieux, Vooruit restait insatisfait, Groen et le PS étaient sur la même ligne. Lahbib semble ne pouvoir sauver sa peau qu’en pliant le genou. Si elle persiste dans son erreur, la Vivaldi menace de chavirer.

Dans l’actualité : le visagate devient une crise gouvernementale.

Les détails : « Ça ne passe pas. » Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) est confronté à un bloc des quatre partis de gauche, qui n’ont plus aucune patience pour la ministre des Affaires étrangères.

  • « Étonnamment faible. Est-ce le niveau de la personne qui doit représenter notre pays au plus haut niveau diplomatique ? C’est vraiment inacceptable pour nous. » Au sommet de Vooruit, on perçoit une grande détermination dans l’affaire Lahbib. Les socialistes flamands sont prêts à aller loin, très loin si nécessaire, pour faire valoir leur point de vue : « Pour le moment, Lahbib ne peut tout simplement pas rester. Il y a des limites. »
  • « Très déçu », tel est également l’analyse au siège de Groen, à propos des explications que la ministre des Affaires étrangères a données hier à la Chambre. Car Lahbib a manqué à peu près toutes les occasions de pacifier l’affaire des visas. « Elle aurait pu le faire en montrant un peu d’humilité, en reconnaissant son erreur, en ne se montrant pas aussi hautaine. Mais y avait-il encore une dose trop importante de ‘Bouchez’ dans ses explications confuses d’hier ? », analyse un leader.
  • À la Chambre, le PS et Ecolo étaient eux aussi sur cette ligne dure. Après l’intervention chancelante de Lahbib la semaine dernière, la ministre des Affaires étrangères a de nouveau subi un tir nourri, y compris de la part des groupes de la majorité socialistes et écologistes. Le langage corporel du Premier ministre ne pouvait plus masquer son irritation. Car il s’en est rendu compte : d’autres problèmes allaient survenir.

L’essentiel : la Vivaldi pourrait trébucher sur cette question, à moins que la ministre ne se rétracte.

  • Ce n’est pas un hasard si le doyen du gouvernement, le Vice-Premier ministre Frank Vandenbroucke, avait déjà forcé la main hier après-midi. Lors d’une réunion de l’équipe Vivaldi avant la séance à la Chambre, le chef de file de Vooruit avait indiqué qu’un changement d’attitude de Lahbib était attendu. Le soir, lors d’une nouvelle réunion du kern, prévue pour discuter de la réforme fiscale, Vandenbroucke a de nouveau exprimé son mécontentement de manière très vive : « Cela ne suffit absolument pas. »
  • De manière surprenante, Vandenbroucke a reçu le soutien explicite de Vice-Premiers ministres moins expérimentés, qui n’ont pas non plus caché leur mécontentement. Pierre-Yves Dermagne (PS), généralement mesuré, mais aussi la conciliante Petra De Sutter (Groen), et surtout Georges Gilkinet (Ecolo) : tous sont sur la ligne « Lahbib doit se réorienter ou partir ».
  • « C’était par moment un kern particulièrement houleux. Car il est clair que tout le flanc gauche est sur la même ligne : c’est tout simplement inacceptable », a-t-on entendu dire d’un président de parti.
  • Surtout pour Gilkinet, qui est souvent un peu en retrait du kern, cette fois, c’était du sérieux pour les Verts. Ils sont tout comme Vooruit dans une situation particulièrement inconfortable : leur secrétaire d’État Sarah Schlitz (Ecolo) est partie pour beaucoup moins que ça. Lahbib devra céder.
  • Du côté de Vooruit aussi, le ton reste dur ce matin : « Avant, nous nous laissions peut-être marcher dessus. Mais c’est du passé. Pour nous, c’est vraiment une question de principes. » Le Premier ministre De Croo n’a pas eu d’autre choix que de donner à son gouvernement un moment de répit hier soir, afin qu’il puisse persuader sa collègue et le président du MR de changer leur fusil d’épaule. Sans un sérieux moment de remise en question, cet après-midi à la Chambre par exemple, la Vivaldi ne peut pas continuer, réalise-t-on au sein du gouvernement.
  • Ce matin, De Croo doit à nouveau parler à Lahbib, et surtout au président du MR Georges-Louis Bouchez. Sont-ils prêts à accepter de présenter des excuses forcément humiliantes à la Chambre ?

