L’Europe est inondée de vêtements très chers fabriqués par des géants chinois tels que Shein et Temu. Grâce à un marketing agressif et à des salaires peu élevés, ils conquièrent rapidement le cœur et la garde-robe de la génération Z et Alpha. Mais derrière les prix cassés se cache un modèle de revenus fondamentalement injuste et non durable, au détriment des droits de l’homme, de l’environnement et des détaillants européens. Henri Seroux, premier vice-président pour l’Europe de Manhattan Associates, une entreprise technologique qui aide à façonner les chaînes d’approvisionnement des marques internationales, met en garde contre l’impact économique, social et environnemental de cette nouvelle vague de mode ultrarapide.
Une position concurrentielle déloyale pour l’Europe
Avec leur part de marché en croissance rapide, leur présence dominante en ligne et leurs processus de production ultrarapides, Shein et Temu exercent une pression de plus en plus forte sur les détaillants européens. Les marques traditionnelles, qui conçoivent et produisent en Europe, peuvent difficilement rivaliser avec les prix extrêmement bas de ces plateformes chinoises. Les petits acteurs, en particulier, voient leurs marges s’évaporer et sont évincés du marché.
L’une des raisons pour lesquelles Shein et Temu peuvent opérer à si bon marché est qu’ils utilisent depuis longtemps une faille dans la législation européenne, contournant les droits d’importation sur les produits à bas prix. Cet arrangement leur a offert un avantage structurel en termes de prix, au détriment d’une concurrence loyale. L’UE travaille actuellement sur des mesures visant à imposer des droits sur ces importations bon marché. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, même s’il arrive bien tard. Entre-temps, les appels à l’action se font de plus en plus pressants, tant en Europe qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Absence d’objectifs en matière de durabilité et d’environnement
La mode rapide repose sur un processus de production qui doit être rapide comme l’éclair et extrêmement bon marché, de la culture des fibres à la couture et à l’expédition. Les fournisseurs sont contraints de respecter des marges réduites et des délais serrés, ce qui se traduit par de mauvaises conditions de travail et l’abandon des objectifs de durabilité.
La tentative de Shein de redorer son image avec une plateforme de revente a rapidement été qualifiée d’écoblanchiment. En attendant, les vêtements de qualité douteuse finissent souvent dans des décharges ou, pire, sur les plages africaines en un rien de temps, loin de leurs origines chinoises.
Sans parler des émissions de gaz à effet de serre de ces deux géants chinois. Pour assurer des livraisons rapides à leurs clients, ils recourent massivement au fret aérien, qui pollue 20 à 30 fois plus que le fret maritime. Selon une étude réalisée l’année dernière par Cargo Facts Consulting, Temu et Shein expédient ensemble quelque 9.000 tonnes de marchandises dans le monde entier chaque jour, soit l’équivalent de près de 90 Boeing 777. Pour mettre les choses en perspective, si ces 9.000 tonnes étaient expédiées vers l’Europe, cela représenterait plus de 32 000 tonnes de CO2 par jour.
Questions relatives aux droits de l’homme
À la suite d’un documentaire britannique, Shein a annoncé que tous ses fournisseurs devaient adhérer à un code de conduite fondé sur les conventions de l’OIT et la législation locale. Selon l’entreprise, plus de 2.600 audits ont été réalisés au cours de l’année écoulée, mais avec plus de 6.000 fournisseurs, il est clair que tout le monde n’est pas régulièrement contrôlé, ce qui soulève des questions en matière de droits de l’homme.
Le fonds climatique de 50 millions de dollars (43 millions d’euros) sur cinq ans de Shein, dont 15 millions sont (12,9 millions d’euros) destinés à la Fondation OR pour les déchets textiles au Ghana, a également été critiqué. Les chercheurs l’ont qualifié de « compensation sociale » qui ne s’attaque pas à la surproduction structurelle.
Le cycle de la mode doit devenir fondamentalement plus lent et plus durable. Le coût environnemental, mais aussi humain, de la mode ultrarapide est trop élevé.
Le temps presse
Le prix de la mode ultrarapide est bien plus élevé que ne le laisse supposer son étiquette. Il est payé par des travailleurs d’usine sans droits, par une planète surchargée, par la disparition des commerces de proximité et par les marques européennes qui doivent affronter la concurrence dans des conditions déloyales.
Cette nouvelle vague de fast fashion chinoise abuse des chaînes d’approvisionnement mondiales et de la technologie numérique. Elle porte atteinte à nos économies, à nos normes éthiques et à l’environnement. Ce n’est pas un hasard, mais le résultat d’un cadre réglementaire laxiste et de l’inertie politique.
Tout au long de ma carrière, j’ai aidé les meilleures marques du monde à mettre en place des chaînes d’approvisionnement efficaces, résilientes, traçables et responsables afin de fournir aux consommateurs les produits les meilleurs, les plus durables et les plus éthiques.
Le contraste avec le mode de fonctionnement d’entreprises comme Temu et Shein est saisissant. Aux États-Unis, les inquiétudes suscitées par les plateformes chinoises telles que TikTok ont déjà donné lieu à des actions politiques concrètes. L’Europe doit elle aussi faire preuve de courage politique. Le temps presse. Il est grand temps de tracer une ligne et de rendre visible le prix réel de la mode ultrarapide.
Henri Seroux, vice-président senior pour l’Europe chez Manhattan Associates

