Un soulagement pour la Vivaldi : le gouvernement fédéral a enfin pu présenter son accord tant attendu sur le travail, après une période de souffrance considérable. À 3 heures du matin, la fumée blanche est sortie du kern : e-commerce, économie de plateforme et semaine de 4 jours sont au menu. Le tout ressemble néanmoins à une série de petites interventions et d’ajustements, plutôt qu’à une grande réforme du marché du travail. Les partis de la majorité se réjouissent : une conférence de presse a donné lieu à une série de tapes sur l’épaule. Mais la critique reste sévère : il fait peu de doute que cela ne suffira pas pour atteindre l’objectif d’un taux d’emploi de 80%. Dans les couloirs de la Vivaldi, il y a aussi une certaine perplexité : « Il ne s’agit pas de la grande réforme, mais plutôt d’un bricolage. »
Dans l’actualité : fumée blanche pour l’accord sur le travail.
Les détails : Au final, le PS obtient largement ce qu’il voulait pour les les métiers de plateformes. En retour, les libéraux obtiennent quelque chose pour le travail de nuit.
- « Nous préparons le terrain pour une économie plus durable, plus verte, plus numérique. Après deux années difficiles de crise sanitaire, nous préparons l’avenir, et l’objectif est de rendre les personnes et les entreprises plus fortes. » Il avait l’air un peu fatigué, mais c’est avec enthousiasme que le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) est venu présenter son accord ce matin dans l’habituel bunker, la salle de presse du Seize rendue célèbre par les innombrables Codeco. La conférence de presse s’est rapidement transformée en une séance d’auto-congratulation. La Vivaldi en avait besoin.
- De Croo a parlé de « plus de flexibilité et plus de liberté pour les travailleurs », ce qui semble dans les cordes d’un Premier ministre libéral. « Avant la crise, c’était souvent une discussion théorique, où la flexibilité était considérée comme quelque chose de négatif. Mais aujourd’hui, nous voyons apparaître beaucoup plus de nouvelles formes de travail dans notre marché du travail rigide. Et donc nous donnons aux gens et aux entreprises plus de liberté pour organiser leur temps de travail, comme la possibilité de faire une semaine de travail sur quatre jours », a argumenté De Croo.
- Pour une fois, le PS a participé avec enthousiasme. Le vice-premier ministre et ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne (PS) a parlé d' »un accord qui fait suite à deux années de crise, après lesquelles nous entrons désormais dans une nouvelle phase ».
- Assez étonnant et révélateur de l’ambiance sur place : Dermagne s’est d’abord largement félicité de l’état actuel du marché du travail belge.
- « Avec 71,4 % d’emploi, nous atteignons le chiffre le plus élevé jamais atteint. »
- « De plus, ce chiffre a augmenté de plus de 1%, nous n’avons pas vu cela depuis des décennies », a déclaré le ministre de l’Emploi.
- « Il y a 60000 chômeurs de moins depuis le début de la législature. »
- « Ok, ce n’est sans doute pas seulement le résultat du travail du gouvernement, mais toutes les mesures d’aide ont porté leurs fruits. Maintenant nous avons besoin de franchir une nouvelle étape », a lancé Dermagne. Ce faisant, il a bien sûr mis l’accent sur les « victoires » du PS, notamment sur le droit aux jours de formation.
- Dans le même temps, Frank Vandenbroucke (Vooruit), fidèle à sa réputation, a offert une explication très didactique de la manière dont l’économie des plateformes est aujourd’hui réformée (voir ci-dessous). L’enthousiasme de De Croo et Dermagne n’a pas été immédiatement perçu chez Vandenbroucke : il a surtout fait remarquer que, dans son approche, la Belgique suit en fait la vision de la Commission européenne, sur Deliveroo et cie.
- « Cet accord apporte plus de flexibilité pour les employeurs, plus de liberté pour les employés, et surtout une approche plus moderne de l’organisation du travail », a poursuivi David Clarinval, le ministre MR des Indépendants, sur la même note optimiste qu' »Alexandre« .
- Ce faisant, Clarinval a tiré la couverture sur la « victoire » des libéraux sur le commerce électronique. « Comme vous le savez, trop peu de grands acteurs se sont installés en Belgique, car les règles y étaient beaucoup trop lourdes. Il y a donc eu une perte d’emplois et des capitaux qui sont partis à l’étranger », a déclaré Clarinval, qui a laissé entendre que cette époque était désormais révolue. La question est de savoir si cela se concrétisera dans la pratique. Mais il s’agit certainement d’une réponse au PS, dont le président Paul Magnette avait ouvertement remis en question l’avenir de l’e-commerce en Belgique.