Zoom avant : Pourquoi l’audition de Lahbib a-t-elle été un désastre devant la commission ?

  • Ceux qui, après l’intervention de Vandenbroucke au sein du kern, savent un peu lire la politique, savaient que le bloc de gauche de la Vivaldi avait besoin d’entendre quelques mots apaisants, et surtout, d’avoir en face d’eux une ministre des Affaires étrangères humble. Rien de tout cela ne s’est produit.
  • Le contraste entre De Croo et Lahbib était douloureux à voir. Le Premier ministre a montré ce qu’une décennie d’expérience au plus haut niveau peut apporter : une intervention habile, dans laquelle le libéral s’est dressé en homme d’État, jouant la carte de la realpolitik, en se référant à la diplomatie : « Une vie humaine vaut-elle un visa ? Évidemment. »
  • Cela a donné à Lahbib une excellente occasion d’adopter la même stratégie, pour faire ensuite amende honorable : mettre un genou à terre de manière cohérente devant le Parlement. C’est d’ailleurs ce que De Croo a fait à la fin : il a admis « qu’il y avait eu des erreurs ».
  • Rien de tout cela du côté de la membre du MR, qui luttait aussi bien avec le néerlandais qu’avec ses émotions. La ministre a fait l’erreur, contrairement à De Croo qui s’en tenait à une ligne générale, de répondre à toutes les questions des députés. Cela a donné lieu à des échanges parfois carrément arrogants, envers les députés, mais surtout : toute la cohérence dans sa défense est partie en fumée.
  • S’agissait-il de « laisser jouer la diplomatie », comme l’a dit le Premier ministre, ou avait-elle été mise au pied du mur par Smet, comme elle le soutenait jeudi ? La ministre a perdu tout le monde. Même la majorité n’a pas manqué de le souligner : « Quelle politique étrangère avons-nous réellement envers l’Iran ? Je ne sais plus », a déclaré Wouter De Vriendt (Groen).
  • Le problème essentiel est qu’elle n’a pas reconnu son propre rôle, ni les responsabilités et les erreurs qui en découlent. Le fait que pratiquement tous les députés de Vooruit, PS, Ecolo et Groen attendaient plus d’humilité, et ne l’ont pas reçue, témoigne d’une grande inexpérience politique.
  • Hadja Lahbib a écrit le parfait manuel de ce qu’il ne faut pas faire dans un long discours pour assurer sa défense :
    • La victime : « L’Iran m’a causé des mois de mauvais sommeil, m’a même coûté une partie de ma propre santé. Et maintenant, nous devrions faire un pas de 15 mois de négociation en arrière ? En tant que chef de la diplomatie, je ne pouvais pas l’accepter ».
    • Le déni : « Il n’y a aucune contradiction entre mon intervention aujourd’hui et celle de la semaine dernière à la Chambre ». Pour ajouter un peu plus tard : « La semaine dernière, je n’avais que cinq minutes pour m’expliquer, donc je ne pouvais pas aborder tous les détails ».
    • L’agresseur : « Certains ont insinué que mon président parlait à travers ma voix. C’est très mal me connaître. Je ne suis pas dans ces jeux politiques. J’ai toujours été le capitaine de mon âme et je suis toujours debout sur mes deux pieds ».
    • L’acrobate : « L’analyse de l’OCAM qui a été faite, cette analyse concernait la menace lors de la réunion des grandes villes, pas les visas eux-mêmes ».
  • Cette dernière explication a été politiquement la plus problématique : jeudi dernier, elle avait affirmé très clairement à la Chambre « que les visas avaient été délivrés suite à l’avis de l’OCAM ». Cette déclaration s’est révélée incorrecte, car les visas ont été délivrés le 8 juin, alors que l’avis de l’OCAM est arrivé le 9 juin.
  • « Des mensonges devant le Parlement », ont conclu la N-VA et le Vlaams Belang, qui ont déposé une motion de censure contre la ministre, exigeant sa démission. Mais l’opposition n’était pas la seule à mettre en exergue ces mensonges : « J’ai entendu cinq mensonges dans les deux premières minutes où vous avez parlé. J’ai arrêté de prendre des notes », a déclaré Melissa Depraetere (Vooruit). Le PS a préféré parler « d’omissions, qui peut confiner à de la dissimulation. C’est inacceptable ».
  • Seuls le MR et l’Open Vld ont ensuite signé une motion pure et simple de la majorité pour écarter immédiatement une telle motion de censure, comme l’usage politique le veut. En d’autres termes : Groen, Ecolo, Vooruit et le PS sont toujours dans l’attente et exercent une énorme pression sur la ministre et le MR.

