Après un sévère rapport de la Cour des comptes, publié cette semaine, la présidente de la Chambre a vécu une séance plénière houleuse, ce jeudi. Mise sous pression par l’opposition, qui voulait renvoyer un texte de loi sur la taxe sur le patrimoine des ASBL devant le Conseil d’État, la socialiste a suspendu la séance et a quitté l’hémicycle. Au-delà de cet incident, sa capacité à assumer son rôle est fortement critiquée, tant par l’opposition que par la majorité.
Dans l’actualité : Un moment de désarroi hier à la Chambre des représentants.
Les détails : La présidente de la Chambre a fui brusquement après avoir fait face à une forte opposition de la part des partis adverses. Peu de soutien émanait de la majorité, et encore moins de son propre parti, le PS. Un interlude d’une demi-heure s’est imposé avant son retour. Plus tard dans la soirée, André Flahaut (PS) a démontré sa capacité à présider efficacement la Chambre. La situation semble irréversible pour Tillieux.
- Il était un peu plus de 17 heures, la séance de questions venait de se terminer, lorsque les leaders des partis d’opposition N-VA, Les Engagés et DéFI ont pris la parole. Peter De Roover (N-VA) a exprimé le souhait de consulter le Conseil d’État concernant une nouvelle taxe imposée par le gouvernement sur les biens des associations à but non lucratif, à l’exception de celles du secteur de la santé. Catherine Fonck (Les Engagés) et François De Smet (DéFI) se sont ralliés à cette demande.
- Ainsi, l’opposition a rassemblé assez de voix pour envoyer le projet de loi au Conseil d’État. Cela implique un retard, empêchant la mise en application de la taxe dès le début de 2024. Servais Verherstraeten, le chef de groupe du cd&v, intervient alors : « Madame la présidente, il serait judicieux de demander un examen en urgence ».
- Cette suggestion aurait grandement aidé la Vivaldi et le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (cd&v), en permettant de finaliser la mesure pour 2024. Tillieux avait le pouvoir de prendre cette décision, en tant que prérogative du président de la Chambre.
- Cependant, cette décision a provoqué la colère de l’ensemble de l’opposition. Peu de temps avant, Tillieux avait refusé de convoquer le vice-premier ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit), impliqué dans l’affaire Medista, malgré la demande unanime de l’opposition. Elle en avait là aussi le pouvoir.
- La réaction à son encontre fut glaciale :
- De Roover l’a exhortée à utiliser ses prérogatives pour l’intérêt général, pas seulement pour celui de la majorité.
- Sofie Merckx (PVDA) a renchéri : « Vous êtes censée être la présidente de l’ensemble de cette Chambre, pas seulement de la majorité. Vous avez un devoir de transparence. »
- Fonck a également insisté : « Ce n’est pas parce qu’un membre de la majorité vous demande de mettre en place une procédure d’urgence que vous devez obligatoirement le suivre. »
- Tillieux, se retrouvant presque seule sans le soutien des membres du PS, semblait désemparée. Un parlementaire de la majorité a révélé que d’habitude, Ahmed Laaouej, le chef de groupe du PS, lui indiquait souvent la conduite à tenir en cas de doute.
- Face à la pression continue de Fonck, Tillieux a finalement averti : « Si cela ne cesse pas, je suspendrai la séance« , provoquant une nouvelle réplique de l’opposition sur la nécessité d’assumer ses responsabilités.
- Submergée, Tillieux a éclaté : « Cela suffit ! Si vous persistez, je suspends la séance !« . Elle a alors quitté la salle, laissant l’assemblée dans un état de stupéfaction.
La situation actuelle : La présidente de la Chambre traverse une semaine catastrophique et s’apprête à affronter un marathon éprouvant.
- Il est rare de voir une présidente quitter une séance en colère pour revenir ensuite, apparemment humiliée. « Nous avons tous été étonnés. On pourrait presque la plaindre. La semaine prochaine s’annonce intense avec un marathon de réunions« , nous confie un chef de groupe parlementaire. « Elle aurait pu prendre cette décision, clore le débat avec son marteau et poursuivre l’ordre du jour. Mais face aux cris de l’opposition, surtout cette semaine, elle semblait paralysée. »
- En effet, un rapport très critique de la Cour des comptes a été publié cette semaine, dénonçant la (très) mauvaise gestion de la Chambre. « Bien que ce ne soit pas sa seule responsabilité, cela ternit son image. Elle a également été durement critiquée dans la presse francophone », indique une source socialiste.
