Le ton a changé en Europe. Après les intentions, place à la réalité. Se priver du gaz russe est une chose, en assumer les conséquences en est une autre. L’Europe se fragmente sur la question de la baisse de la consommation.
L’Union européenne veut réduire ses importations de gaz russe de deux tiers d’ici la fin de l’année. Un objectif ambitieux qui oblige les États membres à trouver d’autres sources d’approvisionnement, mais aussi à remplir leurs stocks stratégiques le plus rapidement possible.
Le contexte
Problème : depuis plusieurs semaines, le flux de gaz russe ne se fait qu’à 60%. L’origine du souci est une turbine, restée bloquée au Canada à cause des sanctions occidentales. Elle serait en route pour Moscou, mais personne ne sait vraiment si le Kremlin permettra à Gazprom de reprendre à 100 % ses livraisons de gaz, une fois remplacée. Poutine laisse habilement planer le doute.
En attendant, Nord Stream 1, le principal canal entre l’Europe et la Russie, a repris à cadence toujours réduite, après dix jours de travaux de maintenance.
Un peu partout, les capitales européennes anticipent un hiver compliqué. Les appels à moins consommer sont lancés à Berlin, à Paris et à Bruxelles. Pour éviter le rationnement, il faut passer par la sobriété énergétique.
L’appel
C’est le sens de l’appel lancé par la Commission européenne, plus tôt cette semaine. Ursula von de Leyen demande aux États membres de réduire leur consommation de 15%. Pour cela, la Commission a prévu un plan d’attaque, suggérant de remplacer le gaz par d’autres sources d’énergies comme le renouvelable, le nucléaire, mais aussi, si nécessaire, le charbon et le pétrole.
Il est aussi demandé aux États de lancer des campagnes de sensibilisation pour réduire « à grande échelle » le chauffage et la climatisation. L’UE pourrait jusqu’à imposer cette mesure en ce qui concerne les bâtiments publics.
Le rejet
L’UE qui dicte sa loi aux capitales européennes, cela a toujours suscité la méfiance. Le Portugal et l’Espagne ont déjà réagi négativement.
« Nous ne pouvons pas assumer un sacrifice disproportionné sur lequel on ne nous a même pas demandé un avis préalable », a déclaré le secrétaire portugais à l’Énergie, João Galamba. Même son de cloche chez Teresa Ribera, la ministre espagnole de l’Énergie: « Contrairement à d’autres pays, nous, les Espagnols, n’avons pas vécu au-dessus de nos moyens d’un point de vue énergétique », lance-t-elle, citée par le Financial Times.
Des réactions qui ont eu le don d’énerver le ministre allemand de l’Énergie, Robert Habeck, pour qui « le principe – nous, en Europe, devons économiser du gaz – s’applique à tous et cela signifie que même les pays qui ne sont pas directement touchés par la réduction des approvisionnements en gaz de la Russie doivent aider les autres pays. Sinon, il n’y a pas de solidarité européenne. »
Dépendance variable
En effet, la dépendance des pays européens au gaz russe est très variable. Avant le conflit en Ukraine, l’Allemagne importait la moitié de ses besoins en gaz de Russie. Le Portugal et l’Espagne dépendent beaucoup moins de Moscou, privilégiant le gaz algérien à proximité.
En fait, Madrid et Lisbonne posent comme argument que leur pays n’est pas très bien interconnecté au système gazier européen, se trouvant en bout de chaine. Autrement dit : moins de consommation de gaz à Madrid ne veut pas nécessairement dire plus de gaz à Berlin.
À cet argument énergétique, certains opposent un argument économique : une Allemagne en proie à des pénuries de gaz est une Allemagne en décroissance, ce qui affectera toute l’économie européenne.
La solidarité s’effrite, alors que la Hongrie a déjà pris l’initiative de discuter directement avec Moscou pour augmenter les livraisons de gaz. Une initiative non concertée, bien sûr. Le prochain sommet européen du 26 juillet s’annonce déjà houleux.
En attendant, selon les règles de l’UE, la proposition doit être approuvée soit par 55 % des pays de l’UE, soit par des gouvernements représentant 65 % de la population de l’UE, lors d’une réunion d’urgence des ministres de l’Énergie la semaine prochaine. Certains émettent des doutes sur le fait que cette proposition puisse passer.