La vue d’ensemble : cette coalition est fatiguée. Et la patience envers Bouchez est épuisée.

  • Les frictions autour de Lahbib et de l’affaire des visas ne sont pas au cœur du travail du gouvernement fédéral : ce n’est jamais le cas pour la politique étrangère en Belgique. Pourtant, la Vivaldi est maintenant en train de trembler sur ses fondations.
  • C’est principalement dû à une certaine fatigue au sein du gouvernement : les grands dossiers de réforme ne progressent pas, tant pour la réforme fiscale que pour les pensions, et il y a très peu de confiance autour de la table pour les faire aboutir. Sans compter que l’on ne voit toujours pas le bout des négociations nucléaires avec Engie, où les verts ont encore une pilule amère à avaler.
  • Non seulement les partenaires de la coalition ne se soutiennent pas, mais ils se plantent même des couteaux dans le dos. Le Premier ministre y joue aussi un rôle : il a poussé la méfiance mutuelle à son paroxysme avec ses positionnements personnels, d’abord autour du 1er mai, puis sur la loi de restauration de la nature.
  • Le summum de cette méfiance se concentre cependant autour du président du MR, Georges-Louis Bouchez. Personne au sein de la Vivaldi, y compris l’Open Vld, ne voit plus le libéral comme un partenaire fiable : il y a eu trop d’incidents. Toute future coalition se fera sans Bouchez, si cela dépendait du PS et d’Ecolo.
  • Le fait que le président du MR ait alimenté la polémique sur l’affaire des visas, en poussant Smet vers la sortie et en stigmatisant le gouvernement bruxellois, n’est pas oublié par le PS et Vooruit. Les écologistes n’oublieront pas non plus comment GLB a exercé une intense pression autour de Sarah Schlitz.
  • Dans le même temps, Hadja Lahbib était le choix personnel de Bouchez : un coup de maître, selon lui, que d’arracher la journaliste de la RTBF et de la propulser en tant que « chef de la diplomatie belge ». Son succès est le sien, son humiliation sera aussi la sienne.
  • Mais il y a plus en jeu : tous les sondages indiquent que Bruxelles est le seul levier électoral pour le MR, pour garder mathématiquement une chance de rester dans les coalitions. Via Bruxelles, le MR pourrait se positionner favorablement à Namur et éventuellement au niveau fédéral, c’est le calcul de Bouchez. Et Lahbib, en tant que Bruxelloise, est justement un renforcement électoral majeur dans cette stratégie. Elle figure d’ailleurs déjà en bonne place dans les classements des personnalités politiques.
  • La blesser, ou pire la laisser tomber, contrarie cette logique. Et tout cela a bien sûr été noté par le PS et Ecolo : c’est pourquoi ils ne retiennent plus leurs coups. Ainsi, l’exigence d’une humiliation pour la libérale, ou la sortie pure et simple, devient un enjeu politique majeur. Cet après-midi à la Chambre, on devrait normalement voir en direct le dénouement de cette affaire : des excuses de Lahbib, ou pas ?
Plus