- Pourtant, cette colère ou cette irritation ne caractérisent pas vraiment Tillieux. Amis et ennemis la décrivent plutôt comme « très aimable », et peut-être même « trop indulgente » :
- « Parfois, elle laisse passer beaucoup trop de choses. L’opposition peut intervenir sur l’ordre du jour, mais elle leur permet de s’exprimer longuement sur le fond. C’est totalement inadmissible », déclare un chef de groupe.
- Un membre éminent de l’opposition confirme : « Diriger une institution nécessite de la grinta. Il faut savoir rassembler les gens en coulisse, diriger efficacement les fonctionnaires et prendre le commandement, comprendre que la séance plénière est un organisme vivant qu’il faut savoir appréhender. Après toutes ces années, elle ne semble toujours pas saisir que la fonction exige le respect, non pas automatique, mais mérité par une bonne gestion. »
- Surprenant : son propre parti ne semble pas vraiment la soutenir. « Je ne comprends pas pourquoi le PS ne lui apporte pas le soutien nécessaire. Ils ont pourtant assez de ressources et connaissent bien le système », s’interroge un membre de l’opposition. « En plénière, le groupe PS est souvent peu impliqué. Un groupe devrait protéger ses membres. Et être présent, surtout quand on sait que l’opposition est toujours à l’affût. »
- La critique, y compris au sein de la coalition Vivaldi, va au-delà d’une simple « trop grande gentillesse ». Elle ne maîtrise pas le système :
- « Elle n’est tout simplement pas à la hauteur. Même diriger un débat en plénière, ce qui est essentiel, est difficile pour elle. Elle ne maîtrise même pas bien le règlement. Pourtant, c’est la base. Et au PS, ils le savent », affirme un membre de la majorité.
- « La N-VA fait tout pour ralentir les procédures. Ils bloquent pour bloquer. Le Conseil d’État est réellement abusé. Cette institution est censée rédiger des avis, mais on sait qu’il s’agit plus de manœuvres dilatoires que de véritables conseils. C’est un usage inapproprié de ces ‘examens' », explique un chef de groupe.
- « Elle est peut-être douce, mais c’est une véritable apparatchik du PS. Les intérêts du PS passent toujours en premier. J’ai connu d’autres présidents, tous avaient plus d’autorité et n’étaient pas autant des marionnettes de leur parti« , commente un membre de Vivaldi.
- Le fait qu’André Flahaut (PS) ait pris la présidence de la séance hier soir pour remplacer temporairement Tillieux a accentué le contraste avec un président expérimenté et compétent, rendant la situation encore plus difficile pour elle. À la satisfaction générale, de l’opposition comme de la majorité, il a pris les choses en main. « Un simple coup de marteau d’André et les orateurs concluent. Tillieux, elle, doit carrément couper les micros pour les faire taire« , commente un membre de l’opposition.
- « Un bon président peut raccourcir chaque séance de plusieurs heures. Actuellement, les séances s’éternisent, car elle permet que chaque point soit répété à l’excès. Eliane montre l’importance d’un président compétent. Et combien le Parlement souffre lorsqu’un personnage faible occupe ce poste. Nous en payons tous le prix. Même l’opposition« , se lamente un chef de groupe.
L’essentiel : à partir de juin 24, il est fort probable que le président de la Chambre soit différent.
- Plus qu’un signal : au PS, on est en train de compiler les listes. Et il ne semble pas que Tillieux revienne à la Chambre. Selon La Libre, elle serait en tête de liste pour la région wallonne dans sa ville natale de Namur, y poursuivant ainsi sa carrière. Pierre-Yves Dermagne (PS), le vice-premier ministre, établira la liste de la Chambre à Namur.
- Cela signifie que Tillieux quittera très probablement l’hémicycle et que le marteau de président passera à une autre personne. Cela se fait d’abord temporairement, via un ancien président qui peut servir de figure de consensus, avant qu’une nouvelle majorité ne se forme et qu’un nouveau président de la Chambre soit désigné. Pour Tillieux, c’était Patrick Dewael (Open Vld) en 2019 et 2020.