Si vous pensez que le monde est en proie à de grandes difficultés économiques suite à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, attendez de voir ce qu’il se passera en cas de conflit ouvert entre la Chine et Taïwan.
Une inflation au plus haut, des prix de l’énergie qui pèsent de plus en plus sur les ménages, des denrées alimentaires dont le prix explose et qui met la sécurité alimentaire en danger, des marchés en berne… la guerre en Ukraine a une résonance mondiale. Elle affecte même la croissance en Europe et aux États-Unis. Et si les prix de l’énergie venaient à encore augmenter cet hiver, une période de récession ne peut y être exclue.
Les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine sont connues. Un conflit entre la Chine et Taïwan beaucoup moins. Mais certains chiffres montrent en quoi ce serait sans aucun doute un véritable chaos pour l’économie mondiale et les marchés.
Les échanges
- La Russie était en 2021 le 5e partenaire de l’UE. Elle représentait 4,1 % des exportations de biens (89 milliards d’euros) et 7,5 % des importations de biens de l’UE (158 milliards d’euros). Tout le monde le sait, la balance commerciale est largement déficitaire en raison de l’importation de produits énergétiques (gaz, pétrole, charbon et uranium). Les importations ukrainiennes dans l’UE ne représentent que 1% du total, les exportations 1,2%. En tout, les échanges se chiffrent à 40 milliards de dollars.
- La Chine est, elle, devenue le premier partenaire commercial de l’UE en 2020, volant la place aux États-Unis. Le commerce entre les deux entités a atteint les 586 milliards de dollars, selon Eurostat. Taïwan n’est que le 15e partenaire commercial de l’UE, mais l’UE est le 4e partenaire de Taïwan après la Chine. Au niveau des biens, l’UE exporte pour un peu moins de 30 milliards d’euros et importe pour plus de 35 milliards d’euros.
- Le même raisonnement peut être fait avec les États-Unis, qui soutiennent directement Taïwan contre la Chine, et il est encore plus parlant. Avant l’invasion, le commerce entre les USA et la Russie était de 36 milliards par an. Le commerce avec l’Ukraine ne pesait pas plus que 4 milliards par an, soit 40 milliards en tout avec les 2 entités.
- Le commerce entre la Chine et les États-Unis vaut 656 milliards de dollars par an. Les échanges avec Taïwan représentent 114 milliards d’euros, soit 3 fois plus qu’avec la Russie. Ensemble, le commerce des États-Unis avec la Chine et Taïwan représente 10 fois le commerce des États-Unis avec la Russie et l’Ukraine, et il concerne des produits bien plus cruciaux pour l’économie américaine (semi-conducteurs, terres rares, etc.).
Il y a aussi le danger d’un blocage complet du détroit de Taïwan, qui est un véritable carrefour commercial entre les usines chinoises et les ports américains et européens. Bloomberg estimait dans de récents calculs que « environ 48 % des 5.400 porte-conteneurs en opération dans le monde » y ont navigué en 2022. « La voie navigable représente même 88 % du trafic » des cargos les plus importants.
Dépression économique
On ne parlerait pas ici de récession, mais de véritable dépression. L’organisme de recherche Rand estime qu’une guerre impliquant la Chine et indirectement les États-Unis (s’ils venaient à défendre Taïwan) amputerait l’économie américaine de 5 % des 23.000 milliards de dollars du PIB, ce qui serait tout simplement le plus grand coup porté depuis la Grande Dépression des années 1930. Pour vous donner un ordre de grandeur, lors de la crise de 2008-2009, le PIB américain n’avait été amputé « que » de 2,6%. Le S&P 500, l’indice qui représente les 500 plus grandes entreprises américaines, avait lui perdu 55% de sa valeur par rapport au sommet précédent.
Selon Rand, la Chine a plus à perdre. Une guerre entre les deux entités frapperait le PIB chinois (17.000 milliards de dollars) de 25%. Car la Chine serait probablement touchée de plein fouet par des sanctions économiques occidentales, et qu’elle perdrait sans doute des infrastructures suite aux attaques de Taïwan. En outre, une guerre coûte cher. Mais à l’instar de l’Ukraine, c’est bien sûr l’île qui serait la plus affectée par une guerre, avec une chute de 45% de son PIB.
Chine et Taïwan
Heureusement, nous n’en sommes pas encore là. Les exercices militaires de la Chine autour de l’île trahissent d’ailleurs une certaine forme d’impuissance et de frustration. L’identité taïwanaise se renforce, l’armée y est bien plus importante que l’armée ukrainienne, et surtout, les deux économies sont hyper interdépendantes. Entre janvier et juin de cette année, les importations chinoises de produits taïwanais ont représenté 122,5 milliards de dollars. La Chine a besoin, entre autres, des puces taïwanaises de TSMC, et Taïwan a besoin de l’immense marché chinois.
Certains analystes estiment que les puces de Taïwan pourraient être à elles seules un objectif pour la Chine. Elles représentent à peu près la moitié des puces produites dans le monde et un secteur hyper stratégique. Mais on serait ici dans un scénario très avancé : « On pourrait même avancer un argument rationnel selon lequel l’Occident aurait tout intérêt à ce que l’industrie taïwanaise des puces soit un trou fumant dans le sol plutôt que d’être sous contrôle chinois », a récemment déclaré Herbert Lin, chercheur à l’université de Stanford, à Yahoo Finance. Il n’est d’ailleurs pas du tout acquis que les États-Unis soient prêts à perdre des milliers de vies en Asie pour les beaux yeux de Taïwan.
Une troisième voie est la zone grise, qui affecterait surtout l’île. Elle consiste en des exercices militaires prolongés de la Chine, qui isoleraient Taïwan et enverraient le message suivant : ce lieu n’est plus sûr pour y investir. Dans cette zone grise, on retrouverait aussi les cyber-attaques répétées. Elle permet en fait à la Chine de ne jamais déclencher un conflit ouvert tout en nuisant à son dérangeant voisin, et constitue sans doute la piste la plus probable.