- Ce matin, dans les colonnes du Soir, le président du PS plaidait toutefois le « second degré ». Il a répondu à une question provocante du journaliste par une autre provocation, le sourire en coin. Ce que le journaliste d’Humo a reconnu quelques jours plus tard après l’interview dans un tweet, voyant le tollé provoqué par les propos de Paul Magnette. Quoi qu’il en soit, le président du PS reconnait que ce n’était sans doute « pas très malin », et qu’il s’agissait d’une erreur « en presse écrite ». Il n’en reste pas moins attentif aux dérives d’un tel secteur, ajoute-t-il. Le progrès, mais pas à n’importe quel prix, pourrait-on résumer.
Ce qui a été décidé en pratique: une série de 35 petites mesures plutôt qu’une grande réforme.
- La principale pomme de discorde a été la discussion sur l’économie de plateforme: Deliveroo et Uber, principalement. Ici, les socialistes ont clairement obtenu quelque chose : il y aura bien une « présomption d’emploi » pour les coursiers et chauffeurs de ces services. Mais elle est en même temps nuancée : il s’agit d’une « présomption qui peut être réfutée ». Cela se fait sur la base de critères généraux qui seront ajoutés à la loi sur les relations de travail de 2006, ils détermineront si ces personnes seront plus proches du statut de salarié que celui d’indépendant. Les coursiers auront toutefois le choix en dernier recours.
- Ces critères ont été longuement discutés : le diable est dans les détails. La liste contient huit critères. On y retrouve entre autres le fait qu’une personne ait le choix de déterminer ou non ses propres horaires de travail, ou que le coursier travaille ou non exclusivement pour une plateforme. Les libéraux font valoir que cela empêchera les plateformes de s’éloigner du pays, tandis que les socialistes et les Verts soulignent que les acquis sociaux des coursiers s’améliorent désormais de manière significative.
- Une victoire symbolique très importante et plus claire pour les socialistes : chaque coursier ou chauffeur, indépendant ou non, recevra également une assurance contre les accidents du travail et maladies, sur base de la loi de 1971.
- Les libéraux peuvent brandir un autre trophée : le travail jusqu’à minuit est facilité. Deux décisions majeures ont été prises à cet égard :
- Désormais, il est possible de travailler jusqu’à minuit, sans que cela soit immédiatement qualifié de travail de nuit, avec toutes les règles supplémentaires qui vont de pair. Le système existait déjà dans une expérience introduite par l’ancien ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V).
- Le changement le plus important, cependant, est que désormais un seul syndicat de l’entreprise doit donner son accord : un autre syndicat ne peut jamais opposer son véto. La question est de savoir à quelle fréquence cela se produira dans la pratique : les entreprises préfèrent éviter ce type de confrontation.
- La deuxième grande mesure est une période d’essai pour la mise en place de ce travail de nuit, qui évite en fait un accord avec les syndicats : les travailleurs peuvent opter temporairement pour le travail du soir sur une base volontaire. Le « test » est d’une durée de 18 mois et peut être effectué sans modifier la règlementation du travail. Cette faille pourrait bientôt devenir beaucoup plus importante pour les employeurs que le premier ajustement.
- L’accord contient également un certain nombre de mesures que Dermagne a voulu inclure pour rendre le travail plus agréable et de meilleure qualité. Il s’agit notamment de la possibilité de travailler une semaine de cinq jours sur quatre jours. Un employeur peut difficilement le refuser ; il doit le justifier par écrit. La coparentalité est également facilitée : une semaine vous pouvez travailler un peu plus, l’autre moins.
- Mais il y a un hic avec cette semaine de quatre jours : en principe, vous pouvez être amené à travailler jusqu’à 10 heures par jour. Mais les Verts s’y sont opposés : le maximum est désormais de 9,5 heures par jour. Si vous voulez plus, vous devez d’abord signer une convention collective avec les syndicats.
- Autre élément : le fameux « droit à la déconnexion » sera introduit. Après les heures de travail, les travailleurs ne seront plus contraints de consulter leurs emails ou leur téléphone. Cette mesure s’appliquera aux entreprises comptant 20 employés ou plus.
- Autre nouveauté : un employé qui est toujours en période de préavis, après un licenciement par un employeur, peut déjà commencer à travailler pour le prochain employeur, tout en conservant son salaire. Il ou elle gagne alors autant d’argent supplémentaire. Il doit ensuite être licencié par un processus de transition.
- Enfin, l’offre de formations supplémentaires est également un facteur important. « Il est extrêmement important que nous organisions une culture de la formation dans notre pays », a déclaré Dermagne lors de la conférence de presse. « C’est un véritable droit individuel, surtout pour ceux qui en ont le plus besoin. Il y aura donc un droit individuel à la formation pour chaque employé : trois jours en 2022, quatre jours en 2023 et même les cinq jours complets à partir de 2024, payés par l’entreprise.
- Et encore une dernière bonne nouvelle pour le CD&V : après des mois d’insistance, la Flandre aura les coudées un peu plus franches pour appliquer une politique sur mesure. C’est une demande que la ministre de l’Emploi en Flandre, Hilde Crevits (CD&V), n’a cessé de revendiquer: la possibilité d’une politique asymétrique.
Ce que cela signifie concrètement : peut-être beaucoup d’agitation pour rien.
