On a beaucoup écrit sur le mouvement des gilets jaunes français. Mais derrière cette manifestation se cache le désespoir des « petits blancs ».
En France, le Premier ministre Edouard Philippe a entamé des pourparlers pour apporter des réponses au mouvement des « gilets jaunes » qui paralyse le pays depuis deux semaines avec des manifestations. Les gilets jaunes, soutenus par 84% des Français, protestent contre l’augmentation de la taxe sur les carburants et la réduction du pouvoir d’achat. Le journal Le Monde publie jeudi à cet égard un article de l’économiste Jean Pisani-Ferry . Ce dernier faisait partie de l’équipe qui avait esquissé le programme économique d’Emmanuel Macron. Mais début septembre, il a appelé le président à « ajuster sa méthode ». Selon lui, la mondialisation ne présente plus aucun avantage pour les Français:
La mondialisation ne fait plus rien pour notre pouvoir d’achat
« Dans les années 1990-2000, les Français ont retiré d’importants gains de pouvoir d’achat de la croissance des importations en provenance des pays à bas coût. […] La mondialisation a certes détruit des emplois, mais elle a aussi été une source considérable de pouvoir d’achat. Le prix des produits manufacturés s’est effondré, et nous en avons tous bénéficié. Mais cet avantage est probablement derrière nous : avec la montée en gamme de la Chine et le développement du protectionnisme, ces gains de revenu vont au mieux se maintenir, peut-être s’inverser. Pour le meilleur et pour le pire, la grande fête de la consommation touche à sa fin. »
Les gilets jaunes reçoivent également un soutien indirect de l’Organisation internationale du Travail (OIT), une instance des Nations Unies, concernant la réduction du pouvoir d’achat. Elle a publié un rapport plus tôt cette semaine qui indique que les salaires ont augmenté en moyenne de 1,8 % dans le monde au cours de la dernière année, la plus faible augmentation depuis 10 ans et « bien en dessous du niveau enregistré avant la crise financière ». Selon l’OIT, le retard est dû à l’affaiblissement de la position de négociation des travailleurs, à l’intensification de la concurrence mondiale et à la diminution des gains de productivité.
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82 % des emplois français sont créés dans les 13 plus grandes villes
Pour la France, les chiffres sont encore plus dramatiques avec une augmentation salariale de 0,1 % en 2017 et une diminution des salaires de -0,4 % par rapport à 2018. Ce sont surtout les 2 millions de Français qui perçoivent le salaire minimum (1.498 euros brut) et les fonctionnaires qui sont touchés. Ceux qui ne sont pas affectés par cette tendance sont ceux qui gagnent plus de 8 300 euros par mois. Ils ont vu leur salaire augmenter de 5 à 6 % au cours des dernières années.
Les « gilets jaunes » non structurés et non organisés sont principalement des personnes qui vivent et travaillent dans les zones rurales françaises, et dans une bien moindre mesure dans les métropoles françaises. Là aussi, il semble y avoir un énorme déséquilibre, puisque 82 % des emplois en France sont créés dans les 13 plus grandes villes (> 500 000 habitants).
Trahi par les élites
Mais la colère des « gilets jaunes » a un autre fondement : ils se sentent trahis par les élites, qui bénéficient de la troisième révolution technologique (intelligence artificielle, big data, …) et ne se préoccupent que des minorités.
En 2012, le groupe de réflexion Terra Nova a même persuadé les socialistes français de « renoncer au petit électorat blanc (« le petit Blanc ») pour se concentrer sur la nouvelle clientèle de jeunes, de femmes et d’immigrants récents, les « nouveaux Français ».
Selon le chirurgien et business angel français Laurent Alexandre, l’Etat est de plus en plus préoccupé par l’avenir des « vegan trans », plutôt que par le pouvoir d’achat du « petit paysan blanc ». Ce dernier, mal préparé à la révolution technologique, est sociologiquement semblable à l’électeur populiste de Trump, bouleversé par sa valeur de plus en plus réduite pour la société en général et sur le marché du travail en particulier.
Le désespoir du « petit blanc rural » est profond. Les gilets jaunes prouvent que la démocratie connait actuellement une crise de représentation. 41 % des Français veulent maintenant « un pouvoir autoritaire ». Les gilets jaunes n’ont aucune structure (ils refusent également tout contact avec le Premier ministre) et, selon Alexandre, le mouvement va s’éteindre discrètement. Mais le désespoir du « petit blanc » devrait s’installer, et se généraliser à tous les pays occidentaux.
La conclusion d’Alexandre est dévastatrice pour la France et sa classe politique
La fin du capitalisme s’interrompt lorsque la pauvreté devient le produit final d’un monde d’abondance, a déclaré Karl Marx. Les gagnants de la nouvelle économie de l’IA (dont Macron et son entourage font également partie, selon Alexandre) sont à l’origine du mouvement des «gilets jaunes» et si la démocratie n’existait pas, ils seraient prêts à les abandonner.
« Nous atteignons progressivement la phase ultime de la démocratie : la séparation physique des dieux et des inutiles, telle que décrite par le philosophe israélien Yuval Harari dans son livre Homo Deus. »