La première pierre vers l’éradication définitive du paludisme a peut-être été posée cette semaine

Le Burkina Faso sera très prochainement le théâtre d’une grande première en Afrique. Mercredi, des chercheurs ont annoncé qu’ils avaient obtenu le feu vert de l’Agence nationale de biosécurité (ANB) burkinabée pour organiser un lâcher de moustiques génétiquement modifiés dans la nature. Cette initiative fait partie d’un plan à long terme visant à éradiquer une espèce transmettant le paludisme.

Ce sera la première libération d’un animal génétiquement modifié dans la nature en Afrique. Sur les 9 dernières années, des moustiques génétiquement modifiés ont déjà été libérés dans la nature aux Îles CaÏman, en Malaisie, au Brésil, au Panama et en Floride.

Target Malaria

Le paludisme (aussi appelé malaria) se propage lorsque les parasites infectent les anophèles, une variété de moustiques, et que ces insectes le transmettent ensuite aux humains. En 2016, 445 000 personnes sont mortes du paludisme, dont 90 % vivaient en Afrique. La plupart d’entre elles étaient des enfants. A ce jour, il n’existe aucun vaccin totalement efficace, et les moyens de lutte conventionnels, les moustiquaires imprégnées, les antipaludiques et les insecticides, montrent aujourd’hui leurs limites.

Le consortium de chercheurs africains et européens du projet “Target Malaria”, financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, prévoit de lâcher des moustiques génétiquement modifiés  dans le village burkinabé de Bana ce mois-ci. Ces Anopheles gambiae, l’un des vecteurs de transmission du paludisme en Afrique, seront exclusivement des mâles. Ils ont été génétiquement modifiés pour être stériles : les œufs produits par les femelles avec lesquelles ils s’accoupleront ne parviendront jamais à maturité.

Une étape préliminaire avant le « forçage génétique »

Mais la vocation première de cette expérience, ce n’est pas d’éradiquer le paludisme ; c’est de familiariser les populations avec ce type de technique, et de gagner leur confiance pour franchir une nouvelle étape, bien plus polémique, dans la lutte contre le paludisme.

Celle-ci implique la mise en oeuvre de la technique du “forçage génétique”,  qui consiste à modifier le code génétique des insectes en introduisant des mutations génétiques transmissibles à leur descendance. En l’espèce, elle consisterait à produire des anophèles mâles qui ne produiraient que des descendants mâles, ce qui, à terme affaiblira les populations de moustiques, et permettrait de réduire graduellement les risques de transmissions  (seules les femelles peuvent transmettre la maladie). Selon le docteur Abdoulaye Diabaté, qui dirige ces travaux, il faudra « environ 20 descendances d’insectes, soit moins de deux ans », pour constater un impact massif et « sauver des millions de vies ».

Mais cette technique soulève aussi de nombreuses questions. Personne n’a jamais procédé au lâcher d’un animal modifié génétiquement, car c’est une opération à haut risque, l’ouverture d’une boîte de Pandore dont on ne maîtrise pas forcément toutes les conséquences. Et si la libération de ces moustiques stériles génétiquement modifiés entraîne des conséquences imprévues, il ne sera pas possible d’annuler simplement l’expérience. L’ampleur des dégâts irréversibles serait également impossible à prévoir.

Mais compte tenu du nombre de décès annuels dus au paludisme, l’enjeu en vaut bien la chandelle, estiment les chercheurs de ce consortium.

Lost in translation

Reste à convaincre les habitants du bien-fondé de ces expériences. Au mois de juin, plus d’un millier de personnes ont manifesté dans la capitale Ouagadougou pour contester les plans de “Target Malaria”, dans le cadre d’une marche organisée par le Collectif citoyen pour l’agroécologie, un mouvement écologique. “Qu’est-ce qui prouve qu’en modifiant le gène de l’insecte, on ne va pas créer des mutants qui transmettront d’autres maladies ? Ensuite il y a la question écologique : en réduisant cette espèce, on risque de créer un vide écologique et déséquilibrer la chaîne alimentaire. Il y a beaucoup de doutes, nous ne pouvons pas accepter d’être utilisés comme des cobayes”, se demandait Ali Tapsoba, le porte-parole de ce collectif. Ses collègues déplorent le manque d’information de la population.

Car même si les chercheurs ont organisé des opérations de communication dans les villages pour recueillir un “consentement éclairé” des villageois, dûment formalisé par écrit, il n’est pas toujours facile de faire comprendre la finalité de leurs travaux. A l’analphabétisme de certains habitants, s’ajoutent les problèmes de traduction. “Comment voulez-vous traduire OGM en dioula ?”, résume Omar Karambiri, enseignant à l’école primaire du village burkinabé de Sourkoudiguin.

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