- L’accord n’a pas vraiment réjoui les experts. Au contraire, dès ce matin, l’accord a été descendu par un certain nombre de voix influentes; essentiellement de Flandre où le marché du travail est extrêmement tendu. Cela tient en grande partie aux ambitions formulées par la Vivaldi dans son accord de coalition, à savoir tendre vers un taux d’emploi de 80% d’ici 2030.
- Aujourd’hui, le gouvernement fédéral triomphe déjà d’un taux d’emploi légèrement supérieur à 71% de la population active, mais la réalité est que la Belgique se trouve en queue de peloton en Europe. Les Pays-Bas voisins affichent un taux stupéfiant de 82,6%, l’Allemagne 80,2%. Les budgets des deux pays s’équilibrent beaucoup plus facilement de cette manière : beaucoup plus de personnes contribuent au système, ce qui le rend durable. Même la France est à 73,5%.
- « C’est un compromis typiquement belge : il s’agit d’un ensemble très limité de mesures, présenté comme un grand accord. Mais pour les 80%, nous avons besoin de réformes beaucoup plus profondes », a déclaré l’économiste Ive Marx (UAntwerpen) ce matin sur Radio 1.
- Stijn Baert, économiste spécialisé dans le travail à l’UGent, s’est exprimé dans le même sens sur VRT NWS : « Non, ce chiffre de 80% ne sera pas atteint avec ce paquet de mesures. Bien sûr, cela n’est envisagé que pour 2030. Et nous modernisons et adaptons quelque peu la législation à la réalité, mais il ne s’agit pas de réformes majeures qui permettront à davantage de personnes de trouver un emploi. »
- Agoria, la fédération du secteur technologique, a également réagi de manière très critique : « Je doute que cela se traduise réellement par une augmentation du nombre de personnes allant travailler. Cela crée surtout un grand casse-tête supplémentaire pour les employés. »
- C’est le point de vue partagé par la FEB: « Un pas en avant, mais la complexité des règles ne favorise pas le changement », juge l’organisation patronale. « De nombreux employeurs ne parviendront pas à s’y retrouver dans le labyrinthe des règles de procédure, et ne pourront donc pas tirer facilement parti de cette initiative. »
- Et regardez : même les syndicats ne sont pas entièrement satisfaits, en ce qui concerne « l’apprentissage tout au long de la vie « . Car, même si l’on passe de deux à cinq jours de formation, il s’agit aussi de « cours de formation informels », qui peuvent donc couvrir beaucoup de choses. Et il n’y a pas de sanctions en cas de non-conformité. De plus, comme l’a déjà annoncé le syndicat libéral, la règle ne s’applique pas aux entreprises de moins de 20 salariés.
L’analyse politique : L’accord en dit long sur l’état de Vivaldi.
- La façon dont l’accord sur le travail a été conclu est révélatrice : pendant des jours, en fait pendant des semaines, il y a eu une guerre de positions, en particulier sur l’économie des plateformes. MR et PS étaient à nouveau à couteaux tirés. Et cela a paralysé toute velléité de réforme plus profonde.
- En plus de cela, l’affaire s’est complètement enflammée dans les médias, car le PS a voulu attirer l’attention sur lui avec une position très dure : le commerce électronique était soudainement au centre d’une discussion publique, ce qui n’a jamais eu lieu en coulisses. Une fois de plus, les présidents de partis sont apparemment venus détourner l’agenda du gouvernement.
- Cela a donné lieu à de nouvelles divisions, puis à des déjeuners conciliants. Il en ressort toutefois un accord fragile, tant du point de vue des analystes que selon les personnes impliquées à l’intérieur: « Il s’agit de bricolage à la marge plutôt que de réformes majeures. Il est presque étrange qu’un tel tapage ait eu lieu pour un tel accord », conclut un acteur clé de la Vivaldi.
- Car c’est frappant : Egbert Lachaert (Open Vld) est le seul président de parti à être passé immédiatement à la radio ce matin pour défendre fermement l’accord. Il a parlé de « choses que nous n’avons jamais pu faire au sein de la Suédoise » et de « mesures qui vont donner un énorme coup de pouce pour atteindre ces 80% ». Ce faisant, il a remarquablement déclaré que « les libéraux et les socialistes se sont bien trouvés ».
- Sur les réseaux sociaux, il est vrai que les libéraux et socialistes se félicitent chacun de l’accord. Et il n’y a, cette fois, pas de retournements de veste, comme cela avait pu être le cas lors de l’accord sur l’énergie.
- Mais dans les couloirs, on entend une lecture très différente des faits. « Le problème est que cette coalition ne se donne plus d’ambition. Et donc, nous nous retrouvons avec beaucoup trop peu au final. Les libéraux feraient mieux d’obtenir plus de concessions de la part des socialistes et vice-versa, de manière à ce qu’il y ait plus de flexibilité et que les salaires puissent augmenter. Mais malheureusement, ce n’est pas